Un jeune garçon enlevé par des pirates puis vendu comme esclave se retrouve échanson à la cour de Constantinople, alors assiégée par les Turcs. Alors qu’un accord de paix est enfin trouvé, le jeune garçon a une vision, provoquée par un astrologue : il serait le fils du roi de Durazzo, enlevé jadis par le fils du Duc de Bourgogne. Il va se lancer dans une quête initiatique qui l’amènera à reconquérir son trône.
Pietro Francisci est, avec Riccardo Freda ou encore Vittorio Cottafavi, un des grands réalisateurs « artisans » qui proposa une alternative de grand cinéma populaire et d’évasion dans le cinéma italien du début des années 50 alors que le néoréalisme avait les faveurs de la critique. Ses œuvres les plus fameuses se situent dans le péplum et notamment le fameux diptyque qui initia la mode des héros musculeux à l’écran, Les Travaux d’Hercule (1958) et Hercule et la Reine de Lydie (1959). A l’instar de Freda et Cottafavi, Francisci navigua entre les genres à la mode et, en ce début des années 50, elle penche sur les récits de chevalerie. Il s’agit à la fois d’une continuité des films historiques et notamment de cape et d’épées en vogue durant l’ère des « téléphones blancs » puis à la fin des années 40, mais aussi une manière de rebondir sur les tendances du cinéma hollywoodien. Versant italien des films comme Don Cesare de Bazan (1942) ou L’Aigle noir de Ricardo Freda (1942) portent haut le récit d’aventures, tandis qu’Hollywood penche vers le film moyenâgeux plus (Echec à Borgia de Henry King) ou moins (Prince Vaillant de Henry Hathaway (1954) rigoureux historiquement, et s’appuyant sur des grands récits classiques (Ivanhoé (1952) et Les Chevaliers de la Table Ronde de Richard Thorpe (1953)).
Le Prince Esclave est un peu au carrefour de toutes ces influences. Il s’agit d’une adaptation très libre des aventures de Guerrin Meschino, héros au centre de huit ouvrages de Andrea Da Barberino au 14e siècle. Le personnage a eu son lot de relectures littéraires entretemps (l’édition la plus fameuse datant de 1785), Pietro Francisci et ses scénaristes respectant la trame globale de son odyssée tout en prenant de grandes libertés sur le contexte historique ou en resserrant l’intrigue. Guerrin (Gino Leurini) est un jeune orphelin adopté par l’empereur de Constantinople mais rongé par le mystère de ses origines. S’étant lié d’amitié avec Alessandro, fils de l’empereur (Aldo Fiorelli) et ayant gagné l’amour de sa fille Elisanda (Leonora Ruffo), il sait que son statut subalterne l’empêchera d’espérer plus haut. La vision d’un astrologue lui laisse entrevoir un destin plus radieux, ce qui l’entraîne dans un pur récit initiatique tandis que les Turques négocient la paix avec Constantinople, et possiblement la main d’Elisanda en guise d’alliance.Tout comme le péplum italien (et bien plus tard le western) se dotera d’une identité profondément latine, truculente et picaresque le différenciant de son pendant américain, le récit chevaleresque est ici singulier. La seule concession à un certain classicisme repose sur l’amour courtois représenté par le couple Guerrin/Elisanda, assez niais. Pour le reste les penchants pour la commedia dell’arte sont omniprésent, entre le couple de domestiques et alliés Constance (Anna Di Leo)/Brunello (Antonio Amendola) hauts en couleurs, mais aussi la caractérisation des méchants. C’est notamment le cas de Piramento (Giacomo Giuradei), fils du sultan turc, tout en fourberie et forfanterie de Matamore, notamment lors d’une savoureuse joute à cheval. Si l’intrigue s’amuse de la « barbarie » et des curieuses habitudes de ces musulmans à la cour de Constantinople, c’est très clairement cette tonalité rigolarde qui domine, y compris chez les sous-fifres tel ce faux mendiant sournois masquant sa duplicité sous ses guenilles.La première partie du film est la plus réussie, posant habilement enjeux et personnages, amenant une veine vibrante aux conflits et orchestrant un haletant morceau de bravoure avec ce duel chevaleresque. L’irruption triomphale de Guerrin alors que tout semble perdu procure un sincère frisson d’héroïsme et Francisci excelle à jongler entre le premier degré de son personnage principale et l’ironie de l’antagoniste Piramento. Francisci élague ensuite par rapport au livre les multiples péripéties rencontrées par Guerrin (qui correspondaient à une sorte de tour du monde) mais s’égare un peu quant à la tonalité voulue. La rupture de ton entre un Moyen-Age fantaisiste mais cohérent et la pure tonalité de conte avec les dangers de la forêt noire passe difficilement. On a d’avantage l’impression d’assister à un prélude des futurs grands péplums mythologique lors de la rencontre avec la Sybille de Norcia (Tamara Lees) – on pense au Ulysses de Mario Camerini (1954) – ou de l’apparition d’un crocodile aux proportions titanesques. Le souffle romanesque manque également lors de la révélation un peu expédiée des origines de Guerrin.Ces écueils sont heureusement atténués par le brio formel de Francisci. Les cadrages dynamiques donnent une majesté certaine à des décors alliant la belle direction artistique de Giulio Bongini avec d’habiles trucages visuels. La modestie du budget est masquée par cette mise en valeur visuelle, Francisci sachant révéler les intérieurs luxuriants comme les châteaux imposants avec un vrai savoir-faire spectaculaire. Le Prince Esclave est donc un récit épique et naïf imparfait mais attachant, conçu par un artisan qui saura faire mieux par la suite.Sorti en bluray français chez Artus Films
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