mardi 3 décembre 2013
La Kermesse héroïque - Jacques Feyder (1935)
En 1616, la domination espagnole s'exerce moins sévèrement en Flandres. Alors qu'ils préparent leur kermesse, des villageois apprennent la venue d'une délégation menée par le duc Olivares. Le bourgmestre, traumatisé par les pillages et violences subies sous l'occupation, se fait passer pour mort. Sa femme, révoltée par sa couardise, joue l'hôtesse de charme pour le duc et son cortège de fringants soldats.
Jacques Feyder signe un des plus grand classique du cinéma français des années 30 avec cette Kermesse héroïque qui annonce la veine du réalisme poétique à venir et qui saura inspirer un Marcel Carné ici assistant réalisateur. L'intrigue nous plonge en plein XVIIe siècle dans une Flandres sous domination espagnole et plus précisément dans la petite ville de Boom. Le pouvoir espagnol a tendance à se faire moins dur à cette période mais le souvenir des violences d'antan reste encore vivace parmi la population. A l'annonce du passage prochain d'un cortège de soldats espagnols, les fantômes de ce passé douloureux se réveille et cette peur s'incarne dans une scène de cauchemar d'une noirceur et barbarie saisissante jurant avec la légèreté du baignant le reste du film.
Cet antagonisme s'estompera dans un message placé sous le signe du rapprochement et du féminisme. En effet dès l'ouverture les préjugés s'illustrent à travers les protagonistes masculins du village, faisant des femmes les être les plus responsables. On découvre l'immaturité des hommes du village et plus précisément du bourgmestre (André Alerme) prenant la pose pour une peinture tandis qu'en parallèle son épouse Cornelia (Françoise Rosay) dirige d'une main de fer leur maisonnée. Cette même absence de jugement s'exprime lorsqu'il donnera par intérêt la main de sa fille Siska (Micheline Cheirel) au très balourd boucher local (Alfred Adam) alors qu'elle n'a d'yeux que pour le jeune peintre Jean Bruegel (Bernard Lancret).
Le manque de discernement et la balourdise masculine s'oppose ainsi à la passion et clairvoyance toute féminine de Siska et Cornelia soutenant le choix de sa fille en vain. Toute cette injustice et destin cruel en marche seront bouleversés par l'annonce du futur passage de l'armée espagnole. La situation va exacerber le manque de clairvoyance et la lâcheté ordinaire des hommes tandis que l'astuce des femmes pourra enfin se révéler au grand jour. Alors que le bourgmestre et les autres hommes du village simulent leur mort, les femmes vont accueillir chaleureusement les visiteurs.
Esthétiquement le film se veut pour Feyder un hommage à l'âge d'or de la peinture flamande et ce parti pris peut éclater au grand jour lorsque les héroïnes s'épanouissent enfin. Loin des pleutres et rustres flamands, les espagnols s'avéreront des êtres charmant, séducteur et raffinés, leur passage durant cette kermesse s'avérant un merveilleux aparté où le doux romantisme côtoie le marivaudage le plus enlevé et sautillant. La scène d'arrivée du cortège est un grand moment, donnant enfin tout sa plénitude au sentiment de tableau en mouvement avec les mouvements de caméras alambiqués de Feyder, la composition de plan fouillée tandis que le montage et les cadrages mettent idéalement en valeur la prestance de ces espagnols.
Les costumes sont somptueux et le travail sur les décors impressionnant, émerveillant lors des scènes de foules notamment la séquence de bal faisant réellement figure de tableau en mouvement à la profondeur de champ soufflante. Cette démonstration est au service d'une tonalité piquante où les femmes s'encanaillent et séduisent joyeusement des soldats espagnols qui n'en demandent pas tant, et un sentiment de fête et de joie permanent entre banquet homérique t danses endiablées.
On s'amuse et rit de bout en bout avec foule de personnages truculent dont au retiendra un Louis Jouvet irrésistible en chapelain pieux mais bon vivant et l'hilarant nain Delphin qui ne s'en laisse pas compter. Une tonalité plus sensible pourra naître sous l'amusement avec les belles scènes entre le duc d'Olivarès (Jean Murat) et une Cornelia qui n'en reste pas moins femme et succombant au charme et à la délicatesse du duc. Françoise Rosay est très touchante, surprise et gauche dans l'expression de ses sentiments mais le sens des responsabilités dominera en s'assurant de l'avenir de sa fille.
Un beau moment qui épate encore dans sa conclusion entre drôlerie et mélancolie latente. Malgré une polémique en Flandre (où les hommes se sentiront associé à des lâches et collaborateurs avec l'allusion sous-jacente à l'Occupation allemande durant la guerre 14-18) le film sera un immense succès laissant ainsi prévaloir le vrai message de paix de Feyder.
Sorti en dvd zone 2 français chez LCJ
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Oh oui avec une belle photo on aurait eu de manière encore plus flagrante la sensation de tableau en mouvement. On peut fantasmer ce qu'un Jack Cardiff aurait fait de pareille matière ;-)
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