Un testament vidéo laissé par l’ancienne M, morte dans Skyfall, incite Bond à enquêter sur une organisation secrète à but terroriste, SPECTRE. Alors que le nouveau M fait face à la volonté du Home Office de supprimer la section 00 des services secrets britanniques, Bond s'allie avec la fille d'un ancien ennemi, Madeleine Swann, afin d’affronter SPECTRE.
Skyfall (2012) s’était avéré un triomphe artistique et économique, un des véritables sommets de la saga James Bond. Les producteurs ont donc naturellement la volonté de prolonger les ingrédients de cette réussite en réengageant Sam Mendes à la réalisation. Ce dernier avait bénéficié d’une relative liberté de manœuvre sur Skyfall, tant la volonté de laver l’affront du poussif Quantum of Solace (2008) était grande. Ce sera moins le cas sur ce second essai chez James Bond, souffrant de plusieurs écueils de production. Skyfall s’était délesté de la continuité de Casino Royale (2006) et Quantum of Solace, oubliant le Bond chien fou et inexpérimenté pour en faire un vétéran légendaire devant retrouver sa grandeur, et le film était parsemé de clins d’œil relatif à une continuité globale de la saga (le retour de l’Aston-Martin) pourtant disparu avec la volonté de reboot de l’ère Daniel Craig. Spectre est une œuvre schizophrène qui n’ose pas le choix tranché de Skyfall.
Après des années de tourments juridiques, les producteurs sont parvenus à récupérer les droits relatifs au Spectre, ennemi ultime de Bond durant l’ère Sean Connery. L’organisation criminelle du Spectre et son leader Blofeld étaient une création commune de Ian Fleming et du producteur Kevin McClory dans le cadre d’un scénario pour une première tentative de transposer James Bond au cinéma dans les années 50. Faute de financement, Ian Fleming en repris certains éléments (dont le Spectre) dans le roman Opération Tonnerre, ce que lui contesta Kevin McCLory qui estimait avoir contribué en partie à cette création. Un accord fut trouvé pour la production d’Opération Tonnerre (1965) mais McCcory propriétaire des droits du Spectre et de Blofeld empêcha les Broccoli de réutiliser les personnages et produisit même un piteux remake d’Opération Tonnerre avec Jamais plus jamais (1983). Une fois les droits rachetés (après la mort de Kevin McClory en 2006), c’est donc tout naturel de faire revenir le Spectre dans un film James Bond. Cela va malheureusement nécessiter une gymnastique scénaristique périlleuse pour inscrire cela dans la continuité des films de Daniel Craig. Blofeld (Christopher Waltz) devient ainsi le frère adoptif disparu de Bond, et le grand cerveau derrière tous les malheurs de celui-ci depuis Casino Royale. La pilule passe très difficilement à l’écran malgré les qualités du film.Cela pose aussi un problème de ton. Blofeld, son chat siamois, les bases secrètes extravagantes, sont associés à un imaginaire Bondien pop et décomplexé aux antipodes de l’approche réaliste et ténébreuse des films de Daniel Craig. De plus la figure de Blofeld a depuis été largement dévoyée aux yeux du grand public par le personnage du Dr Denfer dans la saga parodique Austin Powers de Mike Myers. Il s’agit donc là de trouver un équilibre avec la tonalité de l’interprète actuel de Bond et la veine classique d’une autre ère de la saga. Dans les trois précédents films, Craig joue soit un James Bond fragile, débutant et mal dégrossi (Casino Royale et Quantum of Solace), soit un héros usé devant se reconstruire. On peut donc considérer qu’il n’a jamais incarné à l’écran LE James Bond en pleine possession de ses moyens, arrogant, séducteur et invulnérable tel que défini chacun à leur manière par Sean Connery et Roger Moore.La fin de Skyfall laissait suggérer (le nouveau M, le retour de Q et ses gadgets, Moneypenny) que tout était en place pour retrouver tous les éléments du Bond classique, mais dans Spectre on constate que Daniel Craig ne parvient pas totalement à rentrer dans ce moule. L’acteur est bien plus intéressant en Bond vulnérable et ne paraît pas toujours à l’aise dans les tentatives d’en faire un gentleman assassin décontracté. Les bons mots après un coup d’éclat, les petits gags à la Roger Moore (la scène de poursuite à Rome), les tentatives de rester élégant dans l’action (la chute sur le canapé durant le pré-générique), la séduction (la scène d’amour avec Monica Bellucci) et les sourires en coin ne s’emboitent pas totalement avec un Daniel Craig toujours aussi charismatique mais qui semble plus détaché.Pendant une moitié de film, l’harmonie fonctionne pourtant bien. Sam Mendes instaure une atmosphère sombre et mystérieuse qui voit Bond remonter jusqu’au cœur du Spectre et culmine lors de son infiltration dans une réunion de l’organisation criminelle. On retrouve le Bond ancien dans une esthétique actuelle portée par une photo somptueuse de Hoyte Van Hoytema plongeant le visage de Blofeld dans l’ombre. Parallèlement à cela, l’intrigue interroge la raison d’être des hommes de terrain tels que James Bond à l’ère de l’analyse de données informatique et des attaques à distances orchestrées par les drones. Tout le film met en valeur un James Bond humain, déterminé et guidé par son libre arbitre le rendant plus efficace que les machines pouvant être contrôlés et piratées par des ennemis extérieurs, en l’occurrence le Spectre. Tant qu’il reste dans cet entre-deux où les motifs des James Bond plus flamboyants sont passés au tamis du traitement plus sobre de l’ère Daniel Craig, le film fonctionne (la romance brève mais réussie avec Léa Seydoux), notamment en faisant de Blofeld une menace invisible et dissimulée.Les acrobaties de scénario pour lier le tout et le retour de la grandiloquence d’antan rende l’ensemble plus bancal, mais pas désagréable. Sam Mendes magnifie chaque apparition intimidante de Blofeld, dans des compositions de plan tout en clair-obscur où le moindre de ses mouvements, chacune de ses paroles, semble faire corps avec ses acolytes malveillants comme une entité unique. Tout cela s’estompe en exposant trop Blofeld à la lumière du jour, ce qui amoindri son impact, d’autant que Christopher Waltz sans démériter livre une redite sans l’effet de surprise de son extraordinaire Hans Landa de Inglorious Basterds (2008). Le film perd donc de son attrait à partir de l’arrivée de Bond dans la base de Blofeld, timoré dans sa volonté de retrouver le gigantisme pop d’antan (le repère dans le volcan façon On ne vit que deux fois (1967)) et trop expéditif dans ses enjeux réalistes pourtant très intéressants.La beauté formelle du film, à travers la mise en scène élégante de Mendes et le choix de décor assez somptueux (la scène d’enterrement dans le musée de la Civilisation romaine) instaure cependant une atmosphère funèbre fascinante tutoyant les splendeurs de Skyfall avant d’être rattrapé par les scories évoquées plus haut. Spectre est donc un opus schizophrène mais restant agréable à suivre, annoncé un temps comme le dernier d’un Daniel Craig (tous les mystères instaurés depuis Casino Royale étant résolus au forceps) qui se ravisera pour le baroud d’honneur discutable de Mourir peut attendre (2021).Sorti en bluray chez Sony
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