Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 9 septembre 2011

La Bandera - Julien Duvivier (1935)


Pierre Gilieth, un criminel français ayant tué un homme dans un bar de la rue Saint-Vincent à Paris, décide de fuir la France et s'engage dans la Légion étrangère espagnole. Sans le savoir, celui-ci est suivi par Fernando Lucas, un indicateur de police tenté par la prime.

La légion, refuge ultime d'anonymes au passé douteux venu se fondre dans la masse d'autres camarades d'infortunes sur les fronts de guerre les plus exotiques pour se oublier et se reforger une identité. Un mythe vivace que le superbe film de Duvivier contribue largement à entretenir en servant tous les poncifs avec cet ode à la seconde chance incarné par l'uniforme, la discipline et la camaraderie masculine ainsi que l'évasion que véhiculent les contrées inconnues parcourues. Ces éléments en apparences assez grossiers, La Bandera les transcende totalement par la grâce de la mise en scène de Duvivier et de la prestation puissante de Jean Gabin qui avec ce rôle mémorable gagne définitivement ses galons de star. Il est ici Pierre Gilieth, un homme dont le scénario entoure le passé de mystère si ce n'est l'ouverture où on assiste au meurtre qu'il commet rue Saint-Vincent.

L'errance et la cavale en Espagne ne nous en dirons guère plus sur lui et c'est véritablement lorsque engagé au sein de la légion ses actes nous révèlerons quelle âme se dissimule sous le meurtrier. Nul besoin d'explication ou de justifications trop appuyées, ses actes et son comportement parleront pour lui. Gabin, imposant, torturé ou amoureux passe de la force à la fragilité avec grâce et exprime tout le mélange de violence encore non éteinte et de regret qui définit son personnage contraint à une certaine introspection dans ce cadre isolé. Grâce à lui, tous les autres personnages caricaturaux (Annabella en amourette exotique peinturlurée en prostituée arabe mai qui garde son aura fascinante...) s’éclairent d'un jour plus authentique et chaleureux souligné par l'excellente prestation de Raymond Aimos diablement attachant en soldat Mulot, ou d'un magistral Pierre Renoir parfait de droiture et de charisme en Capitaine Weller.

Duvivier adapte parfaitement sa mise en scène au cheminement intérieur de son héros. La réalisation baigne entre héritage du muet avec la très expressive séquence d'ouverture (mais aussi l'ampleur visuelle avec ce mouvement de caméra dévoilant des hauteurs puis une ruelle parisienne de studio à l'esthétique stylisée et volontairement factice) et une modernité percutante. Tant que Gabin se cherche et ne sait pas où il va Duvivier enchaîne les prouesses visuelles marquées, que ce soit les accélérés lorsque Gabin affamé fuit la police dans Barcelone, un arrière-plan remplaçant le décor par une projection du traumatisme d'ouverture pour figurer les cauchemars qui l'assaillent ou encore une séquence de démence aux cadrages chaotiques.

Le réalisateur amène progressivement une épure et une simplicité au fur et à mesure que l'on se fond dans le cadre de cette unité de légionnaire. L'ensemble devient plus apaisé et immersif quand la paix intérieur gagne Gabin (même si la recherche esthétique est toujours là voir les splendides scènes romantiques entre Gabin et Annabela presque oniriques et magnifiée par la photo de Jules Krüger) et Duvivier privilégie le quotidien finalement plus laborieux que réellement guerrier de nos soldats.

Adapté d'un roman de Pierre Mac Orlan (qui rapporta par la fiction ses propres reportages sur la légion et qui fut également soldat au sein de l'armée française) le film s'avère particulièrement réaliste dans sa description des rapports qui lient ses hommes et Duvivier met magnifiquement en valeur ses décors désertiques et rocheux brûlés par le soleil. Si bien captivé désormais, les passages obligés s'avèrent donc soudain chargé d'émotion avec la transformation au combat du jusque-là sournois Robert Le Vigan et l'hommage guerrier final à Gabin fort touchant dans sa solennité militaire.

Sorti en dvd chez M6 Video

extrait

1 commentaire:

  1. Film absolument prodigieux, je pense, dans sa thématique sans concessions, dépourvue d'exotisme (celui qui hantait quand même le méconnu "Les 5 Gentlemen maudits", pépite expressionniste, nourrie de l'esthétique années 30 pour ses intérieurs et de documentaires larvés pour ses extérieurs). Gabin habité, Renoir pudique, Le Vigan dans un de ces rôles ignobles où il excellait (l'homme privé ne s'est pas racheté et semble avoir été sinon fou, du moins bien névrosé ! On sait comment il a fini...), Annabella moins crispante que d'ordinaire (elle est même très émouvante).

    A voir absolument, et à enchaîner sur les autres films de Duvivier, grand maître trop oublié (même ses films dit "mineurs" comme "Le Diable et les Dix commandements" sont des chefs-d'oeuvres de subtilité et de finesse... La Nouvelle Vague avait bien tort.)

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