Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Miracle au village - The Miracle of Morgan's Creek, Preston Sturges (1944)
Trudy Knockenlocker est la fille du commandant de la garnison locale. Après la fête d'adieu des soldats, lui reviennent de vagues souvenirs d'un soldat auquel elle serait mariée. Pourtant, elle ne se rappelle pas de son nom. Quelques semaines plus tard, elle découvre qu'elle est enceinte... Entre en scène Norval, un camarade de classe. Mis au parfum, lui propose de devenir le père de l'enfant.
Preston Sturges aura traversé comme un météore le paysage du cinéma américain. Inaugurant par son audace la segmentation d’alors en étant le premier scénariste intronisé réalisateur à Hollywood, Sturges aura connu un âge d’or fulgurant de l’inaugural Gouverneur malgré lui (1940) à The Great Moment (1944) qui amorcera son déclin en dépit d’autres réussites commeInfidèlement vôtre (1948). Un moment où tout semble lui réussir avec un mélange détonant de comédie et mélodrame explorant des thèmes sociaux audacieux. Le traitement comique est novateur, introduisant des éléments de cartoon et de parodie qui rénoveront la comédie américaine de la décennie suivante tandis que sous cette facette l’argument dramatique n’appelle pourtant pas à la gaudriole et est encore souvent marqué par la Grande Dépression des années 30. C’est le couple pensant à tort avoir gagné à la loterie dans Christmas in July (1940) ou encore la dernière partie étonnamment sombre des Voyages de Sullivan (1941). Miracle au village allait s’inscrire dans cette lignée et chronologiquement se situe dans cette période d’ébullition créatrice puisque bien qu’il soit sorti en 1944, le film fut tourné en 1942 et retardé à cause d’un embouteillage de nouveautés à sortir au sein de la Paramount.
Le postulat est des plus provocateurs et audacieux, narrant les mésaventures de la jeune Trudy (Betty Hutton) qui suite à une fête d'adieu de soldat trop arrosée dans son village se réveille mariée et enceinte sans avoir aucun souvenir du père. Norval (Eddie Bracken), son meilleur ami et amoureux d'elle depuis l'enfance entre en scène et décide de l'aider en l'épousant. Mais pour cela il faut trouver le moyen d'annuler le premier mariage, rester discret pour ne pas s'attirer la vindicte morale du village et surtout dissimiler les évènements au très orageux et protecteur père de Trudy génialement joué par William Demarest. Une situation anodine aujourd'hui prend des proportions monumentales dans la société américaine prude des années 40. Le script est d’ailleurs si habilement ficelé que le film malgré ses écarts passera entre les mailles du Code Hays alors qu’à la première lecture en 1942, seulement dix pages en seront approuvées. L’intelligence de Sturges sera d’entremêler une réelle dimension morale à un regard critique sur les dysfonctionnements de l’époque sous couvert d’humour. Le contexte de cette Amérique en guerre suscite fascination et une dévotion pour l’uniforme militaire amenant une idolâtrie démesurée et une promiscuité malencontreuse entre les « boys » en permission et les jeunes filles énamourées. Sturges avait déjà abordé ce thème dans son remarquable Héros d’occasion (1944) où Eddie Bracken malheureux réformé passait pour un héros de guerre et amenait l’hystérie collective dans sa petite communauté fière de l’enfant du pays. Le suivisme des masses en quête d’une image plutôt que d’une personne – on peut ajouter l’inaugural Gouverneur malgré lui (1940) sur ce thème -, la goujaterie militaire cherchant du bon temps et une prévention des jeunes filles forment ainsi un tout cohérent et inattaquable.
Ce suivisme des masses aveugles est tout aussi intense pour exprimer
l’opprobre moral envers notre héroïne, là aussi la jeune fille en
détresse étant oubliée pour le seul jugement intolérant envers celle qui
a fautée. Les gags et situations loufoques viennent atténuer le sort
pourtant peu enviable des filles-mères quasiment livrées à elles-mêmes
et il faudra les stratagèmes les plus farfelus pour s’en sortir. Les
quiproquos et situations extravagantes sont légions notamment la
grandiose séquence où Trudy et Norval vont tenter de se marier sous de
faux noms, l’anxiété du second s’avérant un écueil de taille. Eddie
Bracken est un chevalier servant aussi ordinaire qu’attachant, dévoué à
sa dulcinée dont il veut sauver l’honneur. Betty Hutton dans un rôle
potentiellement frivole et/ou antipathique dégage aussi une belle
émotion dans la culpabilité de son personnage, notamment la scène où
elle ne peut se résoudre à piéger Norval pour qu'il l'épouse et lui
avoue tout. On retrouve à travers eux la tendresse de Preston Sturges
pour les gens du peuple, toujours juste quand il adopte leur point de
vue – Christmas in July – et jamais condescendant lorsqu’il prend celui
d’un bienfaiteur comme dentiste de The Great Moment ou le cinéaste des
Voyages de Sullivan.
Les seconds rôles sont tout aussi truculents et en plus de William
Demarest, Diane Lynne (un peu mûre pour les 14 ans de son personnage) en
petite sœur espiègle et à la langue bien pendue est adorable. Le film
constituera un vrai tour de force jusque dans la conclusion pour
décanter une situation inextricable où il est question de la nature très
particulière de l'accouchement de Betty Hudson. Un final délirant
typique du réalisateur qui en avait façonné un tout aussi fou dans The
Palm Beach Story (1942) notamment. Cerise sur le gâteau, on savourera
l’autocitation en retrouvant Brian Donlevy et Akim Tamiroff qui
reprennent leur rôle de Gouverneur malgré lui en ouverture et en
conclusion. Un bijou de comédie.
Disponible en dvd zone 1 doté de sous titres anglais chez Paramount
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