Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 31 juillet 2012

Le Temps de l'Innocence - The Age of Innocence, Martin Scorsese (1993)


Années 1870. Tandis qu'il annonce officiellement ses fiançailles avec May Welland, le jeune aristocrate Newland Archer apprend qu'Ellen Olenska est de retour à New York. Souvenir d'enfance, Ellen Olenska a épousé un riche parti et vivait jusqu'alors en Europe. Elle rentre après avoir quitté un mari volage et tente non sans mal de reprendre le cours de la vie mondaine de New York. Newland Archer s'empresse d'entourer Ellen de ses conseils et de la guider à travers la jungle aristocratique des convenances et des commérages.
 
Le film de Martin Scorsese est sans doute la plus connue et réussie des adaptations de ce qui est un des romans les plus aboutis d’Edith Wharton. Avec The Age of Innocence, la critique acerbe le l’aristocratie new yorkaise qui court tout au long de son œuvre prenait sans doute un tour plus personnel à travers la nature et le destin de ses protagonistes. On peut vraiment voir dans le personnage d’Ellen Olenska un double papier d’Edith Wharton qui lui associe des évènements de sa propre vie. L’auteur fut mariée très jeune à Teddy Wharton, issu du même milieu qu’elle mais ne partageant pas sa sensibilité artistiques. Malgré ses désaccords, elle dû attendre 25 ans de ce mariage malheureux et le point de non-retour atteint dans la santé mental de son époux pour pouvoir divorcer.

L’écriture fut donc un refuge salvateur mais tout comme Ellen Olenska elle ferait figure d’étrangère pour la haute société de New York, trop libre de ses pensées et de ses actes et en quelque sorte Le Temps de l’Innocence dépeint des héros qui contrairement à Edith Wharton n’auront pu surmonter ces obstacles des apparences et gâcheront leur vie pour préserver les conventions.

Le choix de Martin Scorsese peut paraître curieux au départ, le peintre du malaise urbain (Taxi Driver), l’autodestruction (Raging Bull, Taxi Driver encore) et des mœurs violentes de la mafia (Mean Street, Les Affranchis, Casino) sur un film en costumes ? Le cinéaste possède une filmographie plus variée que ces titres emblématiques le laissent croire et s’avère le candidat idéal pour une description clinique et minutieuse de cette aristocratie new yorkaise.

On retrouve ici des procédés narratifs dont il fit déjà usage dans Les Affranchis (et plus tard dans Casino et Gangs of New York) avec cet approche quasi documentaire où une voix-off dépeint avec détails les codes se dissimulant sous les dîners clinquants, les réels sentiments derrière les sourires avenants (le dîner en l’honneur d’Ellen Olenska unanimement décliné), la vraie nature des plus sévères dans leurs jugements moraux envers autrui (Laurence Lefferts)…

Seule différence dans Les Affranchis et Casino cette description se fait à travers un personnage de l’histoire (Ray Liotta qui fait office de guide dans cette Mafia) et son regard nostalgique malgré les comportements révoltants des truands quand ici Scorsese fait lire des passages entiers du livre à sa voix-off d’un timbre neutre où la pointe d’ironie naîtra principalement du décalage entre ce qui est montré et ce qui est dit, renforçant la froideur inhumaine de ces nantis.

L’humain naîtra principalement dans la manière dont nos héros se place à contre-courant de ce monde bien réglé. Newland Archer (Daniel Day-Lewis), pur produit de cet univers le sera d’abord par la pensée (comme le souligne la voix-off il exprime ses différences en privé et suit la tradition en public) avant que sa rencontre avec la Comtesse Olenska (Michelle Pfeiffer) bouleverse ses certitudes. Cette dernière est un paria qui s’ignore, bafouant les règles de bienséance ridicule avec la plus grande ignorance (lorsqu’elle quitte un interlocuteur masculin pour se diriger vers Newland lors d’un dîner, impensable pour une femme) et suspecte de part même son statut de femme séparée.

Les raisons importent peu, seule la première couche importe. Le couple va donc s’aimer et se séparer dans un cruel décalage. Ellen par ses manières libérée offre un aperçu d’une vie sans contrainte à Newland tandis qu’à l’inverse celui-ci lui fera découvrir à quel point elle est en faute pour la bourgeoisie locale.

Ironiquement, chacun poussera l’autre dans la voie qui les séparera inéluctablement (Newland qui l’incite à ne pas divorcer, Ellen plus tard qui appuiera son mariage) pour suivre la norme et empêcher le scandale. Scorsese ne fait guère de différence entre la mafia des Affranchis et les nantis d’Age of Innocence : même sens de l’unité de groupe, même idéalisme de façade et logique rigide à respecter. Les meurtres sanglants des truands sont juste remplacés une exclusion plus sournoise, l’exécution se faisant en silence, avec sourire et politesse.

Daniel Day-Lewis et Michelle Pfeiffer au sommet de leur photogénie forment un magnifique couple tragique et quasi platonique (même si plus démonstratif que le livre où un seul baiser sera échangé) enchaînés par des liens aussi invisibles qu’insurmontables.

Winona Ryder est également parfaite d’ambiguïté en oie blanche dont le regard traduira tour à tour le vide de pensée commun à son milieu mais aussi sa détermination à préserver son foyer lors d’une conclusion où elle prendra Newland dans ses filets avec un tendresse implacable. Scorsese délivre une œuvre formellement somptueuse où les décors et costumes signés Dante Ferreti et Gabriella Pescucci seront nominé aux Oscars.

La manière qu’à Scorsese de figer ses protagonistes dans leur environnement serait de son propre aveu grandement inspirés des peintures de James Tissot. Sous le cloisonnement et la claustrophobie des intérieurs luxueux, le réalisateur laisse éclater également de merveilleuses respirations avec cette magnifique séquence où Newland espère à distance qu’Ellen se tourne vers lui tandis qu’elle observe le passage des bateaux à une rambarde sous un soleil couchant. Le temps d’un instant on se prend à espérer avec Newland qu’elle se tourne et que tout puisse être remis en question mais, comme le montrera l’amer épilogue le moment est passé et appartient au temps de l’innocence, s'il a jamais vraiment existé...

Sorti en dvd zone 2 français chez Sony


4 commentaires:

  1. J'ai découvert ce film il y a trèès longtemps ; c'est seulement en lisant le livre bien des années plus tard que j'ai mieux perçu toute l'ambiguïté des personnages féminins - la Comtesse, grande amoureuse ou allumeuse ? Et cette May, présentée comme une oie blanche très conventionnelle, mais qui se révèle beaucoup plus intelligente et manipulatrice qu'on ne l'aurait cru, Archer apparaissant finalement comme quelqu'un d'assez lâche... un film et un livre complexes.

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  2. Il m'avait paru plus victime des évènements que lâche Archer, les deux fois où il est prêt à prendre des risques les évènements se retournent contre lui surtout à la fin. Winona Ryder rend en tout cas formidablement bien cette fausse candeur, la manière dont elle prend Archer au piège à la fin est vraiment aussi bien rendu que dans le livre. C'est vrai qu'à une première vision il y a longtemps sans connaître le livre je n'avais retenu que la niaiserie de façade aussi...

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  3. Le regard d'entomologiste de Scorcese fait merveille dans ce film remarquable (mais assez dénigré à sa sortie, crois-je me souvenir). La séquence finale qui est une apologie du souvenir opposé à la réalité (tout comme la réalité que montre le cinéaste n'est qu'une reconstruction visuelle de la perception mentale de la romancière ?) est une pure merveille. Acteurs fabuleux. Tous.

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  4. Oui Scorses est vraiment impressionnant pour rendre narrativement fluide ce regard d'entomologiste dans "Les Affranchis" c'était déjà brillant et ce sera encore plus impressionnant dans "Casino". Il a vraiment saisi l'essence du livre. Je crois me souvenir aussi d'un accueil mitigé, commercialement surtout mais il avait quand même eu de bonne critiques, aux Etats-Unis en tout cas. Mais c'est vrai qu'il est rarement spontanément cité quand on évoque ces meilleurs films et pourtant...

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