Une équipe de
braqueurs prépare l'attaque d'un fourgon blindé à Los Angeles. Leur chef Neil
McCauley (Robert De Niro) et ses complices Chris Shiherlis (Val Kilmer),
Michael Cheritto (Tom Sizemore) et Trejo (Danny Trejo) peaufinent les derniers
détails. Pour réussir leur coup, ils engagent un nouvel associé, Waingro (Kevin
Gage). Le braquage, pourtant planifié dans les moindres détails, tourne mal à
cause d'une erreur de ce dernier et tourne au bain de sang. Les braqueurs
dérobent uniquement un lot de bons au porteur appartenant à un financier
véreux, Roger Van Zant (William Fichtner). L'enquête sur le braquage est
confiée à Vincent Hanna (Al Pacino), lieutenant aguerri de la police
criminelle. Une lutte à distance va s'engager entre Hanna et McCauley.
Heat fut le film
de la reconnaissance critique et publique pour Michael Mann. Le réalisateur
avait jusque-là déjà signé des œuvres marquantes mais s’étant soi confrontées à
l’échec commercial (Manhunter (1986) première
transposition cinématographique des méfaits d’Hannibal Lecter), soi où le grand
public ignorait son rôle dans le processus créatif (la série Miami Vice dont il produisit les trois
premières saisons). Son talent était alors uniquement reconnu par quelques
aficionados et il fut ainsi véritablement découvert avec Heat. Pourtant plus qu’une révélation, Heat constitue un aboutissement de toutes les recherches
esthétiques, narratives et thématiques de Michael Mann depuis ses débuts. Le
professionnalisme et la rigueur du héros « mannien » tel que défini
dans l’inaugural Le Solitaire (1981),
les atmosphères désenchantées et la noirceur de Miami Vice, l’imagerie urbaine bleutée et métallique de Manhunter, la densité narrative de l’ambitieuse
et méconnue série Les Incorruptibles de
Chicago (1986 – 1988), tout cela forme un tout grandiose et ambitieux dans Heat.
La trame même du film participe
également au parcours personnel de Mann. Au départ scénariste pour la
télévision (notamment les deux premières et meilleures saisons de Starsky et Hutch), Mann déjà soucieux de
réalisme et passionné de récit criminel noua de nombreux contact dans la police
ou auprès d’ex criminel comme l’écrivain Edward Bunker. C’est par ce biais que l'inspecteur
Chuck Adamson lui narra le récit de sa traque du braqueur Neil McCauly dans le
Chicago des 60’s, de l’admiration et du respect qui finit par se nouer entre le
chasseur et sa proie jusqu’à son arrestation mortelle en 1963. Fasciné par
cette histoire, Mann en tirera tout d’abord le téléfilm L.A. Takedown (1989) dont le format l’oblige à grandement tronquer
son ambitieux scénario de 180 pages. Après le succès du Dernier des Mohicans (1992), Mann a enfin la possibilité d’en tirer
toute l’ampleur requise dans Heat qui
sera également l’occasion de la rencontre (puisqu’ils partageaient l’affiche du
Parrain 2 (1974) sans se croiser) des
deux monstres sacrés Al Pacino et Robert De Niro.
Par son postulat donc, Heat
est une classique histoire de gendarme et voleur à laquelle Michael Mann va
amener une profondeur vertigineuse. Tout au long du récit, le scénario définira
le criminel Neil McCauley (Robert De Niro) et le flic Vincent Hanna (Al Pacino)
comme les deux revers d’une même pièce. La première scène d’attaque de fourgon
et la gestion de l’acolyte incontrôlable Waingro (Kevin Gage) montre d’emblée
la méticulosité et la détermination sans faille de McCauley. De même l’impressionnante
et rapide reconstitution du crime qui suit par Vincent Hanna. Tous deux sont
des professionnels entièrement dévoués à ce qu’ils savent faire de mieux, des
casses pour l’un et traquer les criminels pour l’autre. Une telle rigueur n’est
pas sans effet sur la vie personnelle. McCauley s’impose ainsi un ascétisme quasi
monacal où comme il l’affirmera plusieurs fois, il ne doit s’être fait aucune
attache qu’il ne pourrait quitter sans états d’âme dans les 30 secondes si les
flics pointent le bout de leur nez.
I'm
alone, I am not lonely / Je suis
seul, pas solitaire comme l’affirmera une de ses répliques, et Robert De
Niro par sa raideur, ses explosions de violence froide et son regard
constamment aux aguets expriment parfaitement cette idée. Les héros de Michael
Mann ne sont jamais aussi captivants que quand ils dévient de leurs préceptes
et se rendent vulnérable en osant exposer leur humanité (James Caan dans Le Solitaire, Tom Cruise dans Collatéral (2004)). Nul besoin de
surligner cela pour le réalisateur qui nous l’expose visuellement dans la scène
où De Niro rentre seul dans son appartement vide de meuble, pose son arme et
scrute la mer depuis sa baie vitrée tandis que s’élève les notes synthétiques de
Moby. Un moment de mélancolie suspendue typique de Michael Mann où l’émotion
passera par l’image, la caméra s’attardant sur le regard perdu dans le vague de
McCauley tandis que les teintes bleutées de la photo de Dante Spinotti
accentuent la dimension crépusculaire de la séquence.
Vincent Hanna quant à lui aura payé sa soif de justice par
une vie intime sinistrée. Survolté et imprévisible pour les malfrats qui
croisent sa route, il se referme et devient taciturne, comme en veille lorsqu’il
regagne le domicile conjugal au grand désespoir de son épouse (Diane Venora) et
de sa belle-fille (Natalie Portman). All
I am is what I'm going after / Je
suis ce que je pourchasse. Là aussi en une réplique le dilemme du
personnage et son mimétisme avec sa proie est défini.
Si De Niro rentre dans
une demeure vide après ses méfaits, Pacino lui s’éteint et se soustrait à son
environnement lorsqu’il rentre chez lui, toute son attention et son énergie ne
pouvant qu’être sollicités par son métier, son sacerdoce. Pacino dans un
registre plus nerveux et exubérant est formidable (le background du personnage
dans le script affirmait que le personnage consommait de la coke sans que cela
soit dit dans le film ce qui donne ce petit tour décalé et excessif dans la
prestation de l’acteur) de bagout et de présence fiévreuse.
Autour de ces deux astres, Mann fait naviguer un nombre
impressionnant de personnages secondaires qu’il parvient à faire exister quel que
soit leur temps de présence à l’écran. Ils servent à renforcer l’ampleur
narrative du récit (toute sa sous-intrigue avec le financier Van Zant (William
Fichtner) absente du téléfilm originel), son authenticité (le mentor taciturne
formidablement incarné par Jon Voight) mais aussi servir de reflet accéléré des
problématiques rencontrés par les deux personnages principaux. En dépit d’une
vie de famille rangée, Michael Cheritto (Tom Sizemore) ne peut se passer de l’adrénaline
des braquages tandis que Chris (Val Kilmer) semble inadaptée à une existence
normale sombrant dans le jeu et en conflit avec sa femme (Ashley Judd).
Mann s’astreint
dans Heat de toute la facette funeste
et de destinée typique du polar. La malchance n’a rien à faire ici, les
personnages s’astreignent à une certaine vision de la vie dans leur
comportement et ce sont des micros évènements où ils dévient de leurs choix
initial qui provoqueront leur perte. McCauley en laissant échapper Waingro en
début de film provoque ainsi les évènements tragiques de la dernière partie, et
s’éloignera de toute la rigueur qui le définissait au départ en allant se
venger et fatalement s’exposer à la fin. On pense également au repris de
justice en conditionnelle Donald Breedan (Denis Haysbert) rompant en un instant
ses bonnes résolutions pour le pire.
Mann définit ces conflits par un mimétisme contrasté dans l’opposition
de ces eux héros. Ce sera d’abord dans le calme d’un bar que se feront enfin
face McCauley et Hanna. S’étant déjà jaugé et ayant su apprécier les
compétences de l’autre dans son domaine, on aura non pas une confrontation mais
une affirmation de chacun d’aller jusqu’au bout quel que soit les conséquences
car c’est tout simplement leur métier. Deux professionnels face à face, froid
et décidé, si éloigné mais si proche en même temps.
Le réalisateur se refuse à
un plan d’ensemble qui les séparerait à l’image pour privilégier un champ
contre champ renforçant cette idée de revers d’une même pièce pour chacun des
protagonistes, l’intensité et la connexion étant telle que les gestuelles se
reflètent de l’un à l’autre (Pacino reprenant un mouvement de tête de De Niro
en lui répondant), les dialogues se répétant avec le calme froid de De Niro ou
la nervosité de Pacino. Le gunfight apocalyptique lors de la grande scène de holdup
up fait passer la parole à l’action dans un morceau de bravoure où le chaos
urbain a rarement été plus virtuose – lors de la Masterclass qu’il donna à l’occasion
de la rétrospective lui étant consacrée à la Cinémathèque Française en 2008,
Mann avait dévoilé l’impressionnant plan de bataille de cette séquence
qualifiée de World War 3 sur le planning de tournage ! -.
Un fracas de
balles, de verres brisé et de hurlement à l’issu duquel les héros sont
confrontés à des choix décisif. En quittant le chevet de sa belle-fille
meurtrie, Pacino renonce sans doute définitivement à son mariage mais s’assure
la possible capture de De Niro. Ce dernier, en oubliant sa pure logique d’efficacité
pour se venger, en révélant sa vraie nature et tombant amoureux d’une jeune
femme (Amy Brenneman) qui l’accompagnera dans sa fuite brise ses préceptes de
survie élémentaire qu’il s’était si rigoureusement imposé (Mann s'attardant longuement sur son visage impassible et son esprit en ébullition alors qu'il prend la mauvaise décision).
L’issue ne pourra qu’être
fatale dans une somptueuse course poursuite finale. Mann nous perd avec brio
loin des concepts de bien et de mal pour seulement montrer des êtres humains
face à leurs contradictions et le spectateur ne sait finalement plus qui il
souhaite voir vainqueur de cet affrontement. On retrouve cette émotion en
pesanteur dans le superbe plan final où une nouvelle fois, De Niro et Pacino n’ont
jamais semblé plus proche et plus éloignés par la seule force de l’image. Un
chef d’œuvre du polar d'un Michael Mann au sommet de son art et annonçant la suite avec les ambiances nocturnes urbaine de Collatéral et Miami Vice (2006).
Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Warner
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