Sylvia Chang signe un de ses plus beaux films avec Siao Yu. Elle quitte cette fois Hong Kong et Taïwan pour signer un récit situé aux Etats-Unis et s'attachant au destin de migrants chinois dans leur tentative de s'ancrer dans leur terre d'accueil. Le film adapte le roman de Geling Yan, romancière chinoise également qui connut à la fois les maux de la Révolution Culturelle (son père intellectuel exilé parle régime chinois, elle-même enrôlée dans l’Armée populaire de libération durant son enfance) mais aussi ceux du migrant lorsqu'elle vécut le racisme et des difficultés d'intégration lorsqu'elle vint faire ses études aux Etats-Unis. Sylvia Chang se déleste cependant de toute réflexion politique pour plutôt aborder des problématiques plus intimistes, sociales (la condition économique difficile des migrants chinois reste toujours en toile de fond) et rattachées au thème de la condition féminine qui court sur nombre de ses précédentes réalisations. On va ici suivre Siao Yu (Rene Liu) jeune migrante chinoise fraîchement installée aux Etats-Unis où elle a suivi son petit ami Gian Wei (Chung Hua Tou). Désireux d'obtenir une "Green Card" pour vivre à leur guise, Gian Wei incite Siao Yu à contracter un mariage blanc avec Mario (Daniel J. Travanti) vieil écrivain cabossé par la vie qui accepte pour payer des dettes de jeux. La menace des contrôles impromptus des services d'immigration va obliger Mario et Siao Yu à s'installer ensemble, ce qui va amener un rapprochement et un éveil mutuel inattendu au contact l'un de l'autre. La timide Siao Yu arbore dans un premier temps une attitude craintive et timide face aux sautes d'humeur de l'écrivain acariâtre, et la topographie et l'investissement de l'espace de l'appartement évoluent au gré de leur relation. Sylvia Chang travaille la répétitivité du quotidien (les réveils gênés où ils s'évitent du regard), les actions séparées qui finissent par devenir communes au gré de la confiance de chacun, les petites manies que l'on commence à observer chez l'autre. Siao Yu semble gagner une forme d'individualité au contact de Mario qui ne lui impose rien et la laisse progressivement s'intégrer à ses habitudes.C'est finalement tout l'inverse de sa relation avec Gian Wei qui la domine tant dans le postulat de départ (ce dialogue où il dit qu'elle n'a pas voix au chapitre dans cette décision de mariage blanc), les dialogues et situations où elle le suit puisqu'elle ne décide de son destin. Cela se manifeste notamment dans les scènes d'amour où Sylvia Chang explicite plusieurs fois sa nature de dominant, qui surplombe Siao Yu ou après lequel elle s'accroche en quête de protection. Tout en ne niant pas le réel amour qui unit Siao Yu et Chian Wei, plusieurs éléments soulignent les racines patriarcales de leur relation. On apprendra que Siao Yu orpheline a été incitée à suivre aux Etats-Unis Gian Wei par la famille de ce dernier, et que finalement elle est toujours en attente des aspirations de ce dernier. Cela se manifestera aussi lorsque viendront les soupçons, Siao Yu n'osant interroger Gian Wei dont la tromperie semble avérée quand ce dernier se montrera agressif et soupçonneux face à la proximité chaste entre Siao Yu et Mario.Sylvia Chang explore au sens plus large ce qu'est ce genre de relation déséquilibrée lorsque la vraie épouse de Mario, Rita (Marj Dusay) tout en le laissant livré à lui-même de longues années pour ses tournées musicales ose également manifester de la jalousie en découvrant le mariage blanc. Le couple de jeunes chinois offre ainsi un miroir déformant d'immaturité amoureuse à celui de quinquagénaire qui n'a jamais réussi à surmonter ses problèmes. En clair ce sont ses fêlures et non sa nature d'occidental qui rend Mario si à l'écoute de Siao Yu. Le cadre américain permet de montrer de manière explicite et universelle des éléments de mœurs en creux dans le plus feutré Passion (1986), mais aussi la manière dont une communion d'esprit transcende les frontières à la manière dont le faisait Mary from Beijing (1992) même si l'on restait en Asie.La réalisatrice déploie un vrai écrin bienveillant entre Siao Yu et Mario qui étend leur perspective tant en termes d'espace (le panorama New Yorkais se déploie véritablement lors de leur première sortie commune) qu'intime et intellectuel. La présence de Siao Yu redonne en effet gout à l'écriture pour Mario, quand celle-ci voit son hôte sous un nouveau jour en lisant son ancien roman. Tout cela se fait avec une grande délicatesse qui ne jette jamais l'ambiguïté d'une possible romance (le très décati Daniel J. Travanti empêchant même l'idée de nous traverser l'esprit) et porté par l'alchime du duo d'acteur, la curieuse et vulnérable René Liu et la bienveillance palpable de Travanti. La conclusion est absolument magnifique, triste par la tragédie qu'elle scrute mais lumineuse par les perspectives qu'elle ouvre à une Siao Yu désormais libre de ce ses envies.
Sorti en dvd zone 1 et doté de sous-titres anglais
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