Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Hommes, porcs et loups - Ōkami to buta to ningen, Kinji Fukasaku (1964)
Dans le Japon d'après-guerre, trois frères devenus
malfrats par des chemins différents entrent dans une spirale de violence à la
suite d'un "coup" organisé par l'un d'entre eux.
Hommes, porcs et loups est une des premières
manifestations de la personnalité iconoclaste de Kinji Fukasaku, une œuvre dont
la noirceur et l’âpreté annonce ses films de yakuzas réalistes et démythificateurs.
Jusque-là Fukasaku était un solide artisan du studio Toei, canalisant ses
ardeurs sur des productions plus calibrées même si des prémices se ressentent sur
certaines comme Défi d'amour propre - Fierté agressive (1962). Néanmoins
le contexte de l’époque se prête à des œuvres plus virulentes. Lorgnant sur les
audaces de la Nouvelle Vague française, les studios façonnent ex-nihilo son
pendant japonais dans lequel vont s’engouffrer Nagisa Oshima, Shohei Imamura,
pour parler des maux contemporains du Japon et notamment de sa jeunesse.
Hommes, porcs et loups est au carrefour de ces tendances
puisque sa nature de film criminel le place, sur le papier, dans la vague
émergente du Ninkyo Eiga, le film de yakuza chevaleresque. Ken Takakura
tourne d’ailleurs parallèlement au film de Fukasaku La Légende des yakuzas
de Masahiro Makino dont le succès sera fondateur pour le Ninkyo Eiga, et
dans lequel il présente une image chevaleresque. Rien de tout cela dans Hommes,
porcs et loups dont le récit et les personnages représentent les stigmates du
passé encore proche du Japon, et de ses dérives contemporaines. Une fratrie
ayant grandit dans les bidonvilles durant l’après-guerre se déchire désormais
pour échapper à sa condition. Le titre désigne chaque membre de la fratrie, sa
personnalité et le rôle qu’il est amené à jouer dans le récit.
Le loup semble
être Kuroki (Rentarō Mikuni), l’aîné, mû par un instinct de survie qui l’a
amené à laisser la misère (et par extension ses frères et sa mère) derrière lui
pour intégrer la « meute » au sein de laquelle il pourra s’élever,
les yakuzas. Le porc est le très agité cadet Jiro (Ken Takakura), gangster plus
solitaire, brutal et imprévisible ayant également fuit le bidonville mais pour
des méfaits plus chaotiques qui l’ont conduit en prison. Enfin l’homme est Sabu
(Kin'ya Kitaōji), le benjamin qui a assumé ses responsabilités en soignant leur
mère jusqu’à son dernier souffle, et vivotant avec ses amis au sein du
bidonville.
La rancœur, le ressentiment guident désormais les rapports
de la fratrie. Alors qu’ils pourraient chacun être autonomes, même dans leurs
entreprises criminelles, chacun de leurs actes ne visent qu’à une confusion
entre un désir de se rapprocher et de se détruire. L’acte ayant causé l’emprisonnement
de Jiro, mais également son projet de casse audacieux, cible le clan yakuza de
Kuroki dont il veut dérober la cagnotte. Il sollicite Sabu et ses amis pour
effectuer le coup, mais ce dernier, à tort ou à raison, va soupçonner une
trahison et cacher le butin, provoquant une réaction en chaîne tragique. Enfin
Kuroki, sous la pression de son clan, va devoir choisir entre la loyauté du
monde criminel et les liens du sang.
L’année 1964 est celle des Jeux Olympiques de Tokyo,
affirmation aux yeux du monde du redressement définitif du Japon par le biais
économique et capitaliste. L’individualisme que cet état génère se ressent dans
l’abandon initial de Kuroki, mais également dans le discours de Jiro lorsqu’il
débauchera Sabu. L’appât du gain, la paranoïa et la méfiance guident les
rapports humains, entre frères comme entre complice. Le long huis-clos de la
seconde partie nuance cependant ce constat. La solidarité de Sabu et de ses
amis, restés au bidonville en cultivant l’entraide et l’amitié, va leur faire
tenir le cap durant les douloureuses tortures qu’ils vont subir pour révéler l’emplacement
du butin. A l’inverse la suspicion règne très vite entre Jiro et son acolyte
Mizuhara (Shinjirō Ehara). Les paroles hargneuses et les actes brutaux
constituent une véritable catharsis montrant, dans la moiteur du huis-clos, la
nature torturée des rapports dans lesquels se disputent cet instinct fraternel
pas totalement rompu, et les instincts carnassiers de l’appât du gain.
Le tournage d’une grande partie du film dans un véritable
bidonville exprime l’influence assumée par Fukasaku du néoréalisme italien. Le
scénario (coécrit par Jun'ya Satō) en réunissant les trois frères dans ce lieu
chargé de souvenirs douloureux, en fait un véritable espace mental qui incarne
une boucle les ramenant tous constamment à leur condition. Lorsque le
ravivement des sentiments fraternels se profile au gré des alliances, c’est
malheureusement encore le plus individualiste qui est amené à survivre. La
moiteur, l’intensité et la puissance dramatique de Fukasaku sont déjà là à
travers son style formel si nerveux qui s’affirme. Un véritable uppercut dont
on ne ressort pas indemne.
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