À Paris, à la fin du XIXe siècle, le peintre Henri de Toulouse-Lautrec, à cause de sa difformité, noie son mal de vivre dans l'alcool et en compagnie des filles légères de Montmartre. Il devient un client assidu du Moulin Rouge dont il va exécuter, sans le savoir et pour la postérité, les portraits de quelques artistes qui deviendront les figures emblématiques d'un cabaret mythique...
Moulin Rouge est
un des films réalisés par John Huston durant son exil en Irlande au début des
années 50, le réalisateur fuyant l’atmosphère délétère d’un Hollywood gangréné
par la chasse aux sorcières, où certains de ses amis sont mis au banc des
studios. Trois films seront réalisés par Huston et coproduits entre
l’Angleterre (par le futur réalisateur Jack Clayton, encore producteur) et les
Etats-Unis durant cette période : Plus
fort que le diable (1953), Moby Dick
(1956) et donc Moulin Rouge, le plus
directement imprégné de cette escale européenne. Le film offre une première
preuve de la versatilité d’un Huston jusque-là surtout partagé entre le film
noir et film d’aventures, et que l’on n’attendait pas forcément sur ce type de
fresque bariolée.
Le film adapte le roman éponyme de Pierre La Mure, paru en
1950, et est autant un biopic de Toulouse-Lautrec qu’une évocation d’une
époque, d’une ville et de ce quartier de Montmartre foisonnant de fêtes et de
créativité symbolisée par le Moulin Rouge, lieu de toutes les folies et de tous
les plaisirs.
C’est donc sur le tumulte du célèbre cabaret que s’ouvre le
film, la caméra de Huston accompagnant les French Cancan endiablés de La Goulue
et ses partenaires, l’entrée en scène et l’élégance frivole de Jane Avril, les
mines béates et le murmure admiratif des spectateurs. Parmi eux, un homme se
distingue, partie prenante et à la fois extérieur à la frénésie ambiante,
accroché qu’il est à sa feuille de dessin et à sa bouteille de cognac. C’est
Henri Toulouse-Lautrec (José Ferrer), qui avec d’autres artistes a trouvé un
foyer dans ce cadre extravagant, repère des parias et des excentriques.
A
travers le regard de Lautrec, Huston s’attache autant à la frénésie créatrice
qu'à la fange de ce monde où s’accomplir est le seul échappatoire à une sombre
destinée. Traité avec affection et respect par la communauté gravitant autour
du Moulin Rouge, Lautrec retrouve les complexes et la douleur de son handicap
dès qu’il en sort, le flashback sur son passé s’amorçant justement dès qu’il
quitte le cabaret. Cette focalisation sur Toulouse-Lautrec constitue un atout
mais aussi un handicap pour l’équilibre du film.
Porté par la belle
interprétation de José Ferrer, le peintre exprime toute l’excentricité, la
passion et la nature autodestructrice qui lui sont associées à travers des
éléments souvent touchants. Le flashback narrant son accident et les rejets
qu’il eut à subir, l’orageuse relation avec la vénale Marie Charlet (Colette
Marchand) et enfin son incapacité à accepter l’amour sincère de Myriam Hayam
(Suzanne Flon remarquable) constituent ainsi des moments très émouvants. Le
problème est que le script peine à effectuer un vrai liant dramatique entre
Toulouse-Lautrec et le cadre où il évolue, qui devrait être le personnage
secondaire du film. Quelques pistes sont lancées, tel le refuge dans son art
qui le sauve du suicide, l’évolution du Moulin Rouge d’un espace exubérant des
laissés-pour-compte à un lieu aseptisé où se bouscule le Tout-Paris, mais tout
cela reste trop diffus.
Ce que John Huston échoue à exprimer du côté narratif, il y
réussira avec brio sur la facette esthétique puisque c’est ce qui le préoccupa
principalement durant la préparation du film. Huston avait demandé à son
directeur photo Oswald Morris une texture laissant à penser que «
Toulouse-Lautrec avait réalisé le film. » Pour ce faire, le réalisateur engage
également Eliot Elisofon, photographe à Life Magazine, afin d’expérimenter un
filtre apte à rapprocher les couleurs de la gamme chromatique des tableaux de
Toulouse-Lautrec.
Moulin Rouge fut
ainsi tourné en Technicolor trichrome, où les trois couleurs primaires
gagnaient ou perdaient en intensité et contraste selon de savantes
manipulations pour inscrire chaque personnage dans une gamme bien définie :
Toulouse Lautrec à travers un filtre vert variant au fil des absorptions
d’absinthe, la dépravation de Marie via un filtre violet et la douceur paisible
de Myriam dans un filtre rose.
Ces choix rapprochent grandement Moulin Rouge des expérimentations d’un
Jack Cardiff ou d'un Christopher Challis chez Powell & Pressburger, la
teinte se rapprochant souvent du Technicolor si particulier du cinéma anglais.
Lors des scènes en campagne durant les flashbacks, on pense presque se trouver
dans La Renarde au détour de quelques
plans. Les compositions des plans, le choix des costumes et les
postures de personnages dans ceux-ci constituent des allusions constantes aux
tableaux et affiches réalisés par Lautrec.
Pour éviter la censure, les vrais
tableaux apparaissent notamment sous forme de transitions ou d’associations
d’idées, l’attrait de Lautrec pour des modèles féminins vieillissants se
dévoilant par quelques peintures d’épouses ou de prostituées dans des
situations intimes mais toujours dignes. Cela donnera quelques moment
intéressants lorsque Lautrec rabrouera une femme lors d’une exposition en lui
révélant la vraie nature d’un tableau qu’elle jugeait scabreux, ou encore les
réactions contrastées à sa fameuse affiche pour le Moulin Rouge qui mettent en
avant La Goulue.
C’est par ces audaces visuelles que l’émotion parvient
d’ailleurs à naître plus que par la construction dramatique boiteuse (la
déchéance finale et la mort quelque peu expédiée de Lautrec). C’est également
ce qui vaudra principalement sa reconnaissance au film, avec notamment deux
Oscars pour les décors et les costumes de Marcel Vertès. Le tournage
essentiellement en studio (aux Studios de Shepperton ainsi que des extérieurs à
Paris) favorisa cette volonté de recherche plastique de Huston qui, sans signer
son meilleur film, propose un objet singulier annonçant les dérapages de la
flamboyante tentative que signera Baz Luhrmann bien des années plus tard.
Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films
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