Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Quinze ans après avoir vécu leur premier amour
d’adolescents, Manuela et Olmo se retrouvent, comme ils se l’étaient
promis. L’espace d’une soirée, dans la nuit madrilène hivernale, ils
revivent leur histoire et nous plongeons avec eux dans leurs souvenirs
de jeunesse, à l’époque légère du lycée, mais aussi dans leur réflexion
mature d’adultes sur les sentiments et la conscience du temps.
Quatrième long-métrage de Jonas Trueba, La Reconquista
affirme le réalisateur comme une sorte de Richard Linklater espagnol.
On retrouve chez lui cette thématique du rapport au temps, cet amour du
dispositif narratif étiré ou resserré, et la manière dont ce dernier
point fait osciller les films entre fiction et documentaire. En revanche
Trueba se déleste de la patine pop, vintage et parfois nostalgique dont
peut faire preuve Linklater à travers des récits intimes et romanesques
à l'inspiration plus européenne, Éric Rohmer en tête. La Reconquista renoue ainsi avec l'observation du spleen amoureux de trentenaires vu dans Les Exilés Romantiques
(2015), mais davantage sous l'angle des retrouvailles et du souvenir
plutôt que de la quête. Manuela (Itsaso Arana) et Olmo (Francesco
Carril) se retrouvent, adultes et trentenaire, le temps d'une soirée,
quinze après ce qui fut leur premier amour durant l'adolescence. Durant
la première scène, le premier geste de Manuela après les salutations
badines est de remettre à Olmo de lui qu'elle a retrouvé, écrite au plus
fort de leur passion juvénile. Nous n'en connaitrons pas le contenu sur
le moment et devront nous contenter de la réaction surprise et détachée
d'Olmo ne se souvenant plus l'avoir rédigé, et reconnaissant presque un
autre que lui-même en se lisant.
La première moitié du film se déroule dans l'unité de temps de cette
soirée de retrouvailles, et observe la proximité croissante, la
complicité progressivement ravivée entre Manuela et Olmo. La nature des
échanges nous permet de deviner le changement opéré chez eux entre
l'adolescence et l'âge adulte. Olmo semble être le plus fragile, celui
ayant le plus souffert de la rupture, mais aussi celui davantage sur la
réserve durant la discussion où il se confie peu. On soupçonne que cela
est autant dû à une retenue par laquelle il s'interdit de fragiliser la
stabilité de sa situation de couple actuelle, mais aussi dans la
continuité de sa réaction stoïque à la lettre, de ne plus exposer son
ancien "moi" innocent et romantique pour ne pas souffrir. Manuela
raconte quant à elle sa vie sentimentale plus agitée, ses multiples
ruptures et retrouvailles avec le même homme, son exil à Buenos Aires,
puis son célibat actuel dans lequel elle multiplie les amants d'un soir.
L'épanchement désinvolte de l'une tout comme le renfermement de l'autre
dissimulent cependant le sentiment d'inachevé implicite de leur
histoire. Les silences, les quelques mots aigres subrepticement lâché et
les vexations discrètement enfouies expriment cela, comme lorsque Olmo
dit à Manuela qu'il n'est pas étonné de ses relations éphémères. Cette
dernière semble le prendre avec amusement, mais s'éclipse aux toilettes
après la saillie, et l'on ressent comme une gêne entre eux après cet
instant. Jonas Trueba filme tout cet échange faussement détendu en long
plan fixe continu, comme une attente mutuelle que l'autre brise la glace
et sorte de sa posture.
C'est l'absence d'échange direct qui va raviver le lien lorsqu’ils
quittent le bar anonyme pour une salle de concert où joue le père de
Manuela. Celui-ci est interprété par le vrai musicien espagnol Rafael
Berrio, qui illuminera d'ailleurs plus tard la bande-originale du
magnifique Qui à part nous (2022) de Jonas
Trueba. Le travail sur les lumières crée un écrin chaleureux et
intimiste plus authentique que la neutralité (reflétant le rapport des
personnages à ce moment-là) du bar précédent, l'environnement et
notamment les très expansifs couples constituant la clientèle facilite
la complicité entre Olmo et Manuela. Plutôt que le face à face
inquisiteur de la scène et du lieu précédent où rien ne se disait
réellement malgré le long dialogue, la proximité physique, le jeu de
regard et les sourires laissent enfin quelque chose renaître au sein du
"couple". Mais surtout, la douceur folk et les beaux textes de Rafael
Berrio offre une poignante résonance aux sentiments qui agitent les
personnages à cet instant.
On comprend que la démarche de Jonas Trueba
est une lente et minutieuse entreprise de lâcher-prise pour le duo,
culminant dans un nouveau lieu où se terminera la soirée, une salle de
danse. Aux cadrages fixes et à la place des mots des deux environnements
précédents, Trueba troque une caméra portée plus chaotique capturant
des pas de danse qui ne le sont pas moins, et c'est par ce seul langage
corporel que l'on voit la flamme d'antan renaître, avec quelque chose en
plus - le coincé Olmo entamant une folle et spontanée chorégraphie.
Francesco Carril et Itsaso Arana (tous deux acteurs fétiches de Jonas
Trueba) excellent à amener, sur des registres retenus puis expansifs,
les élans contradictoires de leurs personnages. Francesco Carril a cette
gaucherie si touchante à laquelle on peut s'identifier et Itsaso Arana
dégage déjà cette présence solaire qui envoutera dans le merveilleux Eva en août (2020) - difficile de ne pas fondre sur le regard qu'elle lance à Olmo lors de la séparation.
Et alors que l'on est déjà comblé par cette bulle à l'issue incertaine à
laquelle on vient d'assister, Jonas Trueba nous cueille par un épilogue
en flashback revenant justement sur les amours adolescentes des
personnages. Là le spectre rohmerien s'estompe pour laisser penser aussi
au Eustache de Mes petites amoureuses
(1974), notamment lors d'une longue marche toute en appréhension et
silences timides. Trueba capture la sensualité naissante, les traits de
caractères amorçant la romance puis provoquant sa fin par un travail
subtil de mise en scène et direction d'acteurs, les jeunes interprètes
(qu'il reprendra sur la fresque adolescente Qui à part nous) parvenant à prolonger par le langage corporel et le phrasé ce que l'on a
vu des versions adultes.
Les mots de la fameuse lettre peuvent enfin
être entendus et faire sens, qu'ils restent ensemble ou se séparent, le
temps qui passe n'aura jamais prise sur la force des sentiments qui à
cet instant précis unissent Olmo et Manuela. Jonas Trueba est parvenu à
un équilibre délicat entre flottement du présent (la magnifique scène où
la pensée de Olmo divague sur la musique de Rafael Berrio durant son
trajet de retour à moto) et incertitude de l'avenir par un regard face
caméra final qui exprime autant la maturité enfin atteinte de l'âge
adulte, où le renouement avec la candeur des émois adolescents.
Sorti en bluray espagnol et doté de sous-titres français
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