Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 6 mai 2014

L'Extravagant Mr. Deeds - Mr. Deeds Goes to Town, Frank Capra (1936)

1936, Deeds, simple provincial d'une commune du Vermont, hérite d'une fortune fabuleuse et doit se rendre à New York pour la gérer. Sur place, il a affaire à un avocat véreux qui cherche à administrer ses biens à sa place, et à une jeune femme dont il tombe amoureux, ignorant qu'elle est journaliste chargée de rédiger des articles caustiques à son propos.

L'Extravagant Mr. Deeds est un tournant dans la carrière de Frank Capra, le film qui lance la série de grandes œuvres à conscience sociale du réalisateur avec Vous ne l'emporterez pas avec vous (1938), Monsieur Smith au Sénat (1939) et L'Homme de la rue (1941), les deux derniers reprenant d'ailleurs la structure initiale de Mr. Deeds avec cette idée d'un naïf confronté à une institution qui va le broyer. Cette conscience sociale n'est pas neuve chez Capra et notamment dans un film comme La Ruée (1932) mais c'est le succès de Mr. Deeds qui lui fera réellement comprendre l'impact de cette veine humaniste auprès du public et le poussera à développer de manière plus complexe et fouillée dans ces œuvres suivantes. Au départ le réalisateur est captivé par la nouvelle Opera Hat de Clarence Budington Kelland parue en 1935 dans la revue The American Magazine et partira de la base du récit (un brave homme provincial hérite d'une fortune colossale et de biens immobiliers dans une grande ville) pour le faire sien à travers le scénario du fidèle Robert Riskin. Alors que l'emploi du temps surchargé de Ronald Colman l'empêche d'attaquer Horizons Perdus qui devait être son film suivant (et finalement tourné l'année d'après), Capra se lance donc dans ce film charnière, engageant la star Gary Cooper authenticité incarnée pour être Mr. Deeds ainsi que Jean Arthur dans son premier grand rôle qui fera d'elle une star.

L'histoire voit donc un grand candide et innocent confronté à l'hypocrisie et au cynisme lorsque Longfellow Deeds (Gary Cooper) est tirée de sa province paisible pour se rendre à New York toucher le colossal héritage de 20 millions de dollars que lui a légué un oncle qu'il n'a jamais vu. Gary Cooper avec son croisement d'allure imposante, de visage à l'expression sincère et de regard rêveur impose immédiatement à la singulière personnalité du héros. Détaché des préoccupations superficielles de son nouvel entourage (voir comme il encaisse sans ciller l'annonce de sa fortune), Deeds est une énigme pour les citadins cyniques. Il n'est pas le grand benêt qu'une inévitable horde vautour espère plumer, ni l'idiot dont on peut se moquer en douce, notre héros réglant leur compte aux escrocs et aux mesquins en tout genre d'un crochet bien senti. Pas assez malléable pour les avocats véreux souhaitant avoir procuration sur sa fortune et trop droit pour alimenter la presse à scandale curieuse de ce nouveau riche, Deeds sera finalement victime de sa pureté d'âme et de sa quête d'une oreille sincère.

Il pense la trouver avec Louise Bennett (Jean Arthur) travailleuse sans le sous dont il va tomber amoureux mais cette dernière est en fait une journaliste qui profite de leurs rencontres pour alimenter ses articles où elle le ridiculise sous le sobriquet de "Cinderella Man". Gary Cooper est absolument formidable, entre lucidité et candeur enfantine, incarnant un Deeds qui est la spontanéité même : surexcité par la moindre sirène de pompier, empoignant son tuba dès qu'il a besoin de réfléchir, s'enfuyant et glissant comme un adolescent maladroit après avoir fait sa grande déclaration d'amour sous forme de poème.

Cherchant le meilleur dans chacune de ses rencontres et des lieux parcouru (la tirade sur la tombe de Grant où il est le seul à ressentir l'émerveillement et le poids de l'histoire de ce cadre) Deeds verra son allant progressivement brisé par la fausseté et la froideur que représente cette vie citadine égoïste. Cette fortune non désirée va s'avérer un poids insurmontable qui va le pousser au désespoir il saura mettre cette déception au service des autres. Capra n'a pas encore atteint la finesse de traitement de L'Homme de la rue et amène sans doute un peu grossièrement cette prise de conscience lorsqu'un fermier dans la misère vient violemment afficher sa triste réalité à Deeds. L'émotion et la vérité qu'il confère à la scène fait pourtant tout, notamment à travers le regard compatissant de Gary Cooper qui voit enfin une utilité à cette richesse : aider les plus démunis.

C'est l'extravagance de trop pour les puissants qui vont chercher à stopper cette noble entreprise. Le film est vraiment une matrice moins conceptuelle et sombre de Meet John Doe avec des êtres dont la dévotion et le désintéressement est un mystère insondable, une folie pour les nantis. On a presque une sorte d'anticipation d'anticommunisme primaire dans le rejet de l'action de Deeds (ses ennemis voyant dans son action un danger pour le pays mais contrairement au méchant faustien incarné plus tard par Edward Arnold dans L'Homme de la rue on reste ici à un degré plus terre à terre volonté d'enrichissement personnel sur le dos de Deeds). Deeds est un miroir du sentiment qui anime son environnement et face à cette fausseté et cynisme ambiant, il abandonnera la partie par un dépit le plongeant dans le mutisme lors de la cruelle scène de tribunal en conclusion. Le regard de ceux chez qui il a éveillé l'espoir et l'amour sincère qu'il a cru voir lui échapper va pourtant le réveiller.

La tirade finale de Gary Cooper (qu'il est d'ailleurs amusant de comparer dans une idée proche avec le discours solennel et grandiloquent du Rebelle (949) de King Vidor) est à l'image de ce héros espiègle, s'innocentant en confrontant chacun à ses petites tares. L'acteur fait totalement échapper le personnage à la figure d'archétype qui aurait pu le guetter, ce regard vers les autres, cet optimisme et naïveté étant ceux que tout un chacun espère éternellement conserver. Une foi contagieuse à l'image d'une Jean Arthur poignante dont les airs de calculs ne résisteront pas longtemps à l'extravagant Mr. Deeds. Capra émeut et tient en haleine jusqu'au bout avec cette œuvre chaleureuse.

Sorti en dvd zne 2 français chez Sony

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