Alexandre Taillard de Vorms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plait aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Étrangères du pays des lumières: la France. Sa crinière argentée posée sur son corps d'athlète légèrement halé est partout, de la tribune des Nations Unies à New-York jusque dans la poudrière de l'Oubanga. Là, il y apostrophe les puissants et invoque les plus grands esprits afin de ramener la paix, calmer les nerveux de la gâchette et justifier son aura de futur prix Nobel de la paix cosmique.
Après l’élégance et la tonalité romanesque de son superbe La Princesse de Montpensier (2010), Bertrand Tavernier change radicalement d’atmosphère avec ce contemporain et trépidant Quai d’Orsay. Le film adapte la bd éponyme de Christophe Blain et Abel Lanzac, la trame s’inspirant de l’expérience du second, jeune diplomate (Antonin Baudry de son vrai nom) sous l’ère de Dominique de Villepin dont il était en charge d’écrire les discours. Tavernier renoue ainsi avec son brio pour dépeindre les environnements professionnels (L627, Ça commence aujourd'hui) mais cette fois teinté de comédie, genre auquel se frotte le réalisateur pour la première fois aussi ouvertement (même si Que la fête commence, Coup de torchon ou La Fille de D’Artagnan laissaient éclater déjà ce penchant pour la légèreté).
On fonctionnera ici dans le registre de la chronique où l’on
découvre les arcanes et le fonctionnement de ce ministère à travers le regard
du nouveau venu joué par Raphael Personnaz en charge du "langage", même
si le fil rouge sera la rédaction et la prononciation du fameux discours de De
Villepin/Lhermitte à l'ONU à la fin du film. Le comique fonctionnera autant
dans le fonctionnement chaotique et désorganisé du Quai d’Orsay que des
personnalités haute en couleur qui le parcoure.
En premier lieu on trouve donc
un Thierry Lhermitte qui trouve son
meilleur rôle depuis des lustres avec ce ministre flamboyant, égocentrique et
adepte du monologue grandiloquent. Il est bien entouré par des collaborateurs
tout aussi azimutés, l'hystérie ambiante étant toujours atténuée par un Niels
Astrup à contre-emploi en éminence grise calme et posée qui résolvant les
problèmes en coulisse et sachant caresser le ministre dans le sens du poil.
Personnaz (révélé par Tavernier dans La
Princesse de Montpensier) toujours
dans la réaction face à cette bande d'allumés est géniale de timing comique, tout en mines ahuries et n’a aucun mal à
exister au milieu de tous ces cabots égocentrique. Le rire fonctionne sur cette
notion d’excès également par les idées visuelles du réalisateur comme cette
écho qui précède les arrivées tonitruantes de de Lhermitte en ébullition, le
tourbillon de papier et les porte qui claquent à ses passages qui amènent une
énergie de screwball comedy bienvenue.
Les dialogues savoureux servent aussi toujours le propos notamment les
tordantes envolées sur les stabilos ou
les citations d’Héraclite (celles-ci ponctuant
tout le film) qui traduisent pourtant bien l’anxiété du ministre.
La grande qualité du film est d'avoir une vision drôle sans
tomber dans la satire ou le cynisme, tout ce petit monde étant parfaitement
compétent et capable de vraie grandeur que ce soit dans la ligne toujours
claire de Lhermitte (une indépendance gaullienne à l’opposé de l’atlantisme
récent de la diplomatie française) malgré toute ses extravagances qui aboutira
au discours final et aussi un épisode en Afrique où il s'expose physiquement
pour stopper sur place un embryon de guerre civile (toutes les péripéties
reprises de la bd s'inspirant de faits réels). Entre les pratiques inattendues
(on en apprendra de belles sur le système des questions à l'assemblée national
téléguidée à l'avance) et le fonctionnement surprenant (pas d'internet au
ministère par crainte de fuite l'intrigue se déroulant en 2002/2003) Tavernier
informe tout en amusant constamment.
Le
réalisateur avoue s’être grandement inspiré du film anglais In the loop d’Armando Iannucci (2009) mais plutôt que la pure farce de ce
dernier, on pense plus à l’excellent La
Guerre selon Charles Wilson (2007) avec ce même portrait d’un politique
bouffon, extravagant mais réellement concerné. Du coup le rythme est assez
étonnant, guidé par les évènements plus que par les personnages et on s'inscrit
dans le quotidien du cabinet constamment sur le qui-vive mais sans céder à une hystérie
qui ferait sortir la comédie de son cadre réaliste. Entre chaque écart et
moment de folie s'intercalent des respirations bienvenues grâce au personnage
d'Astrup son calme et ses siestes ou les scènes intime entre Personnaz et sa
petite amie Anaïs Demoustier. Une comédie sachant se moquer de nos politiques
sans les ridiculiser, montrant leur travers sans négliger leurs
compétences. C’est en somme typique du
cinéma de Bertrand Tavernier, souvent porteur d’espoir dans ses œuvres les plus
positives.
En salle
Un beau duo qui annonce un très bon film !
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