Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 28 septembre 2010

Loin du Paradis - Far From Heaven, Todd Haynes (2003)


Dans l'Amérique provinciale des années cinquante, Cathy Whitaker est une femme au foyer exemplaire, une mère attentive, une épouse dévouée. Son sourire éclatant figure souvent dans les colonnes du journal local. Cathy sourit toujours. Même quand son mariage s'effondre, même quand ses amies l'abandonnent. Quand l'amitié qui la lie à son jardinier provoquera un scandale, elle sera forcée, derrière son sourire, d'affronter la réalité.

Loin du Paradis s'impose définitivement à la revoyure comme un des plus beaux films des années 2000. Pour le jeune cinéphile ayant été bouleversé à l'époque par le film de Todd Haynes en salle, le revoir aujourd'hui aurait pu être problématique voire même décevant. Un nom revenait constamment dans les critiques de l'époque sur l'influence majeure de Haynes pour son film à savoir Douglas Sirk. Ce dernier aligna en effet une série de mélodrame flamboyant au milieu des années 50 auquel Haynes rend hommage à travers son film. A l'époque les films de Sirk étaient introuvables en France et seuls les cinéphiles aguerris et plus âgés pouvaient analyser la mécanique de Todd Haynes. Entre temps Carlotta a édité presque tout les films majeurs de Sirk et il est temps pour Loin du Paradis d'être soumis à un oeil désormais plus connaisseur, avec l'énorme crainte de se retrouver devant un remake/pastiche à la manière du Psycho de Gus Van Sant sorti en 98 et reprenant plan par plan le classique de Hitchcock.

La démarche de Todd Haynes s'avère beaucoup plus complexe. Le scénario reprend la trame et les thématiques de deux chef d'oeuvres de Douglas Sirk à savoir Tout ce que le ciel permet (pour les amours contrariées d'une bourgeoise WASP provinciale et de son jardinier d'origine plus modeste) et Mirage de la vie (pour tout le contexte racial). De plus Haynes copie l'esthétique flamboyante des mélodrames de Sirk à travers la photo de Edward Lachman qui reproduit les atmosphères automnales au technicolor outrancier de Russel Metty (directeur photo de Sirk). Ajoutons certaines séquences et mouvements de caméra repris à l'identique, tel l'ouverture et la fermeture du film avec ce mouvement de grue aérien suivant l'arrivée et le départ de Julianne Moore. Certaines reprises sont même extérieures à Sirk comme ce plan vers la fin du film où Julianne Moore fond en larmes sur son lit issu de Les Désemparés de Max Ophüls (autre grand mélodrame au féminin.

Alors Haynes aurait il créé un objet destiné à titiller l'érudition du cinéphile et à voir au premier degré uniquement pour les plus ignorants ? Pas du tout. C'est là le grand exploit du réalisateur, quelque soit le degré de connaissance cette histoire frappe droit au coeur. Haynes pervertit les thématiques de Sirk en exprimant ouvertement (ce qui ne pouvait être fait à l'époque) une dimension sexuelle trouble sans perdre de cette tonalité feutrée. L'homosexualité du mari (joué par le très viril Dennis Quaid) se devine donc progressivement, par ses absences répétées, sa raideur devant les tentatives d'approches de sa femme avant d'être démasqué lors d'une scène terrible.

Julianne Moore quant à elle sous ses allures de femme d'intérieur modèle a bien du mal à cacher sa frustration, tel ce moment rieur et pathétique où ses amies se plaignent de l'appétit sexuel de leurs époux tandis qu'elle affiche un sourire compatissant et surtout envieux. Todd Haynes lui même homosexuel (aspect traversant nombre de ses film comme Velvet Goldmine) ayant probablement dû apprendre à s'affirmer dépeint ainsi le drame commun d'un Dennis Quaid égaré (terrible entrevue avec un médecin censé le "guérir) et de sa femme impuissante.

C'est là que peut intervenir la question raciale lorsque Julianne Moore délaissée ne semble pouvoir trouver le réconfort qu'auprès de son jardinier noir séduisant et prévenant. Il y a malgré tout une certaine facilité dans le choix de Dennis Haysbert (plus connu en tant que Président palmer dans la série 24) campant un noir un noir raffiné et amateur de peinture forcément attirant, il aurait peut être été plus risqué et intéressant d'en faire quelqu'un de plus ordinaire.

Du coup il est peu être un peu lisse car en face la prestation de Julianne Moore emporte totalement. Bouleversante dans son bonheur de façade, compréhensive à l'excès envers un mari égoïste et torturé elle offre un des plus beaux personnage féminin des années 2000. Julianne Moore retrouvait pour la seconde fois Todd Haynes après Safe et ce dernier lui offre son plus beaux rôle (avec La Fin d'une Liaison).

Il faut la voir l'oeil pétillant s'éveiller à la vie lors de la somptueuse scène où elle part en ballade avec Haysbert dans les bois où lorsqu'elle lui lance un You're so beautiful avant de s'arracher à lui à contrecoeur face aux regards des passant racistes. Enceinte au moment du tournage, sa prestation se teinte de toute la fragilité de sa condition (bien que habilement masquée par les ample robe mode 50's) la rendant d'autant plus émouvante. Haynes alterne les atmosphères bleutées et sombres lors des passages mélancoliques (ou évoquant les penchants du mari) tandis que celles avec Dugan sont constamment plus colorées, symbolique de son état d'esprit et de sa passion naissante le tout porté par une mise en scène ample et fluide. La musique "à l'ancienne" de Elmer bernstein (pour un de ses tout dernier score) porte haut l'émotion par son piano entêtant et lancinant, une merveille.

Todd Haynes en plus du racisme et de l'homosexualité propose un constat moral assez déprimant. Certes sa "déviance" est encore perçue comme une tare mais en tant qu'homme Dennis Quaid peut la dissimuler et tout quitter pour l'assumer, alors que Julianne Moore en tant que femme doit rester enfermée dans sa prison dorée quand la violence et l'intolérance empêche le rapprochement et l'amour interracial. Le tout est résumé lors de la séquence en fin de film où elle se confie à sa meilleure amie, compréhensive quant au penchants de son mari mais outrée lorsque l'amour de Cathy pour "le nègre" se dévoile.

La conclusion est poignante de résignation douloureuse et on se fiche alors bien des références, influences et clins d'oeils (encore nombreux tout au long du film) pour seulement partager la tristesse de Cathy après son dernier adieu et l'existence morne qui l'attend.


Sorti en dvd zone 2 français dans un édition assez pauvre malheureusement mais à l'image somptueuse voyez les captures !

3 commentaires:

  1. Un très, très beau film. Que Dennis Quaid n'ait pas eu droit à une nomination à l'Oscar du Meilleur Acteur dans un Second rôle cette année-là me semble être une grande injustice !

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  2. Oui il aurait mérité d'être nominé c'est vraiment un registre inattendu pour lui plus habitué au rôle de dur à à cuire. D'ailleurs Haynes joue vraiment bien de cette image là le choix n'était pas anodin...

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  3. Un film que j'ai toujours eu envie de voir... En plus, j'aime beaucoup le peu que j'ai vu de la filmo de Douglas Sirk. Cette image saturée de couleurs vives crée un effet très particulier.

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