Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 3 janvier 2025

À l'abordage - Against All Flags, George Sherman (1952)


 Au début du XVIIIe siècle, des pirates de Madagascar menacent le commerce des Indes. Brian Hawke, un officier de la marine anglaise, est missionné pour infiltrer la bande de criminels. Il découvre alors une toute autre facette de ses ennemis, et tombe sous le charme d'une pirate effrontée...

À l'abordage est une œuvre qui désamorce astucieusement l'habillage de film de pirates sur laquelle elle est vendue. Le couple vedette fait lorgner des souvenirs glorieux du genre, que ce soit Errol Flynn qui y gagna ses galons de stars (Captain Blood de Michael Curtiz (1935), L'Aigle des mers (1940)) ou Maureen O'hara volcanique love interest de Le Cygne noir de Henry King (1942) Pavillon Noir de Frank Borzage (1945). Errol Flynn se trouve alors sur la pente descendante, venant de quitter Warner où il trouva ses rôles les plus prestigieux, en quête d'un second souffle qu'il ne trouvera jamais vraiment dans une suite de productions médiocres (avec quelques exceptions comme Le Soleil se lève aussi d'Henry King (1957) mais où il se trouve au second plan). Au contraire Maureen O'hara rencontre une des périodes les plus épanouissante de sa carrière, tournant d'ailleurs la même année le célèbre L'Homme tranquille de John Ford.

Cette dynamique inversée des deux stars semble implicitement imprégner leurs personnages. Les excès en tout genre ont prématurément vieilli Errol Flynn qui apparaît ici moins bondissant, plus usé. Cela va bien avec son personnage d'espion infiltré chez les pirates devant se montrer sur la réserve. On a l'habitude de voir un Flynn viril et tempétueux, à la séduction pressante sur une héroïne méfiante mais progressivement séduite tout en se faisant désirer par sa retenue. C'est presque l'inverse ici puis Spitfire (Maureen O'hara), jeune femme élevée parmi les pirates, intriguée par cet anglais aux manières plus raffinée qui détone en comparaison des rustres qui l'entourent - tout comme Flynn pouvait l'être face à une Olivia de Havilland, jeune femme distinguée détonant dans son univers. 

C'est elle qui prend avec rudesse les devants dans le jeu de séduction et au contraire Flynn, happé par ses intrigues d'espionnage, qui tente de la refréner. Cela se manifeste notamment par les tenues vestimentaires, Spitfire n'étant jamais plus attirante que dans ses atours farouche de pirate (ce costume vert évoquant Robin des Bois pour bien marquer l'inversion) tandis qu'elle semble jouer un rôle qui ne lui ressemble pas quand elle cherche à se montrer plus féminine et distinguée - et là encore le type d'écueil que pouvait rencontrer Flynn dans ses rôles d'antan où il pouvait être éconduit en tentant maladroitement le transfuge de classe dans ses attitudes.

C'est surtout cette facette du récit, assez rondement menée, qui captive dans À l'abordage. L'aspect aventure maritime est très en retrait et se montre avare en séquences spectaculaires malgré quelques beaux sursauts comme l'attaque du navire indien. C'est néanmoins un vrai plaisir pour les yeux avec le technicolor flamboyant de Russell Metty, une direction artistique superbe et dont les artifices (transparences et matte-paintings très voyant) confèrent même un certain charme à l'ensemble. Le savoir-faire de George Sherman permet un spectacle alerte et prenant, dominé par son couple vedette dont la maturité donne une âme supplémentaire l'éloignant de la bluette, notamment par ses sous-entendus sexuels forts explicites - le again ! plusieurs fois prononcé par la princesse indienne pour un baiser mais fait bien sûr penser à autre chose, Spitfire le disant avec la même véhémence dans la scène finale. Un bon moment.

Sorti en bluray français chez Elephant Films

jeudi 2 janvier 2025

Dirty Ho - Lan tou He, Liu Chia-liang (1979)


 Le 11ème prince de la Dynastie Qing et probable futur héritier du trône fait une visite dans une province pour admirer les trésors antiques sous l'identité d'un marchand. Il y fait la rencontre d'un voleur qu'il souhaite prendre comme disciple en secret afin de tuer le prince rival.

Lorsqu’il passe à la réalisation avec The Spiritual Boxer (1975), Liu Chia-liang va soulager la longue frustration ressentie durant les années où il était uniquement chorégraphe de combats sur les productions de la Shaw Brothers. Etant un des rares authentiques maître d’arts martiaux officiant pour le cinéma, il considère sa discipline comme dévoyée dans les œuvres sanglantes, vengeresses et nihilistes souvent réalisée par Chang Cheh (Un seul bras les tua tous (1967), Le Justicier de Shanghai (1972)…). Tout un pan du corpus de Liu Chia-liang réalisateur sera donc consacré à redonner une image noble et réaliste des arts martiaux, notamment par le thème de l’apprentissage et de la relation maître/élève.

Pour ce faire, Liu Chia-liang oscille entre une approche rigoureuse proprement fascinante dans l’ascétisme de La 36e Chambre de Shaolin (1978), ou franchement ludique puisqu’il sera un des fers de lance du sous-genre de la kung fu comedy dans Combat de Maître (1976), Retour à la 36e chambre (1980) ou encore Martial Club (1981). Dirty Ho appartient franchement à cette seconde catégorie et pousse même encore plus loin que d’ordinaire cette veine farfelue pour du Lu Chia-liang. L’apprentissage va ici se faire progressivement entre un prince mandchou (Gordon Liu) traversant anonymement une province, et Ho (Wang Yu), une petite frappe qu’il va prendre sous son aile. Liu Chia-liang reprend à sa manière le principe cher à King Hu de la dissimulation et des faux-semblants (notamment dans L’Hirondelle d’Or (1966) et Dragon Gate Inn (1967)) à travers les aptitudes martiales. 

Quand cela prend un tour presque abstrait et invisible chez King Hu, Liu Chia-liang pousse au contraire franchement dans une veine burlesque. Le prince la joue faussement naïf et couard lors des multiples rencontres houleuses avec Ho, mais retient subtilement ses coups et maîtrise le jeune impudent pensant avoir le dessus. Une des scènes les plus mémorables dans ce style est lorsque le prince utilisera une jeune femme (Kara Hui) comme « marionnette » pour indirectement corriger Ho, le tout avec une inventivité de tous les instants durant la joute.

Le prince décèle en effet les aptitudes martiales à polir, ainsi que le sens moral à développer chez son protégé, et par ses facéties il fait l’éducation de Ho à son insu. Il y a certes un fil rouge narratif autour d’un complot de succession dont est victime le prince, mais le scénario travaille avant tout la répétition de leitmotiv passant de la franche comédie à des enjeux de plus en plus sérieux, la progression gravitant toujours autour des affrontements martiaux. Par deux fois, Ho fait face à des groupes d’adversaires aux capacités grotesques, face auxquels il piétine et ne triomphe que grâce au prince. Il est trop immature et agité pour être conscient de cette aide extérieure au départ, mais la seconde fois une fois devenu un disciple déférent et attentif, la victoire naît de l’association maître/élève lorsqu’il écoutera précieusement les conseils donnés.

Durant ses années de chorégraphe de combat, Liu Chia-liang a eut tout le loisir de maîtriser les outils cinématographiques, la manière dont un cadrage, un découpage efficace, peut dynamiser l’action. La progression du film dans la virtuosité et l’intensité des combats est à ce titre magistrale. Les fameux duels entre amabilités et bottes secrètes offrent de sacrés morceaux de bravoures à Gordon Liu, tout en sourire lors de périlleuses dégustation de vin et visite d’antiquités. L’acteur se régale dans ce registre de mentor malicieux (alors qu’il fut souvent le disciple turbulent chez Liu Chia-liang) et les séquences d’entraînements, forts drôles, se délestent en partie de la cruauté hilarante souvent vu dans la kung fu comedy pour livrer une relation maître/élève dans laquelle chacun s’apporte mutuellement. Il y a une forme de conscience de son peuple pour le prince (la jeune femme qu’il rachète à la maison de plaisirs) et un éveil aux réalités, un égoïsme qui s’estompe chez Ho éduqué physiquement et intellectuellement par son mentor – malgré une ultime scène comique remettant légèrement cette dynamique en cause.

Toute cette construction patiente (et annoncée par le superbe générique) visait montrer le duo formé par le prince et Ho combattre en harmonie parfaite face aux vraies menaces finales. La traversée d’un village abandonné et truffé d’ennemis donne lieu à un combat époustouflant, dans son utilisation du décor, la fluidité des passes d’armes voyant Ho et le prince alterner les adversaires, s’entraider et triompher. Le dernier combat reste cependant le sommet, notamment par la longueur des joutes s’enchaînant sans coupe dans d’impressionnants plans-séquence. Liu Chia-liang traduit par la seule image et le déroulement du combat à la fois la confiance, le support et l’émancipation traversant la relation maître/élève qui ne font désormais plus qu’un et écœurent leurs pourtant redoutables adversaires - notamment lors d'un zoom avant particulièrement jouissif sur le duo. En une séquence magistrale, le réalisateur rejoue la progression dramatique, martiale et spirituelle qu’il a travaillé à mettre en place tout le récit. Un grand film martial. 

Sorti en bluray français chez Spectrum Films