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mardi 14 juin 2011

Blue Collar - Paul Schrader (1978)


Trois ouvriers des usines automobiles Checker a Detroit tentent de s'opposer a l'immobilisme et a la corruption du syndicat.

En cette fin des années 70, Paul Schrader est avec Robert Towne (Chinatown) le scénariste le plus en vue d’Hollywood. Si Towne ne convaincra jamais derrière la caméra, Schrader a lui d’autres ambitions, renforcées par la consécration du Festival de Cannes 1976 où Taxi Driver et Obsession (respectivement écrits pour Scorsese et De Palma) sont en compétition, le premier remportant même la Palme d’or. Rongeant son frein après que (selon lui) sa participation au scénario de Rencontre du troisième type ait été passée sous silence par Spielberg, les portes de la mise en scène lui sont enfin ouvertes par les studios. Blue Collar constitue une première œuvre brillante mais également surprenante puisque dénuée des thèmes personnels de Schrader développés dès le film suivant Hardcore et du style visuel très léché de La Féline.

Comme la plupart de ses œuvres les plus inspirées conçues entre les années 70 et le milieu des années 80, le scénario de Blue Collar est co écrit par Paul Schrader et son frère Leonard. Trop peu souvent cité dans les réussites de Paul à cette époque, sa contribution est pourtant essentielle. Ayant longuement vécu au Japon et fortement imprégné de cette culture, c’est lui qui apporte l’idée de leur premier scénario à succès Yakuza (réalisé par Sidney Pollack en 1975), un des plus beaux et respectueux exemples d’hybridation entre cinéma américain et nippon. De la même façon, il dirigera Paul vers le biopic de l’écrivain controversé Yukio Mishima dont ils écriront le scénario (retranscrit en japonais par sa propre femme, Chieko Schrader). C’est à nouveau lui qui trouvera l’idée lorsque Paul Schrader sera en recherche d’un sujet pour son premier film. Tombé par hasard sur une grève d’ouvriers de l’automobile, il a la surprise après renseignement de constater que ceux-ci ne protestent pas contre leurs patrons, mais contre les syndicats qu’ils estiment encore plus véreux et inaptes à les défendre. Le potentiel d’une telle base s’avère explosif, d’autant plus que Paul et lui ont grandi dans le Michigan, état phare de la construction automobile aux Etats-Unis.

Paul Schrader avait jusqu’ici brillamment réussi à insérer ses thèmes de prédilection dans les scénarios écrits pour d’autres. Son penchant pour les personnages déséquilibrés avait notamment donné des œuvres âpres à souhait avec Taxi Driver et Légitime Violence (réalisé en 1977 par John Flynn), toutes deux mettant en scène une violence urbaine orchestrée par des vétérans du Viêtnam. On est là bien éloigné des revendications d’ouvriers automobiles, et c’est donc paradoxalement ici que Schrader va faire acte d’un réel travail de scénariste planchant sur un sujet imposé, se documentant et s’adaptant à celui-ci. Blue Collar ne sera d’ailleurs pas le film dont il retire le plus de fierté dans sa filmographie, les mauvaises langues affirmant que c’est parce que Leonard (avec lequel il s’est brouillé après Mishima) en est le véritable auteur.

Du propre aveu de Leonard Schrader, la structure du récit de Blue Collar est au départ pensée comme une démarcation de celle de leur grand succès Yakuza. Dans les deux, on retrouve des hommes d'origines et milieux différents (Robert Mitchum et Ken Takakura dans Yakuza, Yaphet Kotto, Richard Pryor et Harvey Keitel dans Blue Collar) en lutte contre une organisation (la mafia yakusa dans l’un, les syndicats de travailleurs chez l’autre). Sous la houlette de Schrader, Blue Collar se déleste de l’aspect "film de genre" et de la recherche esthétique de Pollack (ce dernier ayant voulu reproduire l’imagerie des films de yakusa japonais) pour un ton plus « réaliste » (on a rarement vu le travail en usine filmé avec autant de vérité) et une mise en scène plus sobre, centrée sur ses personnages.

L’intrigue s’immisce progressivement dans le quotidien de ses trois héros : Harvey Keitel, père de famille ayant du mal à joindre les deux bouts, Richard Pryor grande gueule endettée à la marmaille fort nombreuse et Yaphet Kotto pourvoyeur de plaisirs divers (drogues et femmes) allégeant l'existence de ses camarades. Schrader procède par petites touches au grés de désagréments anodins (un cadenas de casier jamais réparé, un distributeur de boissons toujours en panne) mais cumulés et jamais résolus par un patron et des syndicats méprisants (avec une scène parlante où le patron simule au téléphone une colère devant Richard Pryor, laissant croire qu'il prend les choses en main). Une des réussites du film est de ne pas se perdre dans un message de gauche trop prononcé, aux antipodes de la réalité de ses ouvriers. Dans un premier temps, lorsqu’un activiste les sollicite pour dénoncer les incohérences de l’entreprise, ils le rejettent violemment (la culture de loyauté à son entreprise fonctionne encore), la prise de conscience n’intervenant qu’après une longue suite de frustrations.

En dépit de quelques rebondissements lorgnant sur le cinéma parano en vogue de cette décennie, le propos se fait également provocateur pour montrer les méthodes de l’entreprise pour se débarrasser des trois gêneurs. L’électron libre sans attache Yaphet Kotto sera tué sous couvert d’accident professionnel, Harvey Keitel et ses proches menacés physiquement tandis que Richard Pryor sera tout bonnement promu superviseur et délégué syndical, hausse de salaire à la clé. Meurtre des plus vindicatifs, intimidation de ceux qui ont le plus à perdre et corruption de ceux étant le plus en attente de reconnaissance (et le fait qu’il soit noir ne doit rien au hasard), la manipulation psychologique en grande entreprise a rarement été aussi bien vue.

L’alchimie incroyable régnant entre les trois acteurs est évidemment l’élément clé apportant véracité au soin de l’écriture. Schrader eut fort à faire pour un premier film avec ces tempéraments explosifs (chacun souhaitait tirer la couverture à lui, ce qui provoqua une atmosphère détestable sur le tournage) mais le résultat est là. Si le talent de Kotto et Keitel n’est plus à démontrer, Richard Pryor pour son premier rôle au cinéma (après avoir fait les beaux jours du Saturday Night Live) délivre la meilleure performance de sa carrière.

Sans se départir de sa gouaille extraordinaire (les répliques hautes en couleurs fusent, surtout au début du film), il compose un personnage attachant et ambigu, dont on ne cautionne pas les actes mais qu’on arrive néanmoins à comprendre. Avec ce film, Schrader laisse sa sensibilité d’auteur de côté pour se mettre humblement au service de son histoire et la raconter du mieux possible, la conclusion sèche et explosive (comme seul le cinéma américain des années 70 pouvait en offrir) entérinant ce fait. Œuvre atypique de Schrader, Blue Collar est pourtant souvent considéré (par ses détracteurs essentiellement) comme son meilleur film. Paradoxal non?

Assez inexplicablement toujours inédit en dvd zone 2 français donc la meilleure édition disponible est le zone 2 anglais doté de sous-titres anglais et trouvable pour pas grand chose sur amazon notamment.

4 commentaires:

  1. Blue Collar nous avait passionnés lors de sa sortie, j'ai gardé particulièrement en mémoire la séquence de l'assassinat de l'ouvrier peintre, et tout ce qui raconte les excès des syndicats, la puissance des entreprises face aux petits...
    Grand souvenir! l'absence de sous-titre français sur le DVD est regrettable...
    J'ai toujours associé BLUE Collar au film de Martin RITT, NORMA RAE (1979). Le connaissez-vous, Justin?
    Isabelle (77)

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  2. Hello Isabelle ! Et non je n'ai pas vu Norma Rae mais c'est fort tentant effectivement. D'ailleurs il y a un autre film de Martin Ritt qui lui préfigure Blue Collar, c'est Traître sur commande. On y découvre les manipulations d'une société de mineur qui infiltre un espion parmi ses employé pour repérer les leaders syndicaux. Un film vraiment puissant et intense avec un casting de haut vol avec Sean Connery et Richard Harris. Ca vaut vraiment le coup d'oeil une perle méconnue.

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  3. En effet, Justin, ce film est vraiment à voir.
    Les acteurs principaux sont magnifiques: Richard Harris avec sa voix si particulière, Sean Connery très bien dans son rôle positif, comme a son habitude. La réalisation est très belle, et le scénario, même s'il est attendu, maintient l'intérêt. Et le sujet est fort intéressant et bien traité, la vie dans la mine est impressionnante.
    Pour voir S. Connery dans un rôle moins positif, voyez "The Offense" de Sydney Lumet. Connery ne semble plus craindre d'abimer son image (ou seraient-ce les majors?)
    Isabelle

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  4. Ah The Offense un des rares grand Lumet que je n'ai pas vu, ça sera bientôt réparé ! :-)

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