Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 28 août 2017

Les Égarés - Gli Sbandati, Francesco Maselli (1955)


En 1943, la comtesse Luisa, son fils Andrea, Carlo, son cousin et fils d'un fasciste, ainsi que Ferruccio, un ami de la famille, se sont retirés dans une villa non loin de Milan pour échapper aux bombardements. Des jeunes gens, seul Carlo semble prendre vraiment conscience de la terrible situation. Mais tout bascule quand des partisans, qui ont pu échapper aux Allemands, viennent trouver refuge dans la villa...

Premier film de Francesco Maselli, Les Égarés est une œuvre courageuse osant aborder le passé fasciste encore récent et la collaboration avec les allemands durant la Deuxième Guerre Mondiale. Durant le années 50 la Démocratie Chrétienne fait régner une censure rigide en vue de restaurer l’image du pays et le passé douloureux du film de Francesco Maselli comme le présent misérable du néoréalisme sont particulièrement mal vus. Les scénarios demandent de multiples réécritures et une forme d’autocensure pour les auteurs, des coupes peuvent intervenir, des films finissent aux oubliettes et parfois le gouvernement intervient même auprès d’instances étrangères pour Umberto D (1952) qui voit la Palme d’or lui échapper au Festival de Cannes 1952. Ces contraintes stimulèrent pourtant l’imagination et l’engagement des grands cinéastes italien de l’époque, tous pour la plupart à gauche voire communiste comme Rossellini, Antonioni, Lattuada ou Visconti.

C’est dans ce contexte que le tout jeune (vingt-quatre à peine) Francesco Maselli se lance dans ce périlleux premier film. Il s’était fait remarquer avec les deux court-métrage documentaires  Bambini (1951) et Ombrelli (1952) qui attire l’attention de Michelangelo Antonioni qui l’engagera comme assistant et coscénariste sur L'Amorosa menzogna (1949), Chronique d'un amour (1950) et La Dame sans camélia (1953). Il nouera également une solide amitié avec Luchino Visconti et c’est fort de tous ces soutiens (Luchino Visconti permet de tourner à la villa Toscanini tandis que son neveu Eriprando Visconti coécrit le scénario) qu’il débutera clandestinement le tournage Les Égarés pour éviter toute entrave de la censure (devant le fait accomplie puisque prévenue quand le film en sera à sa quatrième semaine de tournage. 

L’histoire nous dépeint un microcosme rural témoin des soubresauts socio-politiques de cette Italie bien mal engagé dans le conflit en 1943. Le jeune Andrea (Jean-Pierre Mocky) d’ascendance noble a quitté le tumulte milanais pour s’installer en campagne avec sa mère. La voix-off lors de la scène d’ouverture avec ces préoccupations superficielles (les disques de jazz, peintures et livres favoris amenés à la campagne, lui-même considéré comme un objet précieux à emporter par sa mère) témoigne du détachement de cette jeunesse aisée du conflit, d’autant que l’on voit Andrea se réveiller paisiblement loin de toutes vicissitudes. La réalité se rappelle pourtant à lui lorsqu’il est sollicité par le maire pour héberger des réfugiés victimes de bombardements.

Il acceptera plus pour le charme de la jeune Lucia (Lucia Bosé) que par réelle compassion pour les malheureux. On découvre ainsi une noblesse hautaine et méprisante représentée par la comtesse et mère d’Andrea (Isa Miranda) et une jeunesse soumise, immature comme notre héros ou adhérant à l’idéologie fasciste comme le cousin Ferruccio (Leonardo Botta). Pour eux la guerre n’existe pas, démobilisés de par leur statut ils vivent une existence oisive et loin des dures réalités. Maselli fait passer cela par le dialogue notamment le ton constamment sarcastique de Ferruccio mais également sa flamboyante utilisation de ce décor naturel. L’hédonisme immature passe par les journées oisives passées à se baigner et flirter, mais le réel se rappelle à Andrea quand le fossé entre leur monde lui saute aux yeux alors qu’il se moquera de la modeste profession de cartonnière de Luisa - et qu’elle lui répondra de façon cinglante que tous n’ont pas le choix quant à sa « carrière ». 

L’imagerie ensoleillée illustre l’alanguissement des nantis quand l’échange Andrea/Luisa se fait dans une colline brumeuse (somptueuse photo de Gianni Di Venanzo) où le rapprochement possible et le fossé qui les sépare s’incarnent dans une même image. Chaque rapprochement possible entre eux est éteint par ce clivage de classe et surtout la lâcheté d’Andréa totalement soumis à sa mère. Maselli par ce microcosme révèle un pays déchiré entre les fascistes repentis par la défaite imminente, les nantis qui sauront toujours s’attacher au dominant et une jeunesse schizophrène sur laquelle tout repose : Carlo (Antonio de Teffè) humaniste et engagé, Ferrucio fils de fasciste méprisant et bien sûr Andrea l’inconséquent. Francesco Maselli parvient à mêler ce contexte à l’intime, l’atmosphère oppressante contrebalançant toujours avec l’émotion de cette romance avortée (les jeux de regards entre Mocky et Lucia Bosé, les compositions de plan les liant et les éloignant comme cette scène où il l’observe par la fenêtre). Les réfugiés représente une réalité dérangeantes qui s’impose (les cris de cette femme un soir de bombardement) au détachement de cette élite mais qui peut également éveiller une prise de conscience pour Andrea. 

L’ambiguïté entre ce sursaut politique et la simple preuve d’amour demeure jusqu’au bout pour Andrea, notamment par un rebondissement final avec des soldats italiens démobilisés fuyant les troupes allemandes. Le courage, la lâcheté et l’opportunisme sous-jacent de la première partie se révèlent au grand jour dans une conclusion poignante. Par son lyrisme, sa dimension romantique et sa flamboyance formelle, Les Égarés offre donc un grand mélodrame dans le cadre de son propos risqué et engagé. Le gouvernement exigera de nombreux changements dans les dialogues (qui interviendront dans la postsynchronisation), entravera le bon déroulement du tournage (en refusant de fournir des armes à feu ce qui obligera l’équipe à en fabriquer de factice en bois) et certaines transitions abruptes peuvent laisser penser qu’il y peut-être eu des scènes coupées. Le propos et l’émotion gardent néanmoins toutes leurs forces, le film étant très bien accueilli au Festival de Venise et lançant idéalement la carrière de Francesco Maselli (toujours actif aujourd’hui à 86 ans !). 

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa 

 

1 commentaire:

  1. Mille excuses mais Rossellini n'était nullement communiste .
    Fasciste au départ il devint ensuite sympathisant de la Democratie Chretienne

    RépondreSupprimer