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mardi 23 octobre 2012

Double Énigme - The Dark Mirror, Robert Siodmak (1946)


Une jeune femme est accusée du meurtre d'un médecin : on l'a vue près du lieu du crime au moment où celui-ci a été commis, et pourtant elle a un alibi indiscutable. La police découvre, en se rendant chez elle, la présence de sœurs jumelles, aucune n'avouant ni ne dénonçant l'autre. L’enquête tourne court, la procédure avorte et les deux sœurs sont remises en liberté. Un lieutenant de police arrive à convaincre un psychiatre (passionné par ce cas et amoureux de l’une des deux jeunes femmes) de l’aider à déterminer, au péril de sa vie, qui est la meurtrière.

En cette année 1946 Robert Siodmak s'installe au sommet d'Hollywood en réalisant coup sur coup Les Tueurs et Double Enigme. Les deux films le pose en nouveau maître du film noir (Phantom Lady en 1944 avait déjà annoncé cette progression) où pour le premier il contribue à cet onirisme tortueux associé au genre,à cette fatalité dans sa narration en flashback tout en créant la femme fatale ultime (Ava Gardner) et pour le second il introduit (avec d'autres œuvres comme le Spellbound d'Hitchcock) cette dimension la psychanalyse qui inondera le film criminel dans les années à venir. Le scénario de Nunnaly Johnson adapte d'une histoire de l'écrivain français réfugié à Hollywood Vladimir Pozner, Johnson exploitant à son tour cette veine psychanalytique quelques années plus tard une fois passé à la réalisation sur Les Trois Visages d'Ève.

Dark Mirror est avec Sœurs de sang de Brian de Palma et Faux-semblants de David Cronenberg le film le plus abouti sur le thème de la gémellité. L'argument criminel et le suspense est bien sûr le meilleur moyen d'exploiter et de rendre excitant les problématiques et les troubles associés à cet état et Siodmak en joue à plein dès son introduction nocturne où l'on découvre ce cadavre poignardé en plein cœur, puis l'impasse de l'enquête jusqu'à la découverte des deux suspectes en la personne des jumelles Ruth et Terry Collins (Olivia De Havilland). Finalement hormis cette entrée en matière et la conclusion, Siodmak se déleste de tous les effets de mise en scène les plus marqués du film noir (photo ténébreuse, narration alambiquées, plan-séquences, ambiance urbaine oppressante soit tout ce qui fait le sel des Tueurs justement) pour une sobriété visuelle et narrative surprenante.

A l'image des deux imperturbables jumelles dissimulant une criminelle, la réalité du film doit sembler tout aussi normale et sobre, le dérèglement n'intervenant progressivement que par touches savamment dosées. L'urgence du film policier laisse donc place à une approche essentiellement psychologique où le psychiatre incarné par Lew Ayres apprivoise les deux sœurs le temps d'une série de test, les manipule plus ou moins volontairement en séduisant l'une et éveillant la jalousie de l'autre pour découvrir laquelle dissimule la folie meurtrière.

Olivia de Havilland libérée des rôles stéréotypées de la Warner de laquelle elle a pu s'échapper après un rude combat juridique laisse ici éclater tout son intensité dramatique et la versatilité de son jeu. Elle nous perd dans la complexité de la relation entre la douce Ruth et la manipulatrice Terry où la bienveillance qu'on associe à l'actrice (la gentille Mélanie d'Autant en emporte le vent la suivra toujours et elle apprend intelligemment à en jouer ici) perturbée par un malaise et une ambiguïté nouvelle.

Techniquement la prouesse reste stupéfiante avec les nombreuses scènes dédoublant Olivia de Havilland dans le cadre d'un même plan, Siodmak ayant fait appel à Eugen Schüfftan ancien magicien de la UFA installé à Hollywood et responsable des effets visuels les plus impressionnants des Nibelungen (924) et Metropolis (1927) qui ne sera pourtant pas crédité au générique. Le procédé de collage grossier sur un film en couleur est indiscernable avec l'usage du noir et blanc et l'illusion est encore intacte aujourd'hui.

Siodmak use de ces artifices de manières alternativement spectaculaire mais toujours à bon escient (les deux sœurs se réconfortant et s'enlaçant avec le visage dédoublé de Olivia de Havilland) ou de manière plus subtile en les confondants par leur gestuelle, silhouette dans des plans d'ensemble les montrant de profil, impossible à distinguer. Le bien et le mal arborent un même visage que seule la psychanalyse saura différencier avec un scénario convoquant des méthodes encore peu connues du grand public à l'époque comme le test de Rorschach. Lorsque les dissensions naissent alors entre les jumelles, Siodmak convoque progressivement divers symboles pour nous perdre et nous guider à la fois.

L'omniprésence des miroirs dont les reflets isolent ou confondent les jumelles crée un malaise constant, tout comme les conversations entre elles dont les éclairages tout d'abord sobre nous perde sur qui est qui avant de baigner la plus malfaisante dans les ténèbres. Autre grand tour de force de Siodmak, réussir à maintenir la tension jusqu'au bout alors que la nature de la coupable ne fait plus aucun doute dans les derniers instant. Même le happy-end sans fioriture laisse le doute avec un sourire final encore trop chaleureux pour être honnête d'Olivia de Havilland alors que l'intrigue est résolue. Beau tour de force de Siodmak qui aura suffisamment manipulé le spectateur pour le laisser sans repères.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

Extrait

5 commentaires:

  1. Pas d'accord avec vous sur le De Palma. "Soeurs de sang" est quand même d'un ridicule achevé. En revanche, la gémellité est fort subtilement traitée par Robert Mulligan dans "L'Autre" d'après un roman de l'acteur premingerien Tom Tryon. En tout cas de façon nettement plus aboutie que le de Palma pour reprendre vos termes.
    Siodmak est décidément à re-découvrir. Absolument.
    Revu "Spiral Staircase" et "Le Suspect" il y a peu. Magistral.

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  2. Ah de toute façon De Palma fait tellement dans l'outrance et le grand guignol qu'on trouvera ça génial ou ridicule selon son degré de tolérance surtout à cette période où il se permettait tout les excès. Je suis très client et sa mise en scène est particulièrement virtuose.

    Sinon il est vrai que je n'ai pas cité "L'Autre" que je n'ai pas vu bien que j'apprécie beaucoup Robert Mulligan sur ce que j'ai vu de lui. Une lacune à combler !

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  3. Je note qu'en novembre on n'était déjà pas d'accord, hé, hé... Mais il me semble que, depuis, tu as vu "The Other" sauf erreur.
    A propos de Olivia de Havilland, je viens de revoir "Strawberry blonde" de Walsh, tu connais? Complètement délicieux.

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  4. Oui c'est ton message d'ailleurs qui m'a incité à enfin voir "The Other" (qui devient mon Mulligan préféré !). Pas vu le Walsh mais j'adore Olivia de Havilland j'en avais enchaîné pas mal dernièrement dont une screwball comedy méconnue où elle est à hurler de rire "L'aventure de minuit" grand moment !

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  5. Soeurs de sang n'est pas ridicule selon moi, mais le commentaire de cet anonyme l'est.
    Je le préfère largement à L'autre.
    Je regarde ce jour sur IMDB : les deux films ont la mêm note : 7. Ils faut éviter ce type de jugement.

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