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lundi 7 septembre 2020

Ema - Pablo Larraín (2020)

Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences d'une adoption qui a mal tourné. Elle décide de transformer sa vie.

Certains des plus beaux films de Pablo Larrain traitent de protagonistes qui s’affranchissent d’un environnement oppressant par la seule force d’une personnalité singulière. Il en a récemment montré un versant prestigieux à travers ces deux biopics Neruda (2016) ou Jackie (2017), l’art du poète chilien enchantant le premier tandis que le tempérament de la première Dame américaine meurtrie hypnotisait dans le second. Quand Larrain observait un protagoniste plus anonyme dans Tony Manero (2008), c’était pour en observer la nature excentrique s’évadant par la danse du contexte de dictature de Pinochet.

Ema croise en quelque sorte le cadre modeste de Tony Manero avec la stylisation marquée de Neruda et Jackie. Point d’évasion dans la grande histoire chilienne ou mondiale cette fois, l’héroïne Ema (Mariana Di Girólamo) cherche avant tout à échapper à elle-même et sa culpabilité. Jeune danseuse mariée au chorégraphe Gastón (Gael Garcia Bernal), elle a rendu son jeune fils adopté à l’orphelinat suite à un drame. Au fil d’une ouverture en flashback morcelé, on comprend que le lien entre Ema et cet enfant ne s’est jamais complètement créé, ou du moins pas dans les termes classique d’une relation mère-fils. Le tempérament libre, excentrique et immature d’Ema est autant la cause de cette connexion distendue que les propres maux amenés par l’enfant au sein de sa nouvelle famille. Le garçon, Polo, brille par son absence physique durant une grande partie du film tout en étant l’ombre qui hante la moindre pensée d’Ema.

Pourtant à la manière des autres grands personnages libertaires de Larrain, Ema cherche aussi à échapper à une dictature. Pas une dictature politique, mais plutôt celle de la norme. Sa nature profonde ne s’accorde pas à la norme dans laquelle elle tente initialement de s’inscrire. Cela s’exprimera d’abord de manière physiologique par l’impossibilité de concevoir biologiquement un enfant avec Gaston, puis dans la pratique avec l’échec de cette cellule familiale traditionnelle après l’adoption de Polo. Tous le film semble alors être une rupture, une échappatoire à la norme et aussi un exutoire à la culpabilité. Larrain manifeste cette fuite en avant dans une flamboyante symphonie de son, lumière et mouvement. Ema malmène les environnements urbains dont elle embrase les contours armée de son lance-flamme la nuit venue. Elle se déhanche frénétiquement seule ou avec son groupe d’amies sur les sons répétitifs et lascifs de reggaeton, savourant le mélange d’excitation et d’indignation qu’elle suscite. 

Cette liberté a cours dans ses amours également, par la relation nouée avec l’avocate de son divorce (Paola Giannini), un nouvel homme ou même une envie passagère avec une de ses acolytes danses. Le tout est de s’affranchir des chaînes de la normalité, ce que Pablo Larrain travaille avec un brio formel étourdissant. Il reprend certains codes du clip jusqu’au vertige dans le travail sur le mouvement, Ema étant l’astre solaire apportant fluidité (avec l'excellent score de Nicolas Jaar) dans l’euphorie charnelle et festive du montage sensoriel. C’est une esthétique qui s’est imposée par le choix de l’actrice Mariana Di Girólamo, beaucoup plus jeune que le personnage de 45 ou 65 imaginé par Larrain sur le papier. Sa Ema a donc les paradoxes de la jeunesse d’aujourd’hui. A la fois autocentrée, immature et pourtant lucide quant au monde qui l’entoure par son vandalisme pyromane. 

Elle est également débarrassée des entraves morales, genrées et sexuelle d’antan pour endosser ses envies et ses égoïsmes passagers. Tout le film semble en fait être une hésitation entre cette fougue et l’espérance d’une existence classique, que ce soit sa tentative de retour à la vie active ou ses hésitations dans les perspectives amoureuses (cet amant lui disant « je ne peux pas quitter ma famille » et sa réponse « je ne te le demande pas »). C’est dans le lâcher prise que le film envoute le plus notamment dans cette scène d’amour démultipliée par le montage alterné ou Ema donne autant qu’elle reçoit le plaisir avec hommes et femmes. 

La photo de Stéphane Fontaine alterne teinte colorée soulignant cette langueur libre et sauvage de la nuit avec une texture plus classique revenant à l’hésitation du jour. Au final, Ema refuse de choisir entre l’abandon son et lumière de la nuit et la retenue du jour pour créer sa propre norme. La conclusion somptueuse révèle le temps d’un twist inattendu la construction d’un nouveau modèle. Ema peut y être l’hédoniste et la mère, l’amante et la sœur, le soleil et la lune pour elle-même et son entourage. Mariana Di Girólamo, diva peroxydée, est une sacrée révélation et brille au firmament de cette œuvre envoutante. 

En salle 

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