Shûji Kamimura est un tueur à gages embauché par un gang pour exécuter le chef d'un gang rival. Après l'accomplissement de sa tâche avec son acolyte Shun Shiozaki, ils ont prévu de prendre un avion pour la France. Cependant, le gang rival empêche leur évasion et ils sont contraints de se cacher dans la ville portuaire de Yokohama.
A Colt is My Passport est un des sommets des films noirs stylisés produit par le studio Nikkatsu, et jette un pont thématique idéal entre l’évolution du genre et un certain contexte social japonais. La présence de l’acteur Joe Shishido, célèbre pour sa collaboration avec Seijun Suzuki, apporte notamment des points de réflexion intéressant. Il incarnait une sorte de virilité toute puissante dans Détective bureau 2-3 (1963) et La Jeunesse de la bête (1963) où Suzuki dynamitait le polar par son esthétique pop et sa mise en scène avant-gardiste. Par la suite Suzuki allait totalement déconstruire cette figure masculine représentée par Shishido dans le mémorable La Marque du tueur (1967), et se délester des derniers oripeaux de film noir classique par son atmosphère étrange, son univers purement mental frisant l’abstraction – dans une évolution logique constatée déjà avec Le Vagabond de Tokyo (1966).
A Colt is My Passport est dans cette lignée par son sujet et le casting de Joe Shishido, mais fait le choix de s’inscrire à une échelle plus humaine, que ce soit par ses antagonistes yakuzas ou la mélancolie du héros apportant une touche à sa manière plus « réalistes » que les dispositifs de Suzuki. Si le thème du tueur à gage se retournant contre ses commanditaires est un classique du polar, A Colt is My Passport se montre malgré tout novateur. L’ascète et le perfectionnisme déployé par le tueur à gage dans son art le rapproche du fantasme du samouraï (ce qu’a bien retenu Jean-Pierre Melville dans le bien nommé Le Samouraï (1967)), arme humaine parfaite dévouée à son maître. Même si le fonctionnement indépendant de Kamimura (Jo Shishido) le rapproche du rônin, c’est un exécutant fidèle aux exigences de ses employeurs dans un rapport de loyauté solide. Le récit nous montre cette connivence bafouée quand le jeu des alliances amène le commanditaire de Kamimura à se liguer contre lui avec le clan dont il lui a demandé d’abattre le chef. Le corporatisme criminel prend le pas sur la loyauté tacite, et le tueur à gage se rapproche ainsi des « soldats » yakuzas sacrifiés de Kinji Fukasaku dans ses grands polars des seventies dont la saga Combat sans code d’honneur. C’est globalement une bascule cynique et capitaliste du Japon usant des codes modernes pour contrôler et assujettir les plus faibles en prolongeant les mécanismes féodaux, hier pour les soldats fanatisés de la Seconde Guerre Mondiale, aujourd’hui pour les salarymen des grandes entreprises, et donc aussi dans le monde du crime. En contrepoint Takashi Nomura choisit donc d’apporter une dimension plus touchante et intimiste. Les premières scènes semblent faussement dans la continuité d’un Suzuki, mais sont davantage dans un mélange de réalisme urbain et de stylisation sous influence de la Nouvelle Vague pour démontrer les talents meurtriers de Kamimura. Une fois trahit et traqué, il n’a de cesse en voulant s’échapper de sauver son fidèle comparse Shiozaki (Jerry Fujio). Le piège qui lui est tendu et la difficulté à s’échapper (sublime séquence de fuite avortée à l’aéroport) représente symboliquement la cage d’un monde criminel qu’il a dû intégrer au plus jeune âge pour survivre. Cela va s’incarner dans cet hôtel routier au sein duquel il est constamment forcé de revenir et Mina (Chitose Kobayashi), une serveuse à laquelle il va se lier, est son pendant féminin en étant elle-même piégée dans ce lieu après sa liaison passée avec un yakuza et la perte de son amant. Takashi Nomura alterne morceaux de bravoure fulgurants (ce tueur éjecté par un semi-remorque dans les eaux du port de Yokohama) et beaux moments introspectifs. La photo de Shigeyoshi Mine installe une atmosphère crépusculaire et mélancolique (renforcée par la bande-son de Harumi Ibe), tandis que Joe Shishido n’a peut-être jamais été aussi touchant et vulnérable. L’immense terrain vague durant lequel se déroule le climax montre un Kamimura serein et débarrassé de ses affects, prêt à en découdre. La furie de la mise la mise en scène (ces travellings frénétiques accompagnant la course des personnages enchaînant les coups de feu face à face) se conjugue à des idées folles pour sublimer l’inventivité assassine de Kamimura, avec une botte secrète « dynamitée » brillamment filmée et montée. Un superbe polar.
Sorti en dvd zone 1 sous-titré anglais chez Criterion
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