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mardi 4 février 2025

Boys Meets Girls - Leos Carax (1983)


 C'est l'histoire d'Alex, un garçon esseulé et abandonné par sa fiancée. C'est l'histoire de Mireille, une fille amoureuse qui se raccroche à une histoire perdue d'avance. C'est l'histoire de leur rencontre. De leurs paroles. De leurs regards. C'est l'histoire de leurs amours. L'histoire d'une nuit...

Boys Meets Girls est l’argument via lequel Alfred Hitchcock voyait le point de départ de toute fiction réussie qui se respecte. Leos Carax par ce choix de titre prend l’adage au pied de la lettre avec ce premier long-métrage, venant après Strangulation Blues (1980), court-métrage qui fit sensation. Le postulat du film fait de la rencontre le possible et probable aboutissement du récit, mais c’est un point de bascule longtemps retardé par Carax.

La suite de sa courte mais puissante filmographie le prouvera, Carax oscille justement entre d’authentiques influences hollywoodiennes à travers une certaine grandiloquence (D.W. Griffiths, King Vidor) et une veine plus arty qui lui est propre mais dont les sources sont encore identifiables sur Boy Meets Girl. Ainsi l’ensemble du récit appelle certes à une emphase romanesque, mais il est avant tout question de dépit amoureux, de ruptures et d’absence de communication dans cette vision du couple. C’est le sentiment dominant dans l’observation furtive (Maïté Nahyr fraîchement échappée du domicile conjugal en ouverture) ou plus approfondie des protagonistes. Plus que la passion amoureuse, c’est l’inéluctabilité de sa fin qui intéresse Carax. Alex (Denis Lavant) nous apparaît certes brisé après avoir été quitté par Florence, mais c’est davantage la fulgurance de son départ (et le fait d’avoir été trompé) ainsi que le souvenir de sa difficile séduction qui rendent la chose douloureuse plutôt que la romance en elle-même – comme la carte parisienne des évènements de sa vie en atteste dans son appartement. Mireille (Mireille Perrier) est quant à elle quittée par Thomas (Christian Cloarec) convaincu de devoir rejeter l’image d’idéal romantique que semble prendre son couple – forçant le dégoût dans tout ce qui lui plaisait auparavant chez sa partenaire comme il le soulignera dans un monologue.

On associa un temps à tort Leos Carax à la génération de cinéaste français « pubards » des années 80 comme Jean-Jacques Beinex ou Luc Besson. Pourtant dès Boys Meets Girl, la recherche de la belle image importe moins que le fait d’étendre par l’esthétique l’état d’esprit des personnages. Carax filme un Paris nocturne en noir et blanc où la proximité moderne (fêtes en appartement bourgeois, bar populaire) se dispute à la grandiloquence dans la manière de perdre les silhouettes dans une urbanité ample et poétique qui anticipe son travail à venir sur Les Amants du Pont-Neuf (1991). Le face à soi dans la superficialité du moderne morne est insupportable, mais c’est une même solitude qui guette dans la nuit blanche et les déambulations urbaines. 

Carax fait littéralement rebondir ce mal-être dans sa narration lorsqu’une possible nouvelle rencontre d’Alex dans un bar est retrouvée plus au bras de son amoureux avec lequel elle s’est réconciliée, notre héros observant la scène avec dépit. L’euphorie peu brièvement s’inviter (la séance de claquette de Mireille), mais là encore le travail sur les espaces de Carax sert de révélateur. Le décor totalement irréaliste de l’appartement de Mireille, avec cette sorte d’improbable baie vitrée sur l’immeuble en vis-à-vis, place la jeune femme (et son couple) en tableau amoureux idéal pour les voisins. La rupture la condamne désormais à voir sa solitude exposée, et à faire d’elle une spectatrice à son tour des amours des autres.

L’influence réalisme poétique français des années 30/40, ainsi que la poésie d’un Jean Cocteau fait ainsi par les choix formels de Carax baigner le film dans une rêverie magnifiant et déconstruisant ce Paris urbain 80’s. La mélancolie, l’attente, le regret et l’espérance amoureuse fonctionnent davantage comme un concept pour les personnages n’ayant pas su en profiter lorsqu’ils y étaient immergés, et dès lors la rencontre est biaisée car ils recherchent davantage un « état » qu’un nouveau partenaire. 

La première vision qu’Alex a de Mireille est sa détresse en surprenant une tentative de suicide, Carax magnifie comme une sorte de tableau leur long échange dans les plans d’ensemble où ils sont côte à côte. Pourtant lorsqu’il semble capturer une certaine intimité dans ses effets (le décor en arrière-plan qui s’estompe pour ne laisse que l’obscurité lors des gros plans) la composition, le découpage et le positionnement du couple trahit l’impossibilité du coup de foudre. Alex regarde Mireille qui lui tourne la face puis inversement, les confessions mutuelles se noient dans des dialogues qui se chevauchent plutôt que se répondre

Le moment suspendu que représente cette rencontre ne marque pas un début, mais entérine une fin. Carax joue le jeu narratif de l’attente des retrouvailles mais n’est pas dupe. Il accepte la tragédie avec la résignation méta des jeunes gens modernes – la bande-son baigné de Bowie, Iggy Pop, mais surtout s’ouvrant sur une reprise new wave de Jo Lemaire du Je suis venu te dire que je m’en vais de Serge Gainsbourg, tout est dit – mais aussi en laissant entrevoir une autre influence majeure, le Godard de Pierrot le fou.

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