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samedi 19 novembre 2016

Mon Oncle d'Amérique - Alain Resnais (1980)

Le Pr Laborit donne un cours sur le fonctionnement du cerveau et ses conséquences sur le comportement. Parallèlement, trois personnages que tout sépare vivent, souffrent, évoluent, se croisent.  Janine, Jean et René n'ont a priori rien en commun. Pourtant, ces trois personnes vont se rencontrer. Janine, fille d'un militant communiste, est comédienne. Elle devient la maîtresse de Jean, haut fonctionnaire marié. René, fils de paysan breton, a choisi de travailler dans l'industrie et a, peu à peu, gravi les échelons.

Mon oncle d'Amérique est la première des trois collaborations d’Alain Resnais avec le scénariste Jean Gruault avant La vie est un roman (1983) et L'Amour à mort (1984). Comme toujours avec le réalisateur le projet repose sur une expérience visuelle et narrative inédite, l’objectif étant ici de traduire par l’image les concepts anthropologiques du professeur Henri Laborit. Celui-ci s’était fait connaître pour ses travaux révolutionnaires dans la psychiatrie et la neuroscience et Alain Resnais s’applique à en déployer une forme de vulgarisation à travers l’outil cinématographique. Le début du film sera ainsi assez déroutant par une mise en parallèle schématique des concepts de Laborit avec l’introduction des personnages qui permettront de les éprouver en situation. La voix-off du scientifique accompagne des images animalières et de laboratoire, le montage alterné présentant tout aussi machinalement (sur une voix-off féminine de Dorothée) la biographie complète de Jean Le Gall (Roger Pierre), René (Gérard Depardieu) et Janine (Nicole Garcia). Cette mise en place neutre devient plus prenante au fil des destins des personnages appliquant les théories scientifiques. La construction même du récit obéit à cette idée : le principe du cerveau reptilien (le plus instinctif, commun à tout le règne animal et assurant les réflexes de survie) lors des scènes d’enfance où se construit la personnalité des héros à travers leur premières expériences, le cerveau limbique (commun à tous les mammifères, celui de la mémoire, qui guide notre comportement) réaction du précédent et qui laisse apparaître les affects positifs comme négatifs et enfin le néocortex (propre à l’humain qui permet d'associer des idées provenant d'expériences plus abstraites) qui viendra complexifier la donne dans la dernière partie. 

Resnais parvient à éviter toute lourdeur grâce à une narration certes déroutante mais toujours prenante. Entre le bourgeois Jean Le Gall, le fils de paysan René et la fille de militant communiste et comédienne Janine, on traverse trois milieux sociaux très différents qui permettent d’appliquer par la fiction (et l’humain) les cheminements de pensée d’Henri Laborit. Le personnage de Jean Le Gall dégagera tout le film la dimension à la fois rêveuse issue du cerveau reptilien (les souvenirs d’enfance sur son île l’attachement à son grand-père qui l’y amenait) et le déterminisme du cerveau limbique (l’exigence scolaire des parents, la culture de ce milieu bourgeois). Il en va de même pour René dont la ténacité et l’envie d’ailleurs tient de l’agression permanente se dégageant de son éducation rurale, sa réussite professionnelle adulte tenant de sa volonté de la quitter mais également les angoisses qui en naîtront en se pensant constamment menacé, en sursis. 

Enfin le goût du travestissement, le plaisir de capter l’attention de Janine vue dès ses jeux de petite fille amorcent sa carrière mais aussi la théâtralité avec laquelle elle affronte les situations personnelles (la dispute avec Le Gall où elle lui demande de l’enfermer après une dispute). Resnais fonctionne également par association d’idées, en plus des inserts scientifiques s’ajoutant des extraits des comédiens favoris des personnages là aussi pas attribué au hasard : Jean Gabin pour le prolo René, Danielle Darrieux pour le distingué Jean Le Gall et Jean Marais pour la maniérée Janine.

C’est une manière très originale de venir perturber une narration classique avec ce surlignage/explication scientifique qui donne un tour ludique et amène autant une hauteur amusée (le mimétisme entre Depardieu et le directeur rival dans l’usine) qu’une empathie marquée, la prestation écorchée et sobre de Gérard Depardieu étant particulièrement touchante. Le risque aurait pu être qu’en endossant une totale croyance dans les concepts de Laborit, Resnais cède à une démonstration mécanique du pouvoir du cerveau. Il n’en sera rien car illustrer ces théories est pour lui un moyen de s’amuser avec les codes narratifs plus qu’un moyen d’imposer une idée. Dans Providence (1977) par exemple après avoir célébré la toute-puissance du créateur dans la première partie, il en montrait les limites avec l’envers réel du décor où les failles affectives du héros se révélaient. Il en va de même ici où la complexité de l’esprit humain et les situations imprévisibles auxquelles il peut être exposé perturbe un comportement attendu.

Après une longue expérience sur un rat en cage soumis à des chocs électriques, Laborit dépeint l’apprentissage de la punition/douleur par l’animal qui sait désormais l’anticiper et la fuir. Resnais le contredit pourtant dans la scène suivante où Jean Le Gall retrouve Janine sur l’île quelques années après leur rupture et où après l’avoir tout d’abord fuit (échaudé par la manière dont elle l’a rejeté) il accepte finalement la promenade qu’elle lui propose, ranimant brièvement la complicité d’antan. Cet instinct de protection prend un tour plus alambiqué aussi à travers le mensonge d’Arlette Le Gall (Nelly Borgeaud) feignant la maladie incurable pour récupérer son époux. L’attitude soumise renvoie paradoxalement à un instinct de survie inapplicable à un rat passant d’une cage à une autre.

Les idées de Laborit s’avèrent passionnantes de bout en bout notamment la manière dont les inhibitions de la civilisation nous rendent plus vulnérables et se répercutent à des maux physiques et psychologiques typiquement modernes (développement croissant d’une cellule cancéreuse, dépression nerveuse). C’est comme si l’Homme payait cette conscience qui le rend plus complexe par des troubles qui lui sont propre aussi. Là aussi c’est illustré avec brio par Resnais, faisant surgir le mal-être physiologiquement (les coliques néphrétiques de Jean Le Gall après son renvoi de Radio France) comme mentalement (la tentative de suicide de René). Janine (magnifique Nicole Garcia) est sans doute le personnage qui l’exprime le mieux, le dépit amoureux autorisant toutes les dérives pour le laissé pour compte. Le travail sur le montage d’Albert Jurgenson est impressionnant, sachant aussi bien déployer la veine la plus expérimentale que le classicisme romanesque et il se réinvente après les prouesses réalisée sur Je t’aime,je t’aime (1968) ou Providence.

Le guide des affects de l’Homme pour Resnais repose finalement sur la nature insaisissable de ces attentes et déceptions. C’est là que s’explique cet étrange titre de film, Mon Oncle d’Amérique. Pour le travailleur engoncé dans sa condition, l’Oncle d’Amérique est la funeste légende de celui qui a rêvé et échoué. Pour l’actrice Janine, c’est le fantasme des feux des projecteurs et Jean Le Gall le nanti un idéal qu’il est certain de toucher du doigt. Le film sera un des plus grands succès commerciaux (1,3 millions France) et critique (Prix Méliès en 1980, Prix FIPRESCI et Grand Prix Spécial du Jury du Festival de Cannes 1980, nomination à l'Oscar du meilleur scénario original pour Jean Gruault en 1981) d’Alain Resnais, tout en dégageant une polémique entre Henri Laborit et la communauté scientifique qui n’avait pas compris que la magie du film repose sur le ressenti plus que l’explication rationnelle.Un précurseur du Vice Versa de Pixar ?

Sorti en dvd zone 2 français chez Mk2 

 

4 commentaires:

  1. Well said, sauf que les références d'acteurs (reflets de leur inconscient ?), pour Nicole c'est Jean Marais et pour Roger Danielle Darrieux...
    Les extraits courts de films sont d'ailleurs judicieusement insérés au cours des phases d'angoisse ou de colère des personnages. Depardieu et Gabin ça le fait !!

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    1. Ah oui j'ai inversé, effectivement c'est bien vu pour chacun d'eux. L'élégante distinction de Danielle Darrieux pour Roger Pierre, le théâtral Jean Marais pour Nicole Garcia et Gabin/Depardieu on ne pouvait pas trouver mieux. Les inserts sont toujours bien vus !

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  2. Les moments sur l'île (où Jean Le Gall a passé son enfance) sont très beaux, Quand Janine et lui s'y retrouvent par hasard (?) après leur rupture (basée sur la ruse de la femme de Jean), quand elle marche dans l'eau comme pour lui affirmer qu'elle a été trompée et qu'elle l'aime toujours (c'est du moins ce qui m'est apparu, cela fait un moment que je ne l'ai pas revu), l'intermède comique lors de la partie de chasse (bien sûr Roger Pierre a des ressorts comiques acquis sur scène), quand Jean évoque son enfance...
    Comme tu le dis, Nicole Garcia est en état de grâce.

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    1. Oui c'est vraiment un des plus beaux moments du film, Resnais y montre le côté plus imprévisible de l'esprit humain et s'affranchit de la démonstration scientifique pour privilégier l'émotion. Les hésitations à avouer le motif de la rupture, tout comme la nostalgie qui se dégage de la scène (et visuellement c'est somptueux) en font vraiment une scène superbe.

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