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vendredi 24 janvier 2025

El Lute, marche ou crève - El Lute (camina o revienta), Vicente Aranda (1987)


 En 1960, une famille nomade de potiers vivant dans la précarité parcourt l'Estrémadure. La vie dure qu'ils mènent entraîne la mort de la mère. Le fils, Eleuterio Sánchez, "El Lute", vole des poulets et est condamné à six mois de prison. Des années plus tard, en 1965, après l'assaut d'une bijouterie de la rue Bravo Murillo à Madrid, dans lequel le vigile meurt, il est jugé et condamné à mort.

El Lute, marche ou crève s'inscrit dans cette période des années 80 où Vicente Aranda délaisse pour un temps les sujets provocateurs (Cambio de Sexo (1977) de ses débuts (et auxquels il reviendra dans les années 90) pour rencontrer une certaine reconnaissance critique en signe plusieurs adaptations littéraires prestigieuses. El Lute, marche ou crève est justement le premier volet d'un diptyque adaptant les deux romans autobiographiques de Eleuterio Sánchez, publiés en 1977 et 1979. Eleuterio Sánchez fut un temps l'homme le plus recherché d'Espagne, un criminel dont la renommée fut gênante pour l'autorité du régime franquiste à cause de ses multiples évasions de prison.

Ce premier volet relève cependant davantage du drame social que du polar en revenant à la source des problèmes de "El Lute" (Imanol Arias). Il naît au sein des mercheros, communauté nomade espagnole de potiers stigmatisée par l'autorité franquiste. Dès les premières scènes, ce déterminisme social pave le destin d'Eleuterio qui perd sa mère malade à cause d'une rudesse policière puis, analphabète puis précocement marié et père de famille auprès de Chelo (Victoria Abril), ne trouve que la voie du vol pour survivre. Cet horizon fermé se traduit formellement par des environnements se résumant aux bidonvilles ruraux ou madrilènes, comme une sorte de matérialisation topographique des perspectives limitées de notre héros. Si ses écarts s'arrêtent à des menus larcins, cette mise au ban du système le place à la merci des exploiteurs, l'expose à la violence policière et surtout à la tentation d'aller plus loin dans la criminalité au contact des personnalités douteuses de sa communauté. 

C'est ainsi qu'il va se laisser entraîner dans un vol de bijouterie aux premiers abord très amateur mais qui va virer au drame quand un de ses acolytes aura un usage malheureux d'une arme à feu pour des conséquences tragiques. Aranda se montre néanmoins provocateur en soulignant que l'amplification médiatique de l'évènement est une manière de détourner l'attention de la population de problématiques politiques plus gênantes. Il y a notamment un doute sur le crime par arme à feu restant hors-champs (et dont le coupable rongé par le remord nie formellement avoir tiré sur quelqu'un), et la quête d'aveux soutirés par des sordides brutalités policières semble être un moyen d'offrir une "récompense" au peuple nourrit de ce feuilleton criminel quotidiennement. Cela semble presque justifier la "compréhension" de la justice qui mue la condamnation à mort d'Eleuterio en une peine de 30 ans pour le jeune homme de 23 ans. Il a joué son rôle de fusible et peut donc être épargné à sa façon et jeté aux oubliettes.

Mais c'est précisément en cherchant à sacrifier un innocent que le régime va fabriquer la bête médiatique qui va lui causer tant de tort. Eleuterio ronge son frein en prison et profite de ces conditions pour débuter son éducation (durant ses peines il passera de l'illettrisme initial à un diplôme de droit et une carrière d'écrivain) avant le grand saut de sa première évasion. Aranda dépeint ce moment dans un mélange de pure tension et de trivialité, à l'échelle du criminel qu'est à cet instant Eleuterio pas encore devenu l'ennemi public numéro 1. La dernière partie du film est ainsi une longue scène de cavale, en grande partie muette et naturaliste où "El Lute" traverse la campagne espagnole déserte. Néanmoins ce thème du déterminisme social perdure puisque les petits actes délinquants traversent le parcours du personnage, incapable de se montrer imprévisible pour ses poursuivants dans ses agissements et sa destination. 

Après avoir inscrit ce déterminisme par la monotonie des environnements et par la répétitivité des larcins de "El Lute", Aranda l'explicite géographiquement dans les déplacements du personnage suivant une voie toute tracée, celle de sa capture et de son retour en prison. La conclusion marque explicitement cette notion de boucle irrépressible, tout en laissant planer la promesse qu'à l'avenir "El Lute" saura se montrer plus insaisissable, au propre comme au figuré -  - la transformation d'Imanol Arias de jeune homme subissant son sort à hors-la-loi endurci et charismatique est d'ailleurs impressionnante. Voilà qui donne très envie d'embrayer sur le second volet du diptyque Demain, je serai libre (El Lute II: mañana seré libre) qui sortira l'année suivante après le véritable triomphe de cette première partie en Espagne ( Imanol Arias et Victoria Abril récompensés comme meilleur acteur au festival de San Sebastian, plus gros box-office de l'année pour un film espagnol, cinq nominations au Goyas).

Sorti en bluray espagnol doté de sous-titres anglais

 

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