Le combat entre deux combattants, tous deux disciples du maître Aguni Rai, a dévasté le centre de Tokyo, Shinjuku, en faisant une vaste ville fantôme en proie aux forces occultes. Celles-ci sont l'œuvre de Rebi Rah, qui a donné son âme au diable afin d'obtenir de grands pouvoirs et a vaincu Genichirou, le porteur du pouvoir du Nempo, et seul en mesure de l’affronter. Dix ans plus tard, Rebi Rah qui avait promis la Terre aux démons est sur le point d’ouvrir les Portes de l’Enfer. C’est alors que le jeune Kyoya Izayoi, le fils de Genichirou, est projeté au centre du combat entre le bien et le mal.
Un an après La Cité interdite (1987) qui avait révélé son immense talent, Yoshiaki Kawajiri retrouvait l’univers de l’écrivain Hideyuki Kikuchi avec Demon City Shinjuku. Porosité entre le monde des humains et celui des démons, course-poursuite contre une fin du monde annoncée, combats échevelés contre des créatures monstrueuses et romance possiblement prédestinée, tous les éléments qui firent le succès du film précédent sont de nouveaux présents. Cela constitue d’ailleurs de manière générale le squelette de toutes les réussites en long-métrage de Kawajiri, le chef d’œuvre étant le furieux Ninja Scroll (1994) et le plus beau graphiquement Vampire Hunter D : Bloodlust (2000).
Il sort de ces schémas lorsqu’il s’aventure dans le format court comme le formidable sketch Le Coureur qu’il signera au sein du film omnibus Manie Manie : Les Histoires du labyrinthe (1987) ou encore le segment Programme réalisé dans le cadre d’Animatrix (2003), ensemble de courts situés dans l’univers de Matrix. Même quand il supervise entièrement une série comme l’adaptation du manga X de Clamp, on en revient à ce type de construction. Kawajiri a tout compte fait l’essentiel de sa carrière à des postes techniques et n’a jamais capitalisé sur la notoriété acquise en Occident durant les années 80 et 90 pour réellement proposer quelque chose de plus ample, ambitieux et qui le sortirai de ses dispositifs habituels.Le plaisir est donc ailleurs pour les amateurs de son œuvre, celui de la variation sur le même thème, d’une certaine caractérisation formelle et psychologique immuable des personnages, ainsi que de sa capacité à proposer des affrontements virtuoses dans des environnements ténébreux. C’est ainsi qu’il faudra savourer Demon City Shinku en tout point inférieur à son prédécesseur La Cité Interdite. Le postulat est plus lâche, les relations entre les personnages moins profondes et le côté horrifique nettement moins dérangeant. La réussite plastique est cependant indéniable avec ce quartier de Shinjuku désertique, une sorte d’univers post-apocalyptique investi par des démons. Les paysages urbains oscillent entre atmosphère de pure désolation et ténèbres oppressantes d’où surgissent d’horribles créatures. L’immensité sans vie alterne avec claustrophobie et promiscuité inquiétante dans le travail sonore, les compositions de plan et les jeux d’ombres. On retrouve là l’influence de Lovecraft présente à la fois chez Kawajiri mais bien sûr aussi chez l’écrivain Hideyuki Kikuchi et on pense à Celui qui hantait les ténèbres où là aussi le mal altère toute une portion de ville. Le pur combat (tous les affrontements étant assez expéditifs) intéresse moins ici le réalisateur que cette volonté de poser une ambiance singulière, mêler les éléments surnaturels aux singularités inhérente à ce quartier de Shinjuku. Il y parvient de manière magistrale dans la meilleure scène du film lorsque les personnages sont coincés dans un ancien parc où errent les âmes des civils qui succombèrent lors du séisme qui décima le quartier. Le cadre alterne entre l’illusion de l’ancienne vision ensoleillée et contemplative du par cet de ces badauds avec la réalité de sa sècheresse cauchemardesque. Les âmes tourmentées forment tour à tour un magma menaçant évoquant des fresques à la Bosch, ou ravivent la détresse plus incarnée de ceux disparus brutalement sans le comprendre (le fantôme de cette fillette cherchant encore sa mère). Nos héros se confrontent à cette douleur et l’apaisent pour donner un moment à l’onirisme poétique fascinant et réellement touchant. Le film retourne malheureusement ensuite à son format programmatique mais sans les excès de La Cité Interdite, la rage de Ninja Scroll ou la perfection plastique de Vampire Hunter D : Bloodlust. Ce n’est pas désagréable et plutôt efficace mais on préfère bien sûr voir Kawajiri transcender nos attentes quand l’émotion s’ajoute à sa maestria formelle.Sorti en dvd zone 2 français chez Dybex et disponible sur Amazon Prime
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