Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 20 septembre 2021

Via Margutta : la rue des amours faciles - Via Margutta, Mario Camerini (1960)


 Portraits de femmes vivant dans la rue Margutta, à Rome, abritant de nombreux artistes affranchis de toute morale. L’une veut rester une éternelle enfant, une autre plus vieille épouse un bellâtre bon à rien, une troisième se sacrifie à un homme odieux, une dernière tente de sauver son mari du suicide…

Via Margutta est une des dernières réalisations de Mario Camerini, réalisateur talentueux qui sut traverser avec brio les époques et les différentes mues du cinéma italien. Il excelle notamment dans la comédie sentimentale où il exprime tendresse et bienveillance tout en livrant un regard sans fard sur les milieux dépeints. Antifasciste sans être pour autant un cinéaste militant, il s’affranchit à l’image d’un Alessandro Blasetti (contemporain et autre touche à tout d’une longévité et d’un éclectisme impressionnant) de l’idéologie du cinéma de l’ère mussolinienne et fait le pont entre les époques notamment en révélant certains talents comme Vittorio de Sica. A partir des années 50, il accompagne le mouvement du néoréalisme vers le néoréalisme rose, puis de ce dernier pour la comédie italienne. Il dirige ainsi le couple Marcello Mastroianni/Sophia Loren dans le plaisant Par-dessus les moulins (1955), mais accompagne aussi la montée du cinéma de genre avec le péplum Ulysse (1954), se rappelant au bon souvenir de ses débuts où il dirigea un Maciste muet, Maciste contro lo sceicco (1926). 

Via Margutta est une tranche de vie s’attardant sur la communauté d’artistes vivotant dans la rue Margutta à Rome. Ce lieu réunit de tout un vivier d’artistes arrivés à Rome plein d’espoirs et qui, au fil des années piétinent et voient leurs ambitions contrariées. Mario Camerini n’exploite pas tant que cela le quotidien et les déconvenues de ses personnages dans leur cadre de leurs disciplines artistiques respectives (aspirants peintres, acteurs, sculpteurs, chanteurs…) et s’intéresse plutôt à la façon dont leur statut les rend singuliers. On a l’impression de voir une sorte de Les Vitelloni (dont on retrouve l’un des acteurs, Franco Fabrizi dans un rôle très proche) chez les artistes où l’insuccès aurait enfermés les protagonistes dans leur singularité. Pour le plus drôle, cette singularité en fait des adulescents immatures dont on s’amuse des facéties notamment les tentatives de séduction des personnages masculins. Ce temps qui passe sans entrevoir la réussite semble peser plus lourdement chez certains, que ce soit le très torturé Stefano (Gérard Blain) ou Donata (Antonella Lualdi) voyant autant la carrière d’actrice que la volonté de fonder une famille s’éloigner.

La persévérance de chacun reposera sur ce qu’il recherche dans cet accomplissement artistique. La réussite pécuniaire pour Giosué (Franco Fabrizzi) qui abandonne toute prétention dès qu’il sera devenu le gigolo d’une protectrice âgée, la gloire nourrissant son narcissisme pour Stefano… Ce fossé les séparant d'une vie rangée et normale qu'ils fuient explose lors de l'hilarante scène de mariage où nos héros jouent les piques-assiettes et scandalisent par leurs moeurs désinvoltes. La dimension triviale peut néanmoins déboucher sur une certaine émotion quand l’égo s’oublie le temps d’un quiproquo et d’une supercherie pour enfin lier Marco (Spiros Focás) et Marisa, sa femme de ménage secrètement amoureuse. 

L’indolence qu’autorise la voie des arts offre aussi un doux refuge pour le truculent américain Bill (Alex Nicol) totalement dans son élément et définitivement assimilé par son oisiveté toute latine. Mario Camerini alterne ainsi les destinées tragiques de ceux qui ont trop d’attentes et d’égo, celles inattendues de ceux qui se laissent porter par l’instant et l’entre-deux où tout reste ouvert, où l’air les maintient en vie telle Marta (Yvonne Furneaux), éternelle chanteuse de 24 ans. Cela biaise également les relations du groupe où, selon l'ascension de chacun, la camaraderie cède à la rivalité ou à la jalousie comme le montrera une très cruelle scène de réunion finale. La drôlerie  se dispute à la noirceur dans un équilibre qui repose sur le contraste des artistes, de leurs attentes et de leur évolution face à leur réalisation ou pas. C’est le très beau message de la dernière scène, où nos héros observe ému l’arrivée d’un nouveau pensionnaire candide et émerveillé rue Margutta. 

Ressortie en salle cette semaine

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