Casey, une adolescente
brillante et optimiste, douée d’une grande curiosité scientifique et Frank, un
homme qui fut autrefois un jeune inventeur de génie avant de perdre ses
illusions, s’embarquent pour une périlleuse mission. Leur but : découvrir les
secrets d’un lieu mystérieux du nom de Tomorrowland, un endroit situé quelque
part dans le temps et l’espace, qui ne semble exister que dans leur mémoire
commune...
Tomorrowland est
une des œuvres les plus personnelles et originale de Brad Bird, et qui vient
apporter une touchante clarification sur une thématique qui plane sur toute sa
filmographie. Chaque film de Brad Bird semble être une variation autour de la
philosophie de l’objectivisme chère à Ayn Rand. Cet auteur en réaction au
régime communiste et au collectivisme oppressant dans lequel elle avait grandie et
souffert développa ce concept de l’objectivisme. Celui-ci célèbre l’idée d’un
individualisme, d’une liberté de s’accomplir dans l’expression de son ambition
et talent ne devant jamais céder à une préoccupation collective synonyme de
médiocrité et de régression. Cette Virtue of Selfishness comme l’appelait Ayn Rand exprime une
idéologie passionnante ou dangereuse selon les points de vue et le domaine
auquel on l’associe, que ce soit l’art ou l’économie laissant entrevoir le
capitalisme le plus décomplexé. Ayn Rand développa ces idées notamment dans la
fiction avec The Fountainhead brillamment adapté par King Vidor avec le
chef d’œuvre Le Rebelle (1949). Dans tous les films de Brad Bird, on
retrouve cela à travers des personnages confronté à l’uniformité de la masse.
Le jeune garçon du Géant de Fer (1999) voit dans un imposant robot un
camarade de jeu quand les adultes en font une menace communiste. La famille de
super héros des Indestructibles (2004) est contrainte de dissimuler sa
singularité pour passer pour « normale » et n’use pas de ses
pouvoirs. Enfin le rat de Ratatouille (2007) est empêché de déployer ses
talents culinaires et doit en rester à son statut de parasite. Même si le
réalisateur enrobait l’ensemble d’atours trépidants et d’une émotion sincère, l’ambiguïté
associée à l’objectivisme demeurait notamment à travers les antagonistes
représentant « la masse », médiocre et envieuse avec le Syndrome des Indestructibles
ou le critique culinaire de Ratatouille (et pour le coup directement inspiré du
méchant The Fountainhead). Cela venait sans doute aussi du propre
parcours de Brad Bird dont le talent fut longtemps bridé car s’il se révéla à
la critique avec Le Géant de fer et au grand public avec Les Indestructibles,
ce fut un génie précoce (remarqué par Disney en signant son premier
court-métrage d’animation à treize ans) qui vit tous ses camarades de
promotions (Tim Burton et John Lasseter partagèrent avec lui les bancs du California
Institute of the Arts) lui passer devant alors qu’il officiait à la télévision
sur Les Simpsons.
Brad Bird englobe un scénario
riche de concept et de questionnements dans un tout ludique et virevoltant. Les
inventions les plus folles et les fantasmes steam punk (la Tour Eiffel
dissimulant une fusée, le conglomérat d grands créateurs constitué de Gustave Eiffel,
Tesla, Jules Verne et Edison à l’origine de Tomorrowland) donnent une fenêtre
sur Tomorrowland dans une course-poursuite échevelée où l’extraordinaire semble
resté tapi mais ne demande qu’à s’exprimer. Tout cela est idéalement résumé par
la relation complexe entre Frank et Athena. L’association de génies de
Tomorrowland aura aboutie à la création d’une communauté de démiurge cherchant
à s’isoler de la Terre plutôt que de l’aider à avancer. La fin du rêve aura
signifié l’exclusion de Frank qui se morfond dans l’apathie de son époque
tandis qu’Athena poursuit l’objectif désormais vain de recruter des
talents à travers le monde. Brad Bird rend
palpable ces idées en y entremêlant une touchante et osée histoire d’amour, le
renoncement de Frank se confondant avec la déception amoureuse Athena étant un
cyborg. La transition entre flashbacks charmants les réunissant dans un
Tomorrowland à son apogée et le malaise de leurs retrouvailles au présent
symbolise tout ce qui a été perdu.
Brad Bird laisse s’exprimer
cela dans le mouvement perpétuel de la première partie où les enjeux se
devinent par la seule image (le décompte de l’apocalypse reculant par la seule
présence de Casey) avant que viennent l’heure des explications à Tomorrowland.
Le réalisateur endosse dans sa narration l’allant positif de son héroïne
incarnée avec charisme et énergie par une excellente Britt Robertson. Le
passif visuel et thématique de Bird se déploie dans toute sa richesse au sein
du récit. Sur la forme l’expérience de l’animation se ressent dans les attitudes
très expressives de Casey la gestion du mouvement et de l’action (la chute en
arrière très cartoon de Casey face à la protection invisible de la demeure de
Frank) ainsi que la caractérisation avec les robots traqueurs et leurs mimiques
outrancières les déshumanisant. Sur le fond on retrouve la révolte de Bird face
à la peur, l’apathie et la perte d’espoir de ses congénères.
On aura une
saillie cinglante envers les « fans » (une boutique geek abritera une
dangereuse menace, dans Les Indestructibles le méchant est à l’origine
un admirateur déçu et revanchard) aussi coupable et endormis que les chantres
de l’égoïsme ordinaire. Là où le regard change, c’est dans la critique des « élus »
qui bouscule l’idée d’objectivisme célébrant la satisfaction (matérielle,
artistique ou spirituelle) à la seule échelle de l’individu et qui dans le film
amène l’isolement volontaire de Tomorrowland à l’origine destiné à changer le
monde. Le personnage de Nix (Hugh Laurie) maître de Tomorrowland, incarne
totalement ce renoncement égoïste, ce pessimisme où le savoir n’élève pas plus
que le commun et incite juste à survivre dans le confort sans se soucier d’autrui.
Tout en gardant l’emballage
d’un vrai grand divertissement, Brad Bird interroge donc une société se
complaisant à se morfondre dans le fatalisme sans rien changer. Les esprits
supérieurs et de bonnes volonté sont donc là pour bouleverser cet état et non s’en
protéger, le trio de héros incarnant cet optimisme chacun à leur manière et
plus particulièrement Casey. La première partie virevoltante cède à une seconde
plus sombre donnant dans l’introspection avec la perte d’illusion de Casey
découvrant la faillite de Tomorrowland. Mais cette flamme optimiste, cet espoir
et esprit frondeur reprendront leur droit dans une haletante conclusion qui
sous le spectaculaire ne perd jamais de vue sa dimension intimiste notamment la
magnifique dernière scène entre Frank et Athena. Raffey Cassidy est vraiment
exceptionnelle dans toutes les nuances apportées à ce personnage reflet des
travers et réussites de cette utopie
tout au long du récit.
Elle passe de figure charmante mais
programmée/publicitaire à des émotions plus troubles et nuancée au contact de
Frank qui la regarde autrement, Bird rappelant la dualité du robot dans Le
Géant de fer. Cela est amené avec une telle subtilité qu’aucune gêne n’apparait
dans les interactions avec George Clooney et surtout pas la dernières où l’on
ne voit que les personnages et pas un adulte et une fillette. Brad Bird ramène
donc le talent au service des autres plutôt qu’à la seule autosatisfaction,
versant dans un idéalisme confondant et qui fait du bien par les temps qui
courent dans son épilogue.
A l’image de ses dernières productions atypiques (Lone Ranger (2013) et John Carter (2012)) Disney désormais figé dans sa
logique de franchises ne saura vendre le film (voir le sabordera pour faire
payer à Brad Bird son refus de ne pas réaliser le prochain Star Wars, on
y aurait gagné par rapport à la photocopie paresseuse de Abrams) qui sera un
échec au box-office. Bien triste pour cette ode à l’optimisme et un des plus
beaux films de Brad Bird.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney
Je me souviens d’une critique de Yannick Dahan sur ce film, qui va à peu près dans le même sens que vous (un film courageux et intelligent injustement sous-estimé). Par ailleurs, la vie, la philosophie et la réception d’Ayn Rand ont été récemment traitées sur ce blog.
RépondreSupprimerTrès bel avis de Yannick Dahan qui appuie plus que moi sur le côté subversif de l'intérieur et charge contre le bonheur factice à la Disney que peut représenter au départ Tomorrowland (la scène de spot publicitaire joue pas mal là dessus). Et merci pour le lien sur Ayn Rand, très complet sur son parcours et nuancé sur ses idées, passionnant ! C'est quand même vraiment dommage que le film n'ait pas marché, une vraie vision du mond loin du vide du blockbuster standard.
SupprimerSoucieux d'éviter les spoilers, j'ai survolé ta chronique qui m'a quand même fait plaisir dans le sens où j'ai cru percevoir un rejet — voire pire : du désintérêt — assez partagé à propos de ce film. Il est vrai qu'avec M:I 4, le nom de Bird semble avoir un peu perdu en prestige. Je n'ai donc toujours pas compris le sujet de ce Tomorrowland, mais ton avis a ravivé ma curiosité (voire ma confiance envers le cinéaste).
RépondreSupprimerC'est vrai que MI:4 était forcément un peu impersonel (mais on y retrouvait toute sa patte visuelle) même si efficace mais là c'est vraiment un de ses meilleurs films. Le désintérêt est venu de la promotion ratée de Disney et peu être un peu aussi du manque de curiosité du public si tu aimes Brad Bird c'est vraiment à voir :-)
SupprimerBonjour Justin,
RépondreSupprimerMoi aussi, j'ai bien aimé Tomorrowland, qui est un film optimiste (que je rapprocherais d'abord du positivisme avant Ayn Rand, même si ton rapprochement est intéressant - je suis toujours preneur de ce genre de comparaison entre film et livre). Son échec commercial est effectivement bien dommage (c'est inquiétant de penser que récemment les blockbusters ambitieux croyant à la force des idées et d'un récit au premier degré ont été des échecs commerciaux alors que les blockbusters cyniques et creux ont été des succès).
Strum
Salut Strum
SupprimerOui c'est plus par les films précédents de Brad Bird (Les Indestructibles et Ratatouille plus ouvertement connotés) que je fais la comparaison avec Ayn Rand mais il en reste quand même quelque chose dans Tomorrowland qui a le même postulat (des scientifiques s'isolent d'un monde qui les désolent) que le roman "La Grève" d'Ayn Rand. Après Bird clarifie sa position par rapport au côté radical de Ayn Rand avec cette dimension optimiste, ce positivisme tourné vers les autres à l'opposé de l'individualisme forcené de Ayn Rand.
Et effectivement ça en dit long sur la période actuelle de voir les blockbusters originaux (pas une suite et ne reposant pas sur une licence ou franchise) et intelligent se planter alors que des trucs comme Transformers cartonnent.