Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 2 juillet 2021

Mary from Beijing - Meng xing shi fen, Sylvia Chang (1992)

La taïwanaise Sylvia Chang est une figure incontournable du cinéma asiatique des 40 dernières années. Sa carrière d'actrice la voit accompagner les premiers pas de la Nouvelle Vague taïwanaise (le film à sketches fondateur In Our Time (1982), That day on the beach (1983) premier film d'Edward Yang), travailler avec les ténors de l'âge d'or du cinéma hongkongais (Legend of the Mountain de King Hu (1979), Shanghai Blues de Tsui Hark (1984), Full Moon in New York de Stanley Kwan (1989)) et accompagner l'émergence de talents en devenir (Salé sucré de Ang Lee (1994)). Elle poursuit cette démarche à la fin des 90's quand elle devient productrice et contribuera à certains des très grands films du cinéma chinois contemporain avec Au-delà des montagnes de Jia Zhangke (2015) et surtout l'extraordinaire Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan (2019). Elle imposera également dans un premier temps en tant que scénariste puis réalisatrice une grande préoccupation sur la condition féminine en écrivant, interprétant et dirigeant des films mettant les rôles féminins en valeur dans le contexte machiste du cinéma hongkongais. On trouve parmi ses films les plus salués Passion (1986), Tempting Heart (1999) et donc ce Mary from Beijing. Le film réunit toutes les thématiques féministes, de questionnement identitaire lié au contexte politique d'alors mais aussi d'une dimension romantique grand public qui en font une réussite majeure et accessible.

L'histoire dépeint la rencontre de deux figures à la fois extérieures et appartenant à Hong Kong. Kwok-wai (Kenny Be) est un hongkongais nanti élevé en Angleterre mais qui ressent le besoin d'un retour aux sources et va décider de monter une affaire entre Hong Kong et la Chine. Ma Li (Gong Li) est au contraire une hongkongaise ayant grandi en Chine et qui va s'installer dans la péninsule où elle souhaite prendre son indépendance et trouver une situation avant la rétrocession de 1997. Les parallèles entre les deux personnages dressent tout un ensemble d'inégalités et dysfonctionnement. Le riche et homme Kwok-wai voit toutes les portes s'ouvrir pour l'aider à façonner son entreprise dès son arrivée quand la pauvre et femme Ma Li ne parvient pas après un an sur place à obtenir la carte d'identité qui lui permettrait de travailler. 

Ils se rejoignent cependant dans une forme de contrainte sociale qui les rend dépendants de leurs compagnons respectifs. Kwok-wai est en instance de divorce avec sa femme Elizabeth (Cynthia Cheung) totalement occidentalisée et refusant ce retour à Hong Kong, et Kwo-wai est suspendu à sa signature pour réellement lancer ses projets. Ma Li est quant à elle entretenue par Peter (Wilson Lam) fils de bonne famille qui lui fait miroiter un mariage mais ne la trouve pas d'un rang assez élevé pour la présenter à sa famille. L'énergie de Kwok-wai, l'ébullition des environnements d'affaires qu'il traverse est suspendue à l'épée de Damoclès du bon vouloir de sa femme. Sylvia Chang oppose ce mouvement perpétuel mais angoissé au spleen plus figé de Ma Li, prisonnière d'un cadre luxueux mais restreint dans l'appartement fournit par son amant, et errant comme une âme en peine dans des répétitives séances de shopping où elle dépense "son argent de poche". 

Leurs solitudes se rejoignent finalement sur le palier où se font face leurs appartements. Sylvia Chang ajoute un élément passionnant au sentiment d'inconfort des personnages (mais plus difficilement perceptible pour le spectateur occidental) et qui les fera constamment se sentir étranger, la barrière de la langue. Ma Li élevée en Chine parle le mandarin mais n'a encore que des notions rudimentaires du cantonais et de l'anglais, langues dominantes de Hong Kong. Kwo-wai par son éducation occidentale ne se fond pas réellement dans la masse et son mandarin balbutiant complique ses futurs projets en Chine. Sylvia Chang à travers ces différents éléments amène avec une grande délicatesse le rapprochement des protagonistes. La romance est un motif latent mais c'est avant tout la solitude et le sentiment d'insécurité qui crée cette complicité et attachement. Sylvia Chang critique implicitement le bouillonnement permanent de Hong Kong qui repose sur la seule volonté de s'enrichir pour les locaux, au détriment des relations humaines. Ma Li entretenue et sans possibilité de travailler se sent ainsi exclue de la marche locale, elle n'est qu'une potiche soumise au désir d'un homme puissant (lui-même sous la coupe sévère de son père) sans pouvoir s'accomplir. A l'inverse Kwok-wai n'existe que par ce prisme financier alors que sa vie personnelle s'enlise avant sa rencontre avec Ma Li. 

Comme beaucoup de productions hongkongaises de l'époque, l'ombre de la rétrocession plane sur le film. La Chine, le continent, représente un El Dorado plein de perspective pour les puissants quand il reste un cadre contraint qu'il faut quitter pour les pauvres. Le couple représente cette dualité dans plusieurs scènes. Kwok-wai en se rendant en Chine trouve en rencontrant les parents de Ma Li la proximité et chaleur humaine qui manque tant à Hong Kong mais d'un autre côté constate les stigmates étouffés d'un régime autoritaire (les notables chinois qui lui font traverser en riant la Place Tian'anmen de sinistre mémoire). Ma Li au contraire voit Hong Kong malgré les manques comme un lieu de possible épanouissement personnel où elle souhaite trouver sa place avant la rétrocession où elle aurait pourtant plus de prérogatives en tant que chinoise. Sylvia Chang navigue habilement entre ces problématiques tout en tissant un bel écrin romantique où elle met particulièrement en valeur la photogénie de ses interprètes. 

Kenny Bee révèle une belle fragilité sous la décontraction et Gong Li (que l'on avait à l'époque pas souvent vu dans des films au cadre contemporain à travers ses collaborations avec Zhang Yimou) exprime une mélancolie palpable tant sous le masque froid de la citadine apprêtée que dans la solitude de son appartement fastueux. Filmée à la fois avec style et pudeur par Sylvia Chang, Gong Li dégage un mélange de fragilité et de sensualité de tous les instants, c'est vraiment un des films où elle est la plus belle. La réalisatrice estompe progressivement le sentiment d'urgence permanent de Hong Kong pour retrouver une imagerie contemplative de la péninsule enfin vu par un prisme poétique grâce à la proximité amoureuse croissante des personnages. Un film très intéressant donc, auquel on pardonnera largement de céder un peu facilement aux attentes de la comédie romantique dans sa conclusion (chanson cantonaise sirupeuse + arrêt sur image de roman photo) même si l'ultime scène dans les bureaux administratifs nous rappelle sa dimension sociale.

Sorti en dvd hongkongais


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