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jeudi 11 septembre 2025

Hommes, porcs et loups - Ōkami to buta to ningen, Kinji Fukasaku (1964)


 Dans le Japon d'après-guerre, trois frères devenus malfrats par des chemins différents entrent dans une spirale de violence à la suite d'un "coup" organisé par l'un d'entre eux.

Hommes, porcs et loups est une des premières manifestations de la personnalité iconoclaste de Kinji Fukasaku, une œuvre dont la noirceur et l’âpreté annonce ses films de yakuzas réalistes et démythificateurs. Jusque-là Fukasaku était un solide artisan du studio Toei, canalisant ses ardeurs sur des productions plus calibrées même si des prémices se ressentent sur certaines comme Défi d'amour propre - Fierté agressive (1962). Néanmoins le contexte de l’époque se prête à des œuvres plus virulentes. Lorgnant sur les audaces de la Nouvelle Vague française, les studios façonnent ex-nihilo son pendant japonais dans lequel vont s’engouffrer Nagisa Oshima, Shohei Imamura, pour parler des maux contemporains du Japon et notamment de sa jeunesse.

Hommes, porcs et loups est au carrefour de ces tendances puisque sa nature de film criminel le place, sur le papier, dans la vague émergente du Ninkyo Eiga, le film de yakuza chevaleresque. Ken Takakura tourne d’ailleurs parallèlement au film de Fukasaku La Légende des yakuzas de Masahiro Makino dont le succès sera fondateur pour le Ninkyo Eiga, et dans lequel il présente une image chevaleresque. Rien de tout cela dans Hommes, porcs et loups dont le récit et les personnages représentent les stigmates du passé encore proche du Japon, et de ses dérives contemporaines. Une fratrie ayant grandit dans les bidonvilles durant l’après-guerre se déchire désormais pour échapper à sa condition. Le titre désigne chaque membre de la fratrie, sa personnalité et le rôle qu’il est amené à jouer dans le récit. 

Le loup semble être Kuroki (Rentarō Mikuni), l’aîné, mû par un instinct de survie qui l’a amené à laisser la misère (et par extension ses frères et sa mère) derrière lui pour intégrer la « meute » au sein de laquelle il pourra s’élever, les yakuzas. Le porc est le très agité cadet Jiro (Ken Takakura), gangster plus solitaire, brutal et imprévisible ayant également fuit le bidonville mais pour des méfaits plus chaotiques qui l’ont conduit en prison. Enfin l’homme est Sabu (Kin'ya Kitaōji), le benjamin qui a assumé ses responsabilités en soignant leur mère jusqu’à son dernier souffle, et vivotant avec ses amis au sein du bidonville.

La rancœur, le ressentiment guident désormais les rapports de la fratrie. Alors qu’ils pourraient chacun être autonomes, même dans leurs entreprises criminelles, chacun de leurs actes ne visent qu’à une confusion entre un désir de se rapprocher et de se détruire. L’acte ayant causé l’emprisonnement de Jiro, mais également son projet de casse audacieux, cible le clan yakuza de Kuroki dont il veut dérober la cagnotte. Il sollicite Sabu et ses amis pour effectuer le coup, mais ce dernier, à tort ou à raison, va soupçonner une trahison et cacher le butin, provoquant une réaction en chaîne tragique. Enfin Kuroki, sous la pression de son clan, va devoir choisir entre la loyauté du monde criminel et les liens du sang.

L’année 1964 est celle des Jeux Olympiques de Tokyo, affirmation aux yeux du monde du redressement définitif du Japon par le biais économique et capitaliste. L’individualisme que cet état génère se ressent dans l’abandon initial de Kuroki, mais également dans le discours de Jiro lorsqu’il débauchera Sabu. L’appât du gain, la paranoïa et la méfiance guident les rapports humains, entre frères comme entre complice. Le long huis-clos de la seconde partie nuance cependant ce constat. La solidarité de Sabu et de ses amis, restés au bidonville en cultivant l’entraide et l’amitié, va leur faire tenir le cap durant les douloureuses tortures qu’ils vont subir pour révéler l’emplacement du butin. A l’inverse la suspicion règne très vite entre Jiro et son acolyte Mizuhara (Shinjirō Ehara). Les paroles hargneuses et les actes brutaux constituent une véritable catharsis montrant, dans la moiteur du huis-clos, la nature torturée des rapports dans lesquels se disputent cet instinct fraternel pas totalement rompu, et les instincts carnassiers de l’appât du gain.

Le tournage d’une grande partie du film dans un véritable bidonville exprime l’influence assumée par Fukasaku du néoréalisme italien. Le scénario (coécrit par Jun'ya Satō) en réunissant les trois frères dans ce lieu chargé de souvenirs douloureux, en fait un véritable espace mental qui incarne une boucle les ramenant tous constamment à leur condition. Lorsque le ravivement des sentiments fraternels se profile au gré des alliances, c’est malheureusement encore le plus individualiste qui est amené à survivre. La moiteur, l’intensité et la puissance dramatique de Fukasaku sont déjà là à travers son style formel si nerveux qui s’affirme. Un véritable uppercut dont on ne ressort pas indemne.

Sorti en bluray français chez Roboto

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