Photographe de mode engagée contre la guerre et le sexisme, Laura Mars mène une brillante carrière. Aucune ombre au tableau de ses spectaculaires compositions, du moins jusqu'au jour où, par la pensée, elle capte les agissements d'un tueur en série, vivant en direct le meurtre qu'il commet. Un cauchemar qui se répète et dont elle pourrait bien être l'une des prochaines victimes...
Les Yeux de Laura Mars est une œuvre qui participe indirectement à l’ascension de John Carpenter puisqu’il s’agit de son premier script produit par un grand studio. Sa sortie et son succès précèdent de quelques mois, en cette même année 1978, celui d’Halloween qu’il va réaliser lui-même. Le film est d’ailleurs initialement destiné à être une production indépendante dans la lignée des premiers films de John Carpenter, avant que le producteur Jon Peters tombe sous le charme du script dans lequel il voit un parfait véhicule pour sa compagne de l’époque, Barbra Streisand.
Il va convaincre le studio Columbia de produire le film, et ce malgré le désistement de Streisand (qui signera la chanson du générique) au profit de Faye Dunaway fraîchement auréolée d’un Oscar pour Network (1976). Ces péripéties vont faire du film un objet nettement plus prestigieux que prévu, mais aussi amener des réécritures le rendant plus conventionnel sur certains points que le script initial de Carpenter, ce qu’il regrettera.Les Yeux de Laura Mars semble être une sorte de réponse américaine au giallo italien, ce qui n’est pas surprenant d’après les goûts de Carpenter. Il y a aussi une dimension de thriller hitchcockien, penchant vers lequel tend Carpenter sur Halloween bien sûr, mais aussi le téléfilm Meurtre au 43e étage qu’il signe au cours de cette décidément très productive année 1978. Le mélange de meurtre sanglant avec le milieu de la mode rappellera aussi bien sûr Blow up d’Antonioni (1966), un aspect qui va particulièrement inspirer Irvin Kershner dans son esthétique. La première partie est très réussie dans son travail pour entremêler le glamour et le macabre. Les créations photographiques controversées de Laura Mars (Faye Dunaway) invitent le macabre dans le glamour et l’érotisme dans une imagerie mêlant sophistication et morbide avec brio – les clichés du film étant repris des travaux d’Helmut Newton. Les visions prémonitoires cauchemardesques de Laura imposent ce macabre au glamour hors des feux des projecteurs, en semant la mort dans l’entourage de l’héroïne. Le côté graphique demeure pourtant dans les mises à mort fétichistes, par le choix du tueur de crever un œil des victimes. Il y a là comme une punition rituelle et machiste, à punir par l’entremise de ses proche l’audace du regard de Laura Mars d’imposer au monde des visions aussi provocantes. On ressent cela par le choix des gros plans sur l’œil de Laura quand les visions l’assaillent, et toute la symbolique marquée en montrant souvent les ses amis en situation « immorale » prolongeant la souillure manifeste arborée sous l’objectif de l’héroïne. Ainsi le manager Donald meurt alors qu’il est travesti en femme, les deux mannequins féminines périssent après que l’on a découvert leur liaison lesbienne, une de ses amies succombe avant qu’on apprenne qu’elle entretenait une relation avec l’ex-mari de Laura. Tout le travail de vision subjective lors des prémonitions sanglantes de Laura est brillamment mis en scène par Kershner, travaillant par cette caméra à l’épaule et la texture vidéo ce monde parallèle, onirique et inquisiteur pour ces hédonistes de la mode. Cela présage d’ailleurs un peu l’approche qu’au justement Carpenter sur les visions du futur dans Prince des ténèbres (1987). Les indices sont semés de manières purement formelle et sensorielle, notamment lors d’une scène où Laura essaie d’expliquer le ressenti de ses visions avec une caméra et un écran vidéo, l’image sur ce dernier levant avec subtilité l’ambiguïté autour du coupable. On regrettera simplement que la mécanique routinière du drame policier basique sème quelques longueurs, c’est sans doute sur cette structure plus rassurante qu’ont porté les demandes de réécritures de Columbia. Néanmoins, le savoir-faire d’Irvin Kershner, le charisme de Faye Dunaway (qui jongle entre sa propre aura iconique et une facette plus vulnérable) et un ultime rebondissement efficace maintiennent la tension et achève de faire de Les Yeux de Laura Mars un thriller très réussi.
Sorti en bluray français chez Sidonis
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire