Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 11 mars 2020

Le Songe de la lumière - El sol del membrillo, Victor Erice (1992)


À l'automne 1990, le peintre Antonio López García vit dans une maison madrilène. Dans son jardin se trouve un cognassier qu'il a lui-même planté. L'artiste décide de peindre cet arbre. C'est la première fois qu'Antonio López García peint un arbre. Patiemment, il travaille son tableau en prenant le temps d'étudier les rayons du soleil qui jouent avec la couleur des feuilles...

L’art du cinéma de Victor Erice se caractérise par sa capture d’un sentiment indicible, qui se ressent et s’illustre par une approche sensorielle et introspective. L’Esprit dela ruche (1973) observait ainsi l’éveil d’une fillette à la noirceur du monde des adultes dans l’Espagne Franquiste, et Le Sud (1983) exprimait le désenchantement d’un enfant face à l’imperfection de son père à travers la métaphore d’une contrée que l’on ne verrait jamais. Avec Le Songe de la lumière, Victor Erice s’éloigne d’une monde de l’enfance mais tente à nouveau de saisir l’insaisissable, à savoir le processus de création artistique. Le film va suivre durant deux mois le peintre Antonio López García durant la confection d’un tableau illustrant un cognassier qu’il a fait pousser dans son jardin.

La caméra d’Erice se pose donc en ces lieux pour nous offrir un objet hybride, pas vraiment un documentaire, ni réellement une fiction. L’option documentaire n’est pas appropriée au vu de la mise en scène déployant tous les motifs dans son découpage, ses cadrages et son montage où l’on est loin d’une immersion et d’une captation sur le vif. Erice reconstitue d’ailleurs de façon « jouée » le quotidien et les interactions d’Antonio López García avec sa famille. Le réalisateur ne recherche pas le réalisme d’un contexte, mais celui d’un cheminement artistique. Le détail s’expose par la méticulosité du peintre dans la préparation de son matériel (panneaux de bois, pupitre, toile, tubes de peinture…), le marquage des différents points du cognassier qu’il souhaite mettre en avant sur son tableau. Tout le reste relève d’une vision dont lui seul à la clé, et dont l’accomplissement reposera sur des soubresauts créatifs fait d’attentes, d’hésitations, de joies et de désespoirs. La nature même de ce que cherche à rendre le peintre est impalpable, puisqu’il s’agit de traduire l’éclat très singulier des rayons du soleil sur l’arbuste à une certaine heure du jour, et donc à un certain angle de l’astre sur les lieux.

La météo capricieuse, le temps qui passe qui altère la position et la décomposition des fruits, tout cela constituent des obstacles supplémentaires à la volonté d’Antonio López García. Celui-ci est un des chantres contemporain de l’Hyperréalisme, ce courant artistique (en peinture et sculpture, autre activité d’Antonio López García) visant à reproduire à l’identique (en réaction à l’expressionnisme abstrait) une image au point de semer une confusion photoréaliste chez l’observateur. Antonio López García pousse à l’extrême cette volonté en ayant lui-même planté l’arbre quelques années auparavant et en s’ajoutant des difficultés dans ce désir de réel. Un dialogue avec un collègue peintre nous explique ainsi qu’il refuse la simplicité de travailler d’après une photo, préférant être posté au plus près de « l’objet », et s’adapter à sa mue naturelle dans la confection de sa reproduction. On voit ainsi l’artiste entamer, arrêter puis reprendre de zéro son ouvrage jusqu’à ce qu’il puisse s’emparer non pas de LA vérité, mais de SA vérité sur le sujet (chaque étape finalement avortée étant largement « réaliste » pour l’amateur extérieur). 

Victor Erice parvient ainsi, même pour le novice en peinture à nous faire ressentir ce cheminement en nous immergeant dans la personnalité de l’artiste. Antonio López García oublie totalement la présence des caméras une fois agrippé à sa tâche, et la passion est concrète dans des actions qui se veulent à tour frénétiques, méticuleuses ou simplement rêveuses et attentive. Les jours puis les mois défilent dans un rythme lent et laborieux, celui de l’inspiration et des doutes. Victor Erice inscrit cela dans un dispositif intimiste qui alterne austérité (les 25 premières minutes quasi sans dialogues), vraie chaleur humaine (la nostalgie avec son ami peintre, l’échange passionnant avec les artistes chinois) et approche plus métaphysique où l’on prend de la hauteur avec les vues sur la ville, le défilé des saisons – les différentes textures d’image (pellicule, vidéo) s’adaptent d’ailleurs à ces multiples ressentis. 

Le tout culmine avec une somptueuse scène de rêve final où la voix-off récite un poème tout en offrant une vision onirique de cet atelier à ciel ouvert, irréel par le rendu mais au plus près de réalité hantant l’esprit du peintre et qu’il a tant cherché à traduire. Ce n’est pas le plus facile d’accès des films de Victor Erice mais c’est absolument captivant si l’on se laisse happer. Le Songe de la lumière remportera le Prix du Jury à Cannes en 1992, bien aidé par la présence de Pedro Almodovar (grand amateur d’Antonio López García) dans le jury. C’est à ce jour le dernier long-métrage cinéma de Victor Erice (qui travaille aujourd’hui dans le court-métrage ou l’installation d’art contemporain) et c’est fort regrettable. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta 

Extrait

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