Défricheur tout-terrain à la curiosité insatiable, Jean-Pierre Dionnet est un des grands passeurs de la pop culture en France. On lui doit, entre autres, la fondation de la revue de bande-dessinée Metal Hurlant, grand laboratoire à l’influence considérable de l’imaginaire SF des années 70/80, la création de la maison d’édition bd les Humanoïdes Associés, l’irruption des musiques rock et funk à la télévision française avec Les Enfants du rock et Sex Machine. Pour ce qui est du cinéma, on lui doit en grande partie la démocratisation de tout un pan du cinéma asiatique en France, des ruades cyberpunks de Shin’ya Tsukamoto au nihilisme de Takeshi Kitano à l’ébullition créative du cinéma de Hong Kong ou encore l’imaginaire foisonnant de l’animation japonaise, qu’il contribua à faire distribuer en salle et en vidéo. Une des grandes aventures de Dionnet dans cette démarche sera l’animation de l’émission Cinéma de Quartier sur Canal +, de 1989 à 2007, et de sa petite sœur Quartier Interdit de 1998 à 2002. L’ouvrage passionnant de Sylvain Perret s’attache à décrire avec minutie l’histoire de l’émission qui fut, avant la reconnaissance critique et l’émergence du dvd permettant une plus grande accessibilité aux œuvres, un immense espace de découvertes pour les férus de cinéma d’exploitation.
Dans un premier temps Sylvain Perret va directement interroger l’intéressé qui, avec sa verve habituelle va narrer le contexte de création de l’émission. Encore sur le service public, Dionnet propose à Eddy Mitchell et Gérard Jourd’hui, respectivement animateur et producteur de l’émission La Dernière Séance (consacrée au cinéma classique américain) d’y programmer également du cinéma européen et se heurte à un ferme refus de leur part. Pierre Lescure, l’homme qui l’embaucha avec Philippe Manœuvre sur Antenne 2, vient de quitter le service public pour aller diriger Canal +, nouvelle venue cryptée qui s’apprête à révolutionner le paysage audiovisuel français. Après quelques années d’existence, Lescure propose à Dionnet d’installer ce concept sur Canal +. Sylvain Perret dépeint ainsi dans un premier temps toutes les étapes de l’installation de l’émission, tel que le sinueux chemin vers les ayants-droits des différentes productions que Dionnet souhaite diffuser et par conséquent un tout nouveau métier pour lui à assimiler, avec aussi le travail de restauration des copies que Canal + se doit de diffuser dans une qualité (format, montage le plus complet) que ne peut se permettre la concurrence. Un long texte choral où interviennent nombre de collaborateurs de l’émission vient seconder les souvenirs ou les extrapolations de Dionnet pour nous donner un captivant aperçu des coulisses, et par la même l’âge d’or de ce que l’on a pu appeler l’esprit canal, libertaire, inventif et audacieux. Ils y dépeignent l’évolution de la programmation au gré des goûts des spectateurs, des tendances cinéphiles, de la volonté de Dionnet et ses collaborateurs, mais aussi des soubresauts de la direction de Canal + au début des années 2000 avec le rachat de Vivendi et Universal.
L’autre énorme pan du livre à éplucher et qui demanda une quête archiviste de longue haleine pour Sylvain Perret, c’est la liste complète année par année de la programmation de Cinéma de Quartier. On y observe l’évolution des tendances (beaucoup de péplums, puis la tendance au western spaghetti, la reconnaissance progressive d’un Mario Bava grâce au travail de l’émission), les dérives inhérentes aux coulisses tumultueuses (Farrugia qui impose la comédie française pas toujours fine à partir de 2002), mais surtout l’insatiable curiosité de Dionnet et ses sbires. Les œuvres d’auteurs aussi divers que l’italien Vittorio Cottafavi (Les Cents cavaliers (1964), La Vengeance d’Hercule (1960), Hercule à la Conquête de l’Atlantide (1961)), le russe Alexandre Ptouchko (Le Tour du monde de Sadko (1953), Le Géant de la Steppe (1956)), Riccardo Freda (Theodora, impératrice de Byzance (1954), Le Géant de Thessalie (1960)), les grandes productions Hammer (Le Monstre (1955), La Marque (1957), Le Chien des Baskerville (1959)) et tout un pan inédit du cinéma d’exploitation sont mis à disposition de spectateurs jeunes et vieux dont la curiosité ne cessera d’être sollicitée. La démarche cinéphile accessible et facétieuse de Dionnet transparaît dans ses présentations où il n’hésite pas à convoquer des auteurs venant parler de leurs œuvres (Georges Lautner qui bénéficiera d’une rétro où il parlera notamment de l’alors rare Galia (1966)) ou de celles des autres comme Claude Chabrol.
Sylvain Perret explique d’ailleurs très bien l’effet ricochet de l’émission qui en restaurant les œuvres leur donnent une seconde vie, tout d’abord chez d’autres diffuseurs après le passage sur Canal + (les non-possesseurs de décodeur découvriront un grand nombre d’œuvre bis via M6 qui récupérera beaucoup du catalogue) puis plus tard en vidéo avec l’avènement du dvd et du Blu-ray - dont Dionnet anticipe l'un des apports avec la diffusion de Les Tontons Flingueurs commentée par Lautner en personne. L’ouvrage est tout aussi prenant pour les nostalgiques de l’émission que pour les néophytes ne l’ayant jamais regardé, et dépeint avec chaleur cette belle odyssée humaine et cinéphile.
Publié chez Carltotta et Badlands
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