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dimanche 12 janvier 2025

Sauve qui peut - Catch Us If You Can, John Boorman (1965)


Steve et ses quatre amis Lenny, Mike, Rick et Dennis réussissent à persuader Dinah, symbole pour tout le pays de la campagne de publicité "Manger de la Viande", de fuir les fausses valeurs du monde commercial. Mais lorsque le responsable de la publicité réalise que sa "Butcha Girl" a disparu, il transforme sa fuite en coup publicitaire dans une poursuite hilarante !

Sauve qui peut marque les débuts cinématographiques de John Boorman, avec une œuvre au premier abord très éloignée des préoccupations de ses grands films à venir. Comme nombre de réalisateurs britannique émergents des années 60, Boorman fait ses armes à la télévision où il se fera remarquer en tant que documentariste à la BBC. Il va saisir la balle au bond lorsque se présentera l’opportunité de Sauve qui peut, une commande surfant sur le succès de A Hard Day’s Night de Richard Lester (1964). Le film doit servir de véhicule au groupe de rock anglais Dave Clarke Five, alors concurrent crédible des Beatles dans les charts, afin d’offrir un objet pop dans la lignée de celui ayant magnifié les Fab Four.

John Boorman va détourner habilement la commande et ce dès l’écriture du script qu’il commande à son ami Peter Nichols. Contrairement à A Hard Day’s Night, Sauve qui peut ne met pas en scène les Dave Clarke Five en tant qu’eux-mêmes, mais jouant des cascadeurs. Le début du film les met en avant de façon amusée, mais c’est pour rapidement les mettre de côté et s’attacher à la cavale du couple improvisé formé par le mannequin Dinah (Barbara Harris) et le cascadeur Steve (Dave Clarke), fuyant l’ennui d’un tournage de publicité pour parcourir le pays. Le groupe complet et ses chansons (jamais jouées à l’image et toujours en fond sonore) ne sont que des ponctuations intervenant façon piqûre de rappel durant le récit, histoire de ne pas oublier la raison d’être du film. Le charisme très relatif de Dave Clarke amène Boorman à le mettre en retrait durant son intrigue principale, et préférer observer Barbara Harris et sa présence lumineuse.

Le début du film cède à la tonalité pop attendue, le montage très rapide accompagnant autant les facéties des Dave Clarke Five que plus tard les pérégrinations urbaines du couple dans le Swinging London. En éloignant progressivement ses personnages de ce vivier culturel, Boorman déconstruit peu à peu ces velléités modernes pour installer une forme d’ironie et de désenchantement. Cela va reposer sur la remise en cause des idéologies que le film est supposé mettre en valeur, notamment avec la rencontre d’un groupe de beatniks totalement amorphes et désabusés, et bientôt chassé de leur espace pas l’autorité que représente l’armée. 

En parallèle de la cavale, on observe une facette capitaliste avec le groupe de commanditaires de la publicité transformant la supposée faille en argument marketing qui exploite la fuite du couple pour en alimenter la presse. Le couple Dinah/Steve en devient ainsi un produit à consommer commercialement, mais finalement aussi charnellement pour les couples bourgeois en mal d’aventures sexuelles. Boorman pose quelques situations mordantes à ce titre, moquant à la fois les institutions et les idéologies, les moments faussement provoquants servant davantage un étalage amusé de sa cinéphilie qu’une réelle critique du système lorsque la police est ridiculisée durant la fête costumée.

La romance entre Dinah et Steve existe pourtant bel et bien, avant tout lorsqu’elle s’éloigne du bruit et de la fureur pour se laisser aller aux confidences dans l’intimité. Les personnages aspirent manifestement à autre chose qu’à l’urgence superficielle de leur quotidien du moment, mais la nature de cet ailleurs semble tout aussi superficiel – « l’île » de Dinah, la virée en Espagne de Steve. Lorsque l’épilogue montre l’ensemble du périple comme une vaste supercherie, le lien avec l’œuvre à venir de Boorman se fait enfin. 

 La parenthèse enchantée permettant un idéal harmonieux qui vole en éclat est au cœur de la cohabitation pacifiste brisée de Duel dans le pacifique (1968), le lien à la nature de Délivrance (1972), le royaume juste d’Excalibur (1981) ou encore la société normée de Zardoz (1974). Tout comme dans ce dernier, mais aussi Le Point de non-retour (1967), l’odyssée du couple de Sauve qui peut repose sur une manipulation et leurs aspirations téléguidées par un esprit démiurge. Le Swinging London et ses animateurs ne sont que les pantins d’une carte postale et d’une bande-son destinée à être vendue au plus grand nombre. Boorman préfigure d’un an le Privilège de Peter Watkins (1967) dans son message, et parvient à faire de cette commande un bel objet iconoclaste.

Sorti en bluray et dvd français chez StudioCanal

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