Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La police cherche à coincer le caïd de
la pègre parisienne Pépé le Moko, réfugié dans la Casbah d'Alger avec sa
bande. Il y est intouchable, mais ne peut en sortir sans se faire
arrêter. Sa vie bascule le jour où il tombe amoureux de Gaby, une jeune
femme demi-mondaine, entretenue par un homme riche, passée là en
touriste, représentant tout ce que la Casbah n'est pas : parisienne et
sophistiquée. Cette relation est jalousée par Inès, maîtresse de Pépé.
L'inspecteur Slimane, lui, suit tout cela très attentivement : il compte
sur les conséquences de ce triangle amoureux pour faire sortir le caïd
de sa planque.
Un des chef d'œuvre de Duvivier et un des
films majeurs du réalisme poétique français qui porte au plus haut cette
tonalité de mélodrame tragique, ce romantisme désespéré et cette
dimension de l'échec. Duvivier (adaptant le roman d'Henri La Barthe)
offre ainsi une poignante et captivante marche en avant vers cet échec.
Tout est déjà dans la scène d'ouverture qui mêle inexorablement le
destin de Pépé (Jean Gabin) à cette tentaculaire Casbah d'Alger. Bien
avant son apparition à l'écran Pépé est baigné d'une aura mythologique à
travers le portrait de truand chevronné et insaisissable des policiers
qui le pourchasse, et la Casbah est son royaume. Par sa description
pittoresque, ses ruelles tortueuses, sa population grouillante et
cosmopolite, sa beauté et sa laideur, la casbah est un monde à part dont
Pépé est le maître. Une première péripétie où il se joue d'une
embuscade, séduit la mondaine Gaby (Mireille Balin) et s'enfuit avec une
nonchalante prestance.
On le comprendra pourtant assez vite, ce
royaume est aussi une prison pour Pépé terré là depuis 2 ans et sachant
que la police l'attends dès qu'il cherchera à quitter la casbah.
Duvivier amène progressivement la dimension oppressante de ce cadre,
d'abord narrativement en isolant son héros peu à peu isolé sous
différentes formes : la trahison avec des indicateurs rêvant de
s'enrichir en le vendant à la police, l'amitié où la seule figure
innocente tombera justement sous le coup d'une manipulation et bien sûr
la nostalgie de l'ailleurs, de chez lui, de Paname.
Sous ses dehors de
vrai truand implacable, Gabin incarne en effet une figure romantique
honnête à sa manière et fidèle en amitié dont la raison et la volonté
vacille peu à peu face à l'horizon constamment bouchée de la fourmilière
que forme le souk. Il faut ainsi les rares échappées sur les toits pour
apercevoir un bout de ciel et lorsque l'on pourra enfin apprécier les
grands espaces et cet environnement marin en conclusion, cette brève
respiration sera cruellement récompensée. Le décor façonné dans les
studios Pathé Cinéma (les quelques extérieurs étant tourné à Sète et à
Marseille) contribue grandement à cette facette étouffante et
cauchemardesque de la casbah, vraie extension mentale du mal être de Pépé.
L'amour et le mal du pays s'incarne
donc à travers Gaby et la belle romance qui se nouera avec Pépé. Cela
fonctionne d'ailleurs dans les deux sens, la gouaille de Gabin ramène
Gaby à une jeunesse loin de son présent de femme entretenue et
dépendante, tandis que la prestance et l'élégance de celle-ci dénote
avec la poussière de la casbah. Les magnifiques dialogues d'Henri
Jeanson ornent cette facette de la plus belle façon tel ce moment où
Gabin avoue à Muriel Balin qu'avec elle il entend presque le bruit du
métro, rustre et touchant. Cette nostalgie s'exprime de manière plus
sous-jacente et tout aussi poétique lorsque le personnage la chanteuse
déchue jouée par Fréhel (quasiment dans son propre rôle et tout aussi oublié à l'éoque du film) entonne un air évoquant
sa gloire passée tandis que le portrait de sa beauté disparue trône à
l'image.
Le film de gangsters truffé de mines patibulaires (chaque
acolytes étant caractérisés par un tic notamment la brute épaisse et
cupide incarné par Gabriel Gabrio) amorcé au départ, la course poursuite
avec les flics tenaces, tout cela s'estompe peu à peu au profit de
cette courte et passionnée évasion par les sentiments. C'est un être à
l'image de cette sinueuse et imprévisible casbah qui nous ramène au réel
avec le rusé et manipulateur inspecteur Slimane (excellent Lucas
Gridoux), vrai maître du jeu. Le manichéisme de la terre étrangère
hostile est atténué par l'amoureuse délaissée Inès (Line Noro), refuge
et source de rejet pour Gabin qu'elle sauve puis cause la perte finale.
La
conclusion est un summum inoubliable de tragédie, le regard embué de
Pépé, Gaby ne le voyant pas et un dernier adieu que les circonstances
cruelles rendent impossible. Puissant.
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