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mercredi 23 août 2023

Chaque soir à neuf heures - Our Mother's House, Jack Clayton (1967)


 Près de Londres, sept enfants de 4 à 13 ans vivent avec leur mère alors que leur père a quitté la maison depuis des années. Quand celle-ci meurt, les enfants décident de continuer à vivre comme si de rien n'était afin de ne pas être envoyés à l'orphelinat. Chaque soir à neuf heures précise, ils se recueillent sur la tombe de leur mère cachée au fond du jardin dans la cabane. Un jour, leur père réapparait sans prévenir et les enfants vont s'efforcer de lui cacher la vérité...

L’enfance tentée, tourmentée et oppressée par le Mal est un thème récurrent dans l’œuvre de Jack Clayton qui l’a abordé dans Les Innocents (1961) d’après Henry James et La Foire des ténèbres (1983) d’après Ray Bradbury. On comprend ainsi aisément l’intérêt de Clayton pour le roman Our Mother's House de Julian Gloag publié en 1963, et qui constitue une fascinante approche du sujet. Comme dans les deux films évoqués plus haut, le mal s’inscrit dans un récit d’apprentissage et de corruption pour les enfants. L’ambiguïté réside ici dans le questionnement sur l’adulte représentant l’apprentissage, et celui symbolisant la corruption.

La fratrie des sept enfants Hook perd brusquement sa mère dès la scène d’ouverture, même s’ils ont appris à vivre dans une certaine autonomie à cause de la longue maladie de cette dernière. Le peu que l’on sait de ce personnage sur cette présence furtive se matérialisera durant le reste du film où sa personnalité trouble hantera littéralement les enfants. La bigoterie de la défunte détermine tout le quotidien des enfants ayant décidé de cacher sa mort afin de ne pas être séparés. Prière exaltée avant chaque repas, vocabulaire religieux omniprésent dans leur langage, sentiment de culpabilité et inquisiteur précoce (la benjamine Gerty (Phoebe Nicholls) punie pour avoir sympathisé avec un motard), ainsi que mysticisme malsain dénote dans le comportement des enfants. Ils ont en effet érigé un autel dédié à leur mère dans le jardin où ils l’ont incinéré, et l’invoquent par le biais de Diana (Pamela Franklin qui retrouve Clayton après Les Innocents pour un autre rôle trouble juvénile) dans des rituels flirtant avec le fantastique mais traduisant surtout l’emprise de l’éducation malsaine de cette mère.

La peur d’être séparé et surtout celle du monde extérieur, en particulier les hommes, déterminent le subterfuge des enfants. La mère est décédée faute de soins car refusant le contact d’un médecin (et une sœur manquera de subir le même sort) et le titre original Our mother’s house fait de ce foyer un sanctuaire à préserver pour l’aînée Elsa (Margaret Leclere) ou une prison psychique et physique pour le cadet Hubert (Louis Sheldon Williams) qui va essayer de contacter un père qu’ils n’ont jamais connu. L’arrivé de celui-ci (Dirk Bogarde) fait basculer le récit. L’atmosphère oppressante et hantée sous l’innocence devient progressivement joviale et lumineuse tout en masquant un sous-texte tentateur. Charlie, le père, est une ouverture pour le meilleur et pour le pire sur ce monde extérieur tant redouté. Ses rires, son attention, ses facéties avec les enfants rendent palpable une présence parentale dont ils ont été si longtemps privés, même du vivant de leur mère immobilisée et souffrante. Tout comme la bigoterie maternelle altérait le jugement des enfants, il en ira de même avec la fantaisie du père qui dissimule un escroc chargé de vices divers, comme les femmes et le jeu.

La perfection dans laquelle est figée la mère nuit à l’équilibre mental des enfants, et l’imperfection manifeste du père viendra les briser définitivement. Pourtant les révélations progressives empêchent de blâmer de façon manichéenne un parent plus que l’autre, les enfants expiant post-mortem la culpabilité d’une mère pas aussi pure qu’ils le pensent, et ne pouvant accepter l’humanité et les contradictions de leur père. Jack Clayton signe là son premier film en couleur et sait habilement en jouer pour exprimer la confusion des sentiments de son jeune casting. La photo de Larry Pizer pose une tonalité gothique, étouffante et ténébreuse durant la première partie où domine l’influence de la mère, puis éclairée, colorée et ouverte dans la seconde où domine la personnalité du père. 

Dans les deux cas, cela illustre la candeur et le manque de repères des enfants, auxquels ont a imposé trop de barrières avant de les exposer sans prévention. Clayton va d’ailleurs loin sur ce point en montrant un complexe d’Œdipe intégré de façon très perturbante par Diana, une scène de jeu se dotant d’une surprenante tension sexuelle puis plus tard la fillette exprimant une jalousie malsaine envers une aventure de Charlie. Le jeune casting est épatant (plusieurs d’entre eux feront carrière par la suite), notamment dans une des premières scènes où chacun exprime une gamme d’émotions aussi variées qu’expressives et réalistes pour réagir tous très différemment à l’annonce de la mort de leur mère.

Tout comme dans Les Innocents, Clayton parvient imprégner à l’ensemble un malaise certain (renforcé par le beau score de Georges Delerue) et explorer des thèmes dérangeants par la suggestion subtile, la direction d’acteur et une mise en scène habile. Un des meilleurs films du réalisateur même s’il sera malheureusement un échec commercial à sa sortie. 

Sorti en dvd zone 1 américain chez Warner

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