L'année 1945 a marqué un tournant dans l'histoire de la Grande-Bretagne. L'unité de son peuple pendant les combats de 1939-1945, et le souvenir douloureux de l'entre-deux-guerres ont conduit à l'émergence d'un nouvel idéal social. La fraternité est ainsi devenue le mot d'ordre de cette époque. L'esprit de 45 entend mettre en lumière et rendre hommage à un moment-clé de l'histoire du Royaume-Uni, marqué par un sentiment de solidarité sans précédent dont l'impact a été significatif pendant de nombreuses années, et qui risque pourtant d'être redécouvert aujourd'hui.
La Part des anges, son excellent dernier film récompensé à Cannes (et son plus positif depuis longtemps) l’an dernier est encore frais dans les esprits que Ken Loach revient déjà avec le documentaire L’Esprit de 45. Ce documentaire évoque la période charnière de l’immédiat après-guerre en Angleterre où un pays vainqueur mais dévasté avait tout à reconstruire. La population sortait de d’années difficiles entre les bombardements allemands et les privations diverses mais à force de d’abnégation et de solidarité avait su tenir le choc et contribuer à l’effort de guerre (les femmes contribuant à la fabrication d’armes en usines tandis que les hommes étaient au front) pour maintenir le pays hors de l’eau. C’est ce même élan de solidarité qui allait permettre de le pays à partir de cette année 1945 où le cauchemar prenait fin et la vie pouvait reprendre. Loach mélange donc image d’archives nationale et régionale, témoignage d’époque et contemporain pour dépeindre cette période tout en y apposant son point de vue puisque malgré les difficultés L’Esprit de 45 représente une forme de paradis perdu pour lui. On pourrait facilement faire des reproches assez évident au film : idéalisation d'une époque révolue, raccourcis dans la manière de fustiger le capitalisme moderne. Ce serait une erreur tant à traverses vision d'une réalité sociale crue, le point de vue Loach est constamment guidé par une volonté d'acte militant. Cette vérité et ces injustices doivent être dépeintes avec un esprit coup de poing où la subtilité n'a pas toujours sa place (mais son esprit frondeur est infiniment plus sincère et bien moins narcissique et ambigu qu'un Michael Moore par exemple) l'idéal de ce malgré tout optimise repose donc dans cette période qui le ramène à des images de son enfance (il avait 9 ans en 1945) et forme la source inconsciente de son engagement.
Ken Loach avait récemment ironisé sur la mort de Margaret
Thatcher dont il proposa de privatiser les funérailles. Le réalisateur n’eut de cesse tout au long de
sa carrière de fustiger la politique de la Dame de Fer (comme par exemple The Navigators et les conséquences de la
privatisation des chemins de fers plaçant les cheminots dans une situation
critique) car c’est avec elle que disparait définitivement cet idéal d’une
Angleterre unie, se retroussant les manches et avançant collectivement pour
faire évoluer sa socio-économique. Avec ses réformes radicales et sans états
d’âmes faisant voler en éclats certaines industries emblématiques comme les
mineurs, Margaret Thatcher intronisa le libéralisme économique froid et
pragmatique ne se préoccupant plus de l’humain.
L’œuvre de Ken Loach court
ainsi constamment après cet idéal de fraternité passée. Dans ses premiers films
(et ses productions pour la télévision britannique), Loach marcha tout d’abord
sur les traces des chantres du Free Cinema du début des années 60. Ce fut une
génération de jeunes réalisateurs (comme Karel Reisz, Lindsay Anderson, Tony
Richardson ou John Schlesinger) qui ruèrent dans les brancards pour évoquer le
mal être de la jeunesse d’alors bloquée vers une existence conformiste par
cette même génération usée qui vécut la guerre et s’accommodait d’une vie
médiocre après les privations d’antan. Cela donna quelques classiques du cinéma
anglais comme La Solitude du Coureur de Fond (1962), Billy le menteur
(1963) ou Samedi soir, dimanche matin (1960).
Suivant ce modèle, les premiers films de Loach s’attèlent
alors ainsi souvent à des destins individuels comme la jeune femme paumée de Pas de larmes pour Joy (1967), le petit
garçon de Kes (1969) ou l’héroïne
brisée par son séjour en hôpital psychiatrique dans Family Life (1971). La faillite vient alors autant du mode de
pensée dépassé des adultes que de la société mais avec l’intronisation de Thatcher
Loach ira en fustigeant les le système et ses institution de manière de plus en
plus virulente. Ce sont les services
sociaux inhumains du bouleversant Ladybird
(1994), le travail précaire dans Raining
Stones (1993) ou Riff Raff
(1990), les conditions de travail intenables des cheminots dans The Navigators (2001).
Le désespoir
total est pourtant souvent évité grâce à cet esprit de 1945 que Loach instaure
dans sa descriptions chaleureuse des communautés pauvres où cette solidarité et
esprit d’entraide s’est maintenu, à défaut de l’être en plus haut lieu. On
retrouve également cette lueur dans les poignantes histoires d’amour capable de
naître dans cette adversité comme Carla’s
Song (1995) ou plus récemment Just a
kiss (2004). Une volonté de s’élever et réussir difficile mais pas
forcément inaccessible comme on pouvait le voir dans La Part des anges (2012) justement qui débutait dans la pure
violence pour devenir une comédie pleine d’espoir. Pour Loach l’esprit de 1945
doit revenir au centre des préoccupations sans que l’on ait besoin d’une
nouvelle guerre pour se soucier du sort de son voisin. Le combat continue.
Sorti en dvd zone 2 français chez Why Not Productions
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