Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 20 février 2024

Une fille comme ça - I am a Camera, Henry Cornelius (1956)

Berlin, années 30. Christopher Isherwood, un jeune écrivain anglais, rencontre l'excentrique chanteuse Sally Bowles, fauchée comme les blés. Ils se lient d'une curieuse amitié, au cours de laquelle elle s'amuse à lui faire toutes sortes de farces. Cependant, Christopher fait office de caméra : avec une attitude impassible, il scrute et enregistre le comportement de Sally, en pensant à son avenir littéraire.

Si le synopsis semble familier aux amateurs de comédies musicales, c'est que le film a la même source que le célèbre Cabaret de Bob Fosse (1972). I am a camera est en effet la première adaptation de la nouvelle Sally Bowles issue du recueil de nouvelles Berlin Stories écrit par Christopher Isherwood et publié en 1939. Plus précisément, le film transpose l'adaptation théâtrale justement titrée I am a camera et écrite par John Van Druten jouée en 1951 en Angleterre puis à Broadway. C'est la relecture sous forme de comédie musicale à Broadway en 1966 qui servira de base au film de Bob Fosse. Le recueil et plus spécifiquement la nouvelle Sally Bowles est inspiré des années berlinoises de l'écrivain Christopher Isherwood, qui y évoquait l'hédonisme et la liberté de mœurs de cette Allemagne de la république de Weimar. C'est ce qui conduisit Christopher Isherwood à l'exil de son Angleterre natale (il s'installera aux Etats-Unis à la fin des années 30 et sera naturalisé américain en 1946) qui le rejetait pour son homosexualité. La Sally Bowles de la nouvelle correspond à Jean Ross, actrice et chanteuse fantasque avec laquelle Isherwood se liera d'amitié durant son séjour berlinois.

Le titre I am a camera correspond à la position neutre et observatrice que pense pouvoir adopter le jeune Christopher Isherwood (Laurence Harvey), encore aspirant, écrivain, de sa terre d'accueil allemande. Sans vouloir s'impliquer, il regarde de loin les frivolités de la vie nocturne berlinoise, tout comme les signes avant-coureurs de la montée du nazisme avec les discours antisémites déjà audibles et les attaques contre les commerces juifs. Des résolutions qui vont voler en éclat avec la rencontre de la tempête Sally (Julie Harris déjà interprète du rôle dans la pièce), véritable aventurière et séductrice sans le sou dont il va devenir le colocataire. Henry Cornelius dépeint avec justesse les rudesses de la vie de bohème pour le duo, au dénuement matériel s'ajoutant l'inspiration littéraire en berne de Christopher, et les rêves de luxe dans un premier temps déçus pour Sally. C'est précisément ces deux espérances qui empêchent la romance latente de se concrétiser entre eux, Christopher trouvant Sally trop superficielle et cette dernière trouvant son colocataire trop jeune, timide et surtout trop pauvre. 

La rencontre d'un riche et prodigue américain, Clive (Ron Randell) va bousculer leur quotidien mais aussi les éloigner des terribles réalités qui transforme la société allemande. Le réalisateur Henry Cornelius, né en Afrique du Sud, est cependant d'origine juive allemande et vécut justement à Berlin durant cette période avant de migrer en Angleterre où il deviendra un réalisateur phare du studio Ealing. Il capture donc avec subtilité ce climat social changeant, la frivolité de l'envers festif passant par le montage et les fondus enchaînés sur les lieux de plaisirs (boite de nuit, casino, champs de course) tandis que l'endroit oppressant se dessine insidieusement en arrière-plan avec les affiches d'Hitler, les prospectus de propagande haineux et les croix gammées toujours plus nombreuses sur les enseignes juives. 

Les deux mondes vont se rejoindre progressivement, plaçant les personnages face à leurs responsabilités. La gentille logeuse allemande se met soudain à vociférer envers les juifs, Fritz (Anton Diffring) ami du couple est confronté à un cas de conscience en tombant amoureux de Natalia (Shelley Winters), une jeune juive, et l'atmosphère se fait peu à peu irrespirable.

Cet équilibre entre burlesque et tragédie en marche fonctionne très bien, Cornelius sachant orchestrer des séquences d'une formidable drôlerie comme la thérapie de choc que subit Christopher pour une grippe, une manière ludique aussi de montrer l'ébullition culturelle d'alors en Allemagne avec cet instantané parodique de théories freudiennes (électrochocs, bains glacés et bouillants alternés). Julie Harris est formidable de gouaille et d'énergie, très attachante, même si la véritable Sally Bowles/Jean Ross qui était une intellectuelle et militante de renom se plaignit de sa mue en écervelée frivole à travers cet alter-ego littéraire, scénique et cinématographique. 

La tension sexuelle entre Christopher et Sally est également une invention qui perdurera dans toutes les versions, même si Cornelius est plus fidèle en ne les faisant pas "consommer" au contraire de Cabaret où ils deviennent amants. L'amitié et la dévotion mutuelle de chacun est cependant palpable, notamment grâce à un formidable Laurence Harvey qui parvient quasiment à faire oublier son physique avantageux pour incarner ce jeune homme complexé et gauche. La jolie pirouette finale relance même le jeu de fort belle manière, rendant la complicité du duo indéfectible malgré les années, et faisant de Sally une éternelle muse à défaut d'être une amante. Très joli film, certes moins flamboyant que Cabaret mais qui offre en offre une très plaisante alternative. 

Sorti en bluray anglais chez StudioCanal et doté de sous-titres anglais

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire