Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 5 septembre 2011

Tout ce que le ciel permet - All That Heaven Allows, Douglas Sirk (1955)


Jeune veuve avec deux grands enfants, Cary Scott mène une vie terne, continuant à rêver au grand amour sans oser chercher le nouvel homme de sa vie par crainte des commentaires. Sa famille voudrait lui faire épouser un homme de son âge et de sa condition, mais son cœur la pousse vers son jardinier, bien plus jeune qu'elle, et de condition modeste...

L’immense succès rencontré par Le Secret Magnifique incite le studio Universal et son producteur à reproduire la formule. Tous les éléments les plus marquants du film de 1954 sont donc ici méticuleusement à nouveau en place : le couple Rock Hudson/Jane Wyman, le compositeur Frank Skinner, Russel Metty à la photo et bien évidemment Douglas Sirk à la réalisation. On a donc là (hormis Jane Wyman qui ne tournera plus avec Sirk) la constitution d’une vraie équipe artistique réunie pour d’autres grands mélodrames à venir comme Ecrit sur le vent, La Ronde de l’Aube également avec Hudson ou encore Le Temps d’aimer et le temps de mourir, Mirage de la vie. Mais pour l’heure il s’agit pour Sirk de réitérer la réussite du Secret Magnifique, mais à sa façon soit en allant totalement à l’inverse de ce dernier.

Le Secret Magnifique était un film hypertrophié en tout point avec ses héros plus grands que nature, ses rebondissements invraisemblables et son intrigue traversant plusieurs pays. Ici le scénario réduit tout cela à l’essentiel : petite ville américaine provinciale pour cadre, personnages ordinaires et enjeux nettement plus commun et parlant pour le public. Ce retour à une épure narrative contrebalance avec une thématique bien plus riche sous l’apparente simplicité et une esthétique qui acquiert définitivement des vertus flamboyantes et emphatiques.

Jane Wyman incarne ici une veuve solitaire dont le quotidien morne alterne les réunions guindées avec un voisinage hypocrite et médisant et les visites de ses enfants le weekend. Aucune perspective de voir cet état de fait bouleversé, son seul prétendant (si on excepte les odieuses avances d’un homme marié) étant un ami de la famille recherchant plus une compagnie pour ses vieux jours qu’un nouvel amour. La passion va pourtant renaître de manière inattendue lorsqu’elle tombe sous le charme de son jardinier Ron Kirby (Rock Hudson), totalement différent de son entourage. Comme le soulignera un dialogue du film, Ron ne feint pas, il est.

Ron n’essaie pas de s’adapter, il vit. Véritable homme des bois vivant en communion avec la nature, il a élevé cet idéal en philosophie de vie et n’a que faire de la bienséance de façade.C’est ce qui va séduire Jane Wyman et qui est souligné dès leur premier échange. Face aux quelques banalités que lui lance notre héroïne pour entretenir la conversation Hudson se montre taciturne et ne dissimule même pas son désintérêt. Pourtant il suffit qu’elle lui parle soudain des arbres pour qu’il s’anime, partage ses connaissances et sa passion tandis qu’elle est progressivement subjuguée par cet homme si différent, si authentique.

Tout le film repose sur le chemin qu’aura à parcourir Jane Wyman pour se libérer des entraves si artificielles du regard de la communauté pour vivre son amour. Sirk oppose ainsi deux mondes de manières marquée. D’un côté Rock Hudson, chemise de bûcheron, débouchant les bouteilles de vin avec les dents et ses amis aux plaisirs simples et sincères en campagne. De l’autre les « amis » préférant l’enfermer dans une case bienséante où elle est malheureuse et prêt à fondre sur elle si elle daigne en sortir.

Les plus intolérants s’avéreront ses propres enfants étonnant dont le conformisme se manifestera dans leur réaction face à la relation de leur mère. Plutôt qu’un compagnon de son rang et de son âge elle ose choisit une force de la nature juvénile symbole d’un désir et d’une sexualité toujours active, et donc indigne pour eux.

Tout cela est bien sûr très marqué et pourrait être caricatural. Dans Le Secret Magnifique la relative sobriété visuelle rattrapait l’extravagance du script. C’est l’inverse ici où des principes qui passerait pour simpliste sont transcendés par l’image. La photo de Russel Metty dans ses teintes automnales irréelles, ses hivers d’un blanc immaculé fige cette nature dans une imagerie americana au classicisme (à la Norman Rockwell) magnifié par un Sirk imprégné de culture américaine classique dont il souhaite donner sa vision, celle dont il rêvait alors qu’il était encore en Allemagne. Aucun écueil n’est trop osé, comme l’arrivée irréelle d’un cerf dans le cadre lors de le la dernière scène.

A l’inverse les séquences au sein de la communauté "huppées" sont plus sombres et marquées par des couleurs oppressantes, parfois plus bleutées qui envahissent même les espaces chaleureux telle l’entrevue du couple au moulin avant la rupture. Les éléments visant à briser cette harmonie idéalisée s’insinuent même de manière plus politiquement marquées avec cette cruelle scène (sans doute la plus touchante du film) où les enfants de Jane Wyman après l’avoir séparée d’Hudson et la délaissant ne trouvent comme réponse à sa solitude qu’à lui offrir une télévision. Celle-ci n’a plus qu’à contempler dans le reflet de l’écran sa mine défaite, tout a été perdu sous l’autel des apparences et elle est à nouveau seule mais de manière plus triste encore. Comme le souligne sans le savoir ironiquement le vendeur, elle aura la joie, l'amour et l'animation à portée de main..

Sirk réalisait ainsi une oeuvre complexe, passionnante et émouvante de bout en bout à travers ce grand film dont la conclusion heureuse mais mélancolique demeure incertaine. All That Heaven Allows est peut-être le plus admirés des mélodrames de Sirk et son influence sera considérable au fil du temps. Fassbinder (grand admirateur de Sirk s’il en est) en reproduira l’intrigue dans une Allemagne contemporaine avec Tout les autres l’appellent Ali où le jardinier est remplacé par un immigrant marocain. Plus récemment Todd Haynes croisera la trame du film avec l’argument racial de Mirage de la vie dans sa passionnante variation du cinéma de Sirk Loin du Paradis.


Sorti en zone 2 français chez Carlotta dans une belle édition comme la plupart des classiques de Douglas Sirk.

4 commentaires:

  1. Ce film est absolument merveilleux. La justesse et la finesse des personnages le rapproche de "Demain est un autre jour". Mais il est sans doute encore plus beau !

    RépondreSupprimer
  2. Oui et visuellement c'est sans doute le plus beau et typique de la patte Douglas Sirk je pense... A l'époque je craignais de revoir "Loin du Paradis" après avoir découvert ce film mais Haynes s'en ait brillamment sorti son film fonctionne sur les deux niveau (le côté cinéphile qui retrouve les élements narratif et visuel de Sirk et la vraie histoire tragique racontée) même quand on commence à bien connaître Sirk.

    RépondreSupprimer
  3. J'ai justement mis la main sur "Loin du paradis", que je n'ai jamais vu, et que je materai bientôt.

    RépondreSupprimer
  4. Moi j'avais découvert indirectement Sirk en voyant celui là en salle, tu vas voir c'est fascinant de mimétisme et vraiment très intelligement réapproprié par Haynes.

    RépondreSupprimer