Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 30 novembre 2010

Brève Rencontre - Brief Encounter, David Lean (1945)

Laura Jesson, une femme mariée, se rend tous les jeudis à Milford, dans la banlieue londonienne, pour effectuer quelques achats. Elle rencontre Alec Harvey, un médecin marié également. Tous deux vont s'éprendre l'un de l'autre et vivre une folle passion...

Revoir Brève Rencontre permet de rétablir, si besoin était, quelques vérités au sujet de David Lean. Aujourd’hui unanimement célébré pour ses grandes fresques épiques comme Lawrence D’Arabie ou Le Pont de la rivière Kwai, on en oublie parfois le grand cinéaste de l’intime qu’il fut. Les cadres grandioses de ses épopées ne servent au final qu’à dresser des portraits fins d’hommes et de femmes pris dans le tourbillon de la grande Histoire. Parmi ses films les plus romanesques, La Fille de Ryan et Docteur Jivago abordaient en partie un des thèmes fondamentaux de Brève Rencontre : l’adultère. Ce dernier est le premier film qui fit la renommée internationale du réalisateur. Dans un cadre plus modeste et avec des personnages plus « ordinaires », Lean y déployait déjà toute la puissance dramatique qui allait faire la réussite de ses futurs projets monumentaux.

Un buffet de gare comme tant d’autres, un couple consomme en silence. Ils sont bientôt interrompus par une connaissance de la femme, une vieille anglaise bavarde. L’homme doit prendre son train et les quitte bientôt, après un geste discret et amical adressé à la dame. Un moment presque anodin mais qui, revu du point de vue l’héroïne à la fin du film, va s’avérer totalement bouleversant. Cette entrée en matière va démontrer ainsi toute la portée émotionnelle du parti pris choisi par les auteurs.

Le film est adapté d’une pièce de Noel Coward, dramaturge renommé et accessoirement homme à tout faire du monde du spectacle anglais d’alors. Il transpose lui-même son oeuvre pour le grand écran, tout en conservant nombre d’idées typiquement littéraires. Associées à la maestria visuelle de David Lean, l’ensemble va offrir un des plus beaux portraits de femme qui soient. Passé le premier quart d’heure où la voix off de Laura est progressivement introduite, l’histoire fonctionne en flashback sous forme de confession imaginaire de l’héroïne à son mari. Les pensées les plus intimes de Laura nous seront ainsi dévoilées, par un subtil équilibre entre la poignante prestation de Clelia Johnson, les mots de Noel Coward et leur illustration par David Lean. Le résultat est frappant sur de nombreuses scènes, créant un décalage étonnant. Il en va ainsi de ce moment où Laura accourt avec une fougue juvénile au second rendez-vous, tandis qu’en voix off elle fait part de sa détermination à ne plus revoir cet homme qui la trouble déjà. Précédemment, et de manière plus insidieuse, c’est son attitude toute amicale lors des premières rencontres avec Alec qui se verra contrebalancée par sa voix intérieure trop en émoi en regard des chastes sentiments affichés.

On ressent parfaitement ici la finesse psychologique de Coward et Lean, qui parviennent à exprimer exactement l’inverse de ce qui est dit et montré, appuyant l’amour naissant de l’héroïne alors qu’elle cherche à donner le change à Alec et à elle-même. Le procédé va s’exprimer pleinement dans une des séquences les plus marquantes, celle où le cœur de Laura bascule définitivement. Alec et elle se font face à une table de bar, filmé en plan d’ensemble. La conversation s’emballe quand Alec se met à parler avec ferveur de son métier de médecin. Laura, peu habituée à ce genre d’exaltation, étant mariée à un homme placide et terre à terre, est subjuguée. Un léger mouvement de caméra la saisit alors en gros plan, son visage s’éclaircit tandis que le reste du décor est plongé dans l’obscurité. Elle aime cet homme et elle le sait, désormais plus rien n’existe. Un instant magique que David Lean parviendra à surpasser près de trente ans plus tard dans La Fille de Ryan, en usant des mêmes procédés, mais en plus flamboyants encore, pour une des scènes de coup de foudre les plus saisissantes de l’histoire du cinéma.

La censure anglaise, déjà bien vivace à l’époque, ne permet pas de traduire la situation d’adultère de manière trop explicite. Cependant, David Lean va contourner cette contrainte en inscrivant l'interdit dans la thématique même du film. Chaque entrevue des amants se voit troublée et écourtée par un élément extérieur, quant ce n’est pas la crainte d’être aperçus par une connaissance qui gâche ces rares instants de bonheur. Ces interruptions malheureuses contribuent progressivement à la séparation du couple adultère. En tant que personnes respectables, ils ne peuvent gérer les aléas d’une double vie. Le degré de gravité de ces contretemps va crescendo au fur et à mesure que le film avance : tout d’abord une connaissance de Laura croisée au restaurant, puis le retour prématuré de l’ami d’Alec à son appartement, et bien sûr la poignante séparation finale.

L’unité de lieu représenté par le buffet de la gare (et sa truculente tenancière) illustre le sentiment de claustrophobie des amants, en montrant la limite de leurs lieux de rencontres. Il est aussi symbole de douleur, puisqu'il est le cadre des multiples séparations jalonnant le récit. La gare est également à l'image de leur relation : un endroit de passage où l’on ne s’attarde pas, un lieu de brève rencontre… Le Concerto pour piano n° 2 de Rachmaninov, boucle musicale du film, souligne ainsi le côté répétitif et inéluctable du destin des personnages.

Tous ces éléments tendent à souligner le caractère banal de ce qui nous est raconté, une histoire d’adultère parmi tant d’autres. C’est justement cet aspect qui rend au contraire déchirante l’ultime entrevue des amants, chacun se préparant à retourner à son existence ordinaire après cette passion aussi intense qu'éphémère. Pour la séparation du couple, Lean use ainsi de tous les artifices déployés précédemment : la répétition de la séquence d'ouverture en guise d'ultime scène (la connaissance de l’issue en intensifie d'ailleurs la douleur) ; l'interruption par l’arrivée inopinée d’une intruse venant gâcher les derniers instants de Laura et Alec ; le décalage entre agonie intérieure et apparente froideur lorsque Laura laisse partir Alec sans un mot pour ne pas éveiller les soupçons ; le sentiment d’isolation dans un décor qui s’obscurcit à nouveau pour ne montrer que le visage de Laura, désormais seule puisque nous aurons appris plus tôt le départ d’Alec pour l’Afrique…

Matrice de certaines futures grandes œuvres de David Lean, Brève Rencontre est un modèle auxquels nombre de cinéastes devront se confronter, lorsqu'ils aborderont le mélodrame. Sa puissance dramatique reste intacte.

Sorti en dvd zone 2 français, mais pour les anglophone l'édition zon 1 sortie chez Critérion est bien plus intéressante avec de nombreux bonus passionnant.


4 commentaires:

  1. Es tu sûr que le zone2 fr est sorti?

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  2. Oui c'est sorti depuis longtemps dans la collection "Les films de ma vie" en combo avec un autre Lean "Oliver Twist" sur l'autre face du disque. Je crois même que ça a été réédité l'an dernier dans une meilleure édition niveau image.

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  3. Ha d'accord: le dvd reste quasi-introuvable dans le commerce, ceci dit.
    Merci de l'info.

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  4. Ah pas de bol, du coup la réédition de l'an dernier ne devais concerner que "Oliver Twist" et "De Grandes Espérance" alors. Reste la solution du Criterion et je crois qu'il y a une belle édtion zone 2 UK aussi !

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