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vendredi 3 mars 2017

James Bond ou une mue héroïque


La saga des James Bond témoigne remarquablement de l’évolution de la figure du héros d’aventures au cinéma, des prémisses qui ont abouti à l’émergence du personnage incarné par Sean Connery jusqu’à la mutation amenant le torturé et anxieux Daniel Craig.


Le plus beau, le plus fort
Sur grand écran, le héros est tout d’abord un être aux capacités, au sang-froid et au charme supérieurs que le spectateur vient admirer. Admiration où l’on trouve le désir de lui ressembler pour le public masculin, d’être séduit par lui pour le public féminin. Le premier grand héros moderne du cinéma sera incontestablement Douglas Fairbanks dont le charisme et les capacités physiques exceptionnelles l’amenèrent à éblouir le public dans des films prodigieux où il endossait l’identité de personnages mythiques de la culture populaire, investissait des contextes chargés d’une aura épique et mystérieuse dans l’inconscient collectif : D’Artagnan dans Les Trois Mousquetaires (1921), Zorro dans Le Signe de Zorro (1920), le tout se déroulant dans un Orient façon Mille et Une Nuit (Le Voleur de Bagdad), l’antiquité majestueuse (Ben Hur première version). Fairbanks constitue l’archétype du héros d’aventure au même titre que son successeur des deux décennies suivantes, Errol Flynn.

Flynn s’approprie l’héritage de Fairbanks avec ce même élan juvénile, cette séduction et ce physique gracieux et imposant. Il y ajoutera sous la frivolité une dimension plus sombre et torturée, une contextualisation moderne plus prononcée puisque Errol Flynn inscrit ses exploits autant dans le film d’aventure à la Fairbanks (le Robin des Bois de Michael Curtiz, le film de pirates L’Aigle des Mers) que dans le film de guerre de propagande contemporain avec Aventures en Birmanie entre autres. Le héros demeure donc avec ces deux acteurs fondateurs un être lointain, hors-norme et mythologique que l’on admire à distance sans espoir de l’égaler pour les hommes ou de tomber dans ses bras pour les femmes.  En plus des qualités respectives de ces deux modèles, James Bond s’inspirera donc également de la manière dont ils s’intègrent dans leur univers. Le monde de James Bond est tout à la fois aussi irréel que les fantaisies les plus débridées de Douglas Fairbanks mais s’inscrit aussi dans une réalité fantasmée et ludique que l’on trouve dans certains films de guerre d’Errol Flynn. La Seconde Guerre Mondiale de bande dessinée d’un Sabotages à Berlin (1942) avec ses vannes, ses cascades et son Flynn tuant du nazi le sourire en coin n’est pas bien éloignée de la Guerre Froide décalée des premiers James Bond.


Sadisme et séduction

Bien sûr Fairbanks et Flynn ne sont pas les seules figures héroïques créées par le cinéma hollywoodien mais elles sont les plus emblématiques du mélange de désinvolture et de surhomme que l’on trouvera chez James Bond. Humphrey Bogart et son bagout cynique dans le film noir, ainsi que l’ironie distanciée de Cary Grant dans La Mort aux trousses (1959) constituent également des jalons qui étofferont le personnage de Bond au cinéma et surtout le resitueront dans une vraie réalité moderne, fantasmée certes mais la même que celle du spectateur au contraire des films historiques lointains d’Errol Flynn et Douglas Fairbanks. Avant un lissage progressif à partir de Goldfinger (1964) et l’entrée de la saga dans l’ère de la superproduction, on en oublierait presque le Bond retors et peu recommandable incarné par Sean Connery. L’acteur, avec une somme de vice, d’amoralité et de virilité exacerbée invente là une nouvelle forme de héros.

Connery allie les qualités de ses prédécesseurs à une présence animale capable de dévier la sexualité de la lesbienne Pussy Galore dans Goldfinger, de se montrer lourdement entreprenant jusqu’à ce qu’on lui cède de plein gré (l’infirmière du début d’Opération Tonnerre (1965)), de claquer les fesses d’une espionne russe dans Bons baisers de Russie (1963). L’élégance naturelle de Bond se mêle aux origines prolétaires de son interprète qui lui confère une aura distinguée et débraillée à la fois. Symbole d’une époque, le Bond de Connery est LE mâle, une abstraction fantasmée de la manière dont se rêvent les hommes et dont la toute-puissance sexuelle enlève toute dignité aux femmes ne pouvant faire autrement que se pâmer devant lui (voir les affiches d’époques l’entourant d’un harem énamouré).

Roger Moore poursuit cette tradition tout en empruntant une autre voie. S’il ne peut égaler la menace dégagée par Connery, cette toute-puissance se fera par la distinction british, la distance et une séduction fonctionnant sur les codes de l’hédonisme ambiant des années 70. Connery séduisait par son alliance de classe et de testostérone, pour Roger Moore il suffira d’un regard en coin, d’un bon mot et de la dose de panache qu’il sut apporter au personnage (il est la seule chose à sauver de ses deux premiers Bond Vivre et Laisser Mourir (1972) et L’Homme au pistolet d’or (1973)). Quoi qu’il en soit avec ces deux acteurs on reste dans cette veine du héros à idolâtrer, sûr de lui et sans états d’âme (si ce n’est de timides esquisses chez Moore lorsqu’il tique à une allusion sur sa femme décédée dans L’Espion qui m’aimait (1977) ou quand il se recueille sur sa tombe au début de Rien que pour vos yeux) et du pur appel à l’aventure.

Les héros sont fatigués

La refonte de James Bond qui semble éblouir la critique et le grand public sous l’ère Daniel Craig n’est pas neuve et intervient même dès le cinquième film de la saga avec le grandiose Au service secret de Sa Majesté (1969). On y découvre un Bond introspectif, déjà nostalgique de ses anciennes aventures (la scène où, sur le point de démissionner, les objets et la bande-son font dans le référentiel des épisodes précédents) et surtout amoureux. Le romantisme et le sens de la tragédie du film relevaient de l’inédit tout en conservant les éléments les plus excitants de la série avec un Bond plus coureur que jamais (les charmantes malades de l’institut séduites à tour de rôle) mais toujours aussi époustouflant en action (la scène où Lazenby glisse sur la glace la mitrailleuse à la main sur le James Bond Theme à la fin). L’acteur unique et le succès moindre (mais pas un échec contrairement à l’idée établie) feront pourtant de cette tentative un one shot avec le retour de Connery puis le passage de relai à Roger Moore où Bond retrouve de son assurance. 

Ce ne sera pas non plus le bon moment lors de la nouvelle révision du personnage tentée par Timothy Dalton dans Tuer n’est pas jouer (1987) et surtout Permis de tuer (1989). L’ère du machisme outrancier n’a plus cours et Dalton humanise idéalement le personnage en le rendant monogame dans Tuer n’est pas jouer et en remplaçant le détachement d’antan par un Bond vengeur soumis à ses émotions dans Permis de tuer. Les deux films sortent malheureusement dans les années 80 où le héros testostéroné que Bond a contribué à créer est poussé dans ses derniers retranchements avec les succès de Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger. Le concept de surhomme, par dépassement de soi (Stallone dans Rocky, Rambo et bien d’autres) ou attributs mythologiques/artificiels (le Schwarzenegger de Conan et Terminator) est omniprésent et un Bond montrant ses failles est malvenu. Le style blockbuster musclé inspiré des succès d’alors de Permis de tuer est paradoxalement au service d’un Bond plus « réaliste » et vulnérable, soit le contraire des indestructibles Sly et Schwarzy. Bond y est finalement plus proche du Bruce Willis débraillé de Die Hard (1987) dont la mentalité évoque surtout un héros de western. Permis de tuer est un donc un excellent et efficace film d’action, mais peu imprégné de l’esprit James Bond. On souffre avec lui tout en admirant ses prouesses, tendance qui ira en s’accentuant.

Dalton ouvre pourtant la voie à l’ère Pierce Brosnan où le simple souffle de la mission et de l’aventure s’estompe progressivement. James Bond traversait auparavant les films avec classe et distance, il a désormais un compte personnel à régler avec tous les méchants de la période Pierce Brosnan (le 006 de Goldeneye, le magnat de la presse marié à un ancien amour dans Demain ne meurt jamais, la romance du Monde ne suffit pas et son ancien geôlier dans Meurs un autre jour). L’aventure ne peut plus exister pour le simple plaisir de l’évasion, le héros doit s’y impliquer émotionnellement jusqu'à Daniel Craig où les méchants et leurs complots mégalomanes sont réduits au strict minimum pour s’attarder sur les tourments existentiels d’un Bond fragilisé. 

Pierce Brosnan est parfait dans ce croisement de l’ancien Bond irrésistible et le nouveau plus dépassé mais malheureusement pour lui les scripts et films produits ne seront pas à la hauteur de ses apports réels. Cependant Dalton comme Brosnan continuent à perpétuer la suspension d’incrédulité que l’on est en droit d’attendre de James Bond avec l’extravagance attendue dans les décors (le palais des glaces de Meurs un autre jour) et les actions de Bond tel l’inoubliable final en semi-remorque de Permis de tuer. L’ère Brosnan témoigne aussi de la schizophrénie des producteurs encore craintifs de l’accueil glacial de Permis de tuer et déséquilibrant les films entre mise à mal du personnage et grandiloquence d’antan. Le pré générique brillant de Meurs un autre jour (2002) semble ainsi appartenir à un autre film que celui où plus tard Bond va surfer sur une vague géante. 

L’arrivée de Daniel Craig est l’aboutissement de tout le processus de déconstruction du personnage, bien plus radical car cette fois tombant au bon moment. Le public n’est plus en quête d’une icône à admirer, mais d’un être qui derrière ses exploits lui ressemble dans ses doutes et sa faiblesse. Quand il enlève son masque entre deux tours de voltige, Spider-Man est Peter Parker, un adolescent timide et complexé comme tant d’autres dans lequel on peut se reconnaître. Lorsqu’il ne brise pas les bras et les nuques de ses assaillants, Jason Bourne est un amnésique paumé surpris de ses propres aptitudes meurtrières. Les Batman de Christopher Nolan se préoccupent plus des doutes de Bruce Wayne que des exploits de Batman avec un pic dans le dernier volet où le super-héros apparaît à peine une vingtaine de minutes en costume. C’était un mal nécessaire avec une réelle innovation apportée par la réussite des franchises précitées. Malheureusement ce « sérieux », cette « profondeur psychologique » ne sied pas à tous et se fait parfois au forceps, au détriment de ce que l’on est venu voir : admirer nos héros qui sauvent le monde. Le public boudera désormais les tentatives de leur présenter un authentique héros surpuissant et hors de portée (l’échec des Chroniques de Riddick ou le rejet des Matrix Reloaded et Matrix Révolutions soit ceux où Néo devient un quasi demi-dieu) quand ce n’est pas les films eux même qui atrophient l’aura de son personnage principal avec un Superman Returns (2006) – le questionnement entre le titan et l’humain de Man of Steel (2013) recevant un accueil tout aussi mitigé.

Les James Bond de Daniel Craig se situent à mi-chemin de ces réussites et ratages. Le ronronnement des derniers Brosnan est remplacé par l’énergie et la noirceur des épisodes de Craig. Sous la carrure imposante de l’acteur, James Bond n’a paradoxalement jamais été plus fragile. Quand le dépit amoureux le ramenait à ses glorieuses aventures après Au service secret de Sa Majesté, il le replonge ici en plein doute avec un Bond débutant et pas encore insensible dans Casino Royale (2006) et Quantum of Solace (2008). Malgré l’incontestable réussite de Casino Royale (en dépit d’une dernière demi-heure ratée), la série perd de son identité en lorgnant trop du côté de Jason Bourne et Quantum of Solace si on fait abstraction du ratage artistique du film perd l’essence de Bond en forçant le trait sur sa facette torturée.  Un enfant de dix ans pouvait encore être admiratif et vouloir ressembler aux Bond de Connery, Moore, Lazenby et Brosnan. On est en droit de douter que ce soit tout à fait le cas de celui de Daniel Craig qui d’ailleurs ne leur est guère destiné. Le souffle épique des origines disparait donc au profit de cette profondeur et avec elle la nature héroïque de Bond quand les précédentes refontes la maintenaient avec brio. Auparavant point de repère du début de l’aventure, M, désormais incarnée par Judi Dench devient une figure maternelle venant constamment le sermonner.

La démarche de Skyfall est à ce titre assez fascinante et schizophrène puisque allant au bout de cette logique introspective tout en finissant sur la promesse du retour du « vrai » Bond. La « mort » d’ouverture brise l’ancien Bond qui doit se reconstruire pour redevenir ce qu’il a été (et la franchise avec), par ce symbole de la double noyade. La barbe de trois jours arborée pendant le premier tiers ne lui sied guère et signifie qu’il n’est pas encore lui-même, les éléments Bondiens se réintroduisant progressivement parfois de manière lourde cinquantenaire oblige (refaire le coup des crocodiles de Vivre et laisser mourir, il fallait oser) et le climax le plus audacieux et austère de la série amène une conclusion où tout semble enfin en place pour repartir là où l’on a laissé les choses depuis le dernier Bond de la formule classique, Demain ne meurt jamais. Spectre (2015) tente donc de renouer avec les codes d’antan conjugués au ton ténébreux de l’ère Craig. La fusion ne fonctionne que par intermittences et essentiellement dans la première partie du film (la réunion du Spectre dans une pénombre où est tapie Blofeld, l’époustouflant pré générique de la fête des morts entre flegme et tension extrême) mais toute la fantaisie tolérée dans un Bond classique jure avec le tempérament de Daniel Craig. 

Après s’être moqué des stylos explosifs dans Skyfall, le nouveau Q ressort pourtant un gadget fantaisiste d’une autre ère avec une montre-bombe, l’affrontement avec un homme de main bodybuildé dans un train singe une énième fois la mythique empoignade de Bon baiser de Russie (déjà mal copiée durant l’ère Moore dans Vivre et laisser mourir) et si l’on retrouve la fameuse super forteresse du méchant, sa destruction relève de la pure pantalonnade. Le lien intime de Bond à sa mission et adversaire est grotesque quand viendra l’heure des révélations sur l’identité d’Obehauser/Blofeld (pas aidé par l’interprétation distancié de Christopher Waltz). L’angle était pourtant bien vu et ancré dans le réel, le renseignement technologique moderne s’opposant à l’homme de terrain qu’est Bond. Malheureusement la greffe ne prend pas, comme si Daniel Craig ne pouvait s’inscrire dans une aventure plus décomplexée et ludique.  Alors le renouveau passe –t- il par un changement d’interprète ? Après s’être tant rapproché de nous, Bond est-il enfin prêt à réellement nous éblouir de nouveau, à s’élever au-dessus du commun des mortels ? L’ère des héros est-elle enfin revenue ? Never say never again

1 commentaire:

  1. Le personnage de Bond est quand même un bon gros macho, humour aidant ça passe bien malgré tout, et puis: Sean forever !!
    Après lui ce ne sera plus jamais pareil.
    Le seul équivalent féminin que je lui ai trouvé, la femme d'action qui se sort de toute situation, au charme souverain, même si ce n'est pas une espionne, c'est Uma Thurman dans "Kill Bill"...

    Catherine

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