Masaki Kobayashi avait réalisé avec ses deux films les plus connus les chambarras Hara Kiri (1962) et Rébellion (1963) un brillant diptyque où en se réfugiant dans le passé d’un Japon féodal il sut dénoncer les maux contemporains du pays et plus précisément du régime autoritariste qui mena le mena au désastre durant la Seconde Guerre Mondiale. Ce passé proche et douloureux, Kobayashi l’aborda frontalement quelques années auparavant dans ce qui reste son œuvre maitresse, la fresque La Condition de l’homme. C’est un film monstre de près de neuf heures qui sortira en trois partie en 1959 et 1961. La trilogie suit la vie de Kaji (Tatsuya Nakadai), jeune intellectuel pacifiste japonais tentant de survivre à l'époque du Japon fasciste et impérialiste de la Seconde Guerre mondiale.
Il n'y a pas de plus
grand amour
Ce premier volet donne dans le grand récit humaniste dans un
ton à la fois pessimiste et plein d'espoir où le héros Kaji chargé, chargé par
son entreprise d'assurer le travail de prisonniers chinois en Mandchourie va se
retrouver déchiré entre ses convictions et les réalités de la situation de
guerre. Méfiance constante des prisonniers chinois face à ses tentatives de
rapprochements, cruauté vindicative de l'autorité représenté par l'armée
japonaise et ceux qui y sont soumis, les obstacles sont légions. Kobayashi
prend son temps pour mettre à jour tous ces conflits, les motivations et
opposition entre les personnages magnifiquement écrit (le jeune Chen est
vraiment émouvant tout comme l'histoire entre Kao et la prostituée).
La
situation semble inextricable jusqu'à un final d'une intensité incroyable où
l'union va enfin se faire pour stopper une exécution révoltante orchestrée par
l'armée. Kobayashi fustige une nouvelle comme dans ses chambarras une certaine
forme de fanatisme ayant cours dans les hautes sphères japonaises, l'armée
ayant pris la place du Shogun. Même propension aussi pour les héros martyrs
avec un Kaji qui va payer le prix fort pour ses convictions. L'écriture est
vraiment remarquable avec ce personnage qui doute, se trompe lourdement et
s'égare malgré ses bonnes intentions et qui finalement trouve sa voie de
rebelle à l'autorité. Trois heures captivantes, intenses et poignantes.
Le Chemin de
l'éternité
Dans la deuxième Kaji désormais enrôlé dans l'armée se
trouve en opposition avec les brimades quotidiennes et les injustices tolérées
des officiers. La partie dans le camp d'entraînement est particulièrement
éprouvante (et on se dit que Kubrick y a sûrement trouvé inspiration pour son Full
Metal Jacket) entre les humiliations subies par les assimilés communistes
ou les plus faibles comme Obara et sa mort tragique. Cette autoritarisme et
cette brutalité son dénoncé avec la même force que le premier volet mais qui se
propage là au-delà même de l’armée Tout au long du film, Kobayashi l’illustrant
notamment avec une infirmière chef odieuse lorsque Kaji se trouve à l'hôpital.
Chaque moment de bonheur (belle scène avec la visite de Michiko) semble voué à
être éphémère et punie aussitôt par de nouvelle souffrances. La dernière partie
enfonce le clou du Kaji martyr lorsqu'il se trouve en charge des civils enrôlés
et que ses méthodes plus humaines s'opposent à celle des anciens plus porté sur
la torture et l'humiliation. La dernière séquence avec l'armée japonaise mise
en déroute par les russes est un grand moment.
La Prière du soldat
Pour qui aura entamé les 9h d’une traite, ce dernier épisode
pourra apporter une certaine lassitude car dans la continuité en encore plus
éprouvant et désespéré. . Kobayashi ressasse les mêmes idées dans une tonalité plus introspective avec la longue
errance sans but dans le désert et la forêt mandchoue. Kaji y perdra ses
dernières illusions, s’éloignant de plus en plus du jeune idéaliste de la
première partie. Une nouvelle fois la mesquinerie et le sadisme des japonais
haut placé a court lors du passage dans le camp de prisonnier russe où les
officiers ne font rien pour soulager leu compatriote dans la misère. Kobayashi
montre des japonais en déroute mais qui ne changent pas, illustrant bien les
raisons qui les ont fait perdre, un manque de solidarité et un individualisme
cruel.
Le schéma "Kaji seul contre l'injustice" lasse une peu tout de
même mais la mise en scène fabuleuse de Kobayashi évite le sentiment de redite,
sa manière de rentrer dans la psyché dévastée de Kaji est scotchante, notamment
le passage de l'entrevue avec l'officier russe (où le mirage du socialisme est
bien éteint aussi) presque théâtral où tout le décor s'obscurci autour de Kaji
la tête dans les mains et accablé.
La marche finale désespérée est tout aussi
puissante (précédé par une vengeance qui ne réussit même pas à être exutoire
pour le spectateur) porté par une prestation fiévreuse de Tatsuya Nakadai. Une
épopée dans les ténèbres qui offre un très grand moment de cinéma. Après ce
tour de force, Kobayashi a su donner un tour tout aussi efficace et plus dense
à ses idées dans Hara Kiri et Rébellion. On oublie cependant les
quelques longueurs et lourdeur par cette rage de dénoncer, parfaitement secondé
par un acteur en état de grâce. Un monument du cinéma japonais.
L'intégrale est disponible dans un beau coffret chez Carlotta
Il m'aura fallu plusieurs sessions pour venir à bout de ce mastodonte, mais quelle retournement. L'une des dernières scènes (quand les prisonniers japonais mangent leur pitance pendant que les soldats soviétiques chantent au loin) est d'une force quasi mythique : on sent à la fois la douleur des vaincus, l'humanité possible de ceux qui chantent en choeur... magistral.
RépondreSupprimer