Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 28 septembre 2021

Le Bonheur - Agnès Varda (1965)

Un menuisier vit heureux avec sa femme et leurs enfants. Un jour, il rencontre une employée des PTT dont il tombe amoureux. Il aime cependant toujours sa femme, et s'épanouit dans cette situation.

Le Bonheur vient confirmer la singularité et le talent exprimé par Agnès Varda dans ses deux premiers long-métrages, La Pointe courte (1955) et Cléo de 5 à 7 (1962). Alors que Cléo de 5 à 7 dans une unité de temps avait une ligne narrative profondément dramatique allant vers quelque chose de lumineux, Le Bonheur prend en partie une voie différente. Le scénario minimaliste (et écrit en trois jours selon Agnès Varda) repose au contraire sur le quotidien, la longueur et la langueur du temps qui passe pour exprimer le bonheur simple de cette famille. Pour ce qui est son premier film en couleur, Agnès Varda livre une œuvre profondément apaisée, naïve et picturale. La scène d’ouverture en vignettes contemplatives, cadre aux compositions de plan somptueuses, est portée par une bande-son (Quintette pour clarinette en la majeur K 581 et fugue de l'Adagio et fugue en ut mineur K 546 de Mozart) contribuant à l’atmosphère estivale élégiaque. 

Une grande partie des tranches de vie capturées par Agnès Varda (coucher des enfants, doux réveil, réunions familiales dominicales…) suivent le mêmes partis pris formels. Les dialogues sont minimalistes et relèvent presque du cliché pour traduire la béatitude de ce bonheur. Progressivement, plusieurs éléments formels plus « modernes » et expérimentaux viennent gripper l’ensemble. Les fondus colorés, un découpage plus syncopé cherchant à traduire un sentiment plus trouble par association d’idées, amènent peu à peu une tension plus sourde. Les protagonistes gardent leurs attitudes émerveillées mais dans des situations plus discutables. Agnès Varda par cette caractérisation linéaire évite tout jugement moral, plaçant sur un pied d’égalité le bonheur conjugal du père (Jean-Claude Drouot) auprès de sa famille et celui dans les bras de sa maîtresse Emilie (Marie-France Boyer).

Les différences se font dans la mise en scène, notamment des scènes d’amour. Un plan fixe saisira l’étreinte des époux en plongée, puis accompagnera la discussion apaisée qui suit tandis que la nudité de la femme (Claire Drouot) est très pudiquement dévoilée avec ses seins dépassant de la couverture. Le style est percutant, expérimental et « Nouvelle Vague » pour filmer les scènes de lit avec la maîtresse, avec des inserts s’attardant sensuellement sur les différentes parties de la plastique d’Emilie, et des caresses trahissant un désir et une forme d’union très différente. Les dialogues le soulignent d’ailleurs quand François avoue aimer l’initiative et la réactivité d’Emilie qui « fait bien l’amour » tandis que sa femme Thérèse préfère être bousculée, sa chose plus soumise. Dès lors la morale n’a rien à faire dans cette situation, du point de vue de l’époux du moins pour qui il s’agit de deux bonheurs différents qui cohabitent et l’épanouissent. 

Le bousculement de l’ordre établi ne se fera donc pas au niveau moral mais dans un questionnement essentiellement esthétique sur l’harmonie, l’équilibre sur lesquels doivent reposer ce bonheur. Le trouble était déjà sous-jacent dans les choix de casting puisque Jean-Claude Drouot joue ici aux côtés de sa propre épouse et de ses vrais enfants. L’équilibre ténu entre facticité et réalité est captivant en sachant cela, et finalement Agnès Varda fait par la fiction « tromper » sa femme à Jean-Claude Drouot. L’harmonie est rompue de façon méta, de manière formelle et pour les plus prudes dans une certaine morale (même si les conservateurs d’alors reprocheront au film de ne pas davantage juger l’adultère) qui voit la monotonie souriante d’ensemble brisée au moment de l’aveu de François. Acte calculé ou vrai coup du sort, l’ambiguïté entoure le seul vrai rebondissement dramatique du film. 

Dès lors c’est un nouvel équilibre à trouver, une place à prendre, des petites têtes blondes à apprivoiser qui se dressent comme enjeux. Néanmoins Agnès Varda ne rend pas la place d’épouse, amante et mère interchangeable, ce n’est pas la continuité du bonheur précédent mais un tout nouveau qui se construit. Le découpage en insert sur les nouveaux objets du quotidien d’Emilie introduisent la mise en scène « moderne » dans l’environnement traditionnel, ainsi que d’autres effets de ralentis entre autres. Même les scènes miroirs marquent leurs différences, l’arrivée familiale en longues focales floutées dans un champs de tournesol ensoleillé trouve sa réponse dans la conclusion avec la famille reconstituée traversant un paysage automnal (assorti à leur vêtement pour souligner cette nouvelle harmonie) et s’éloignant au loin. Le bonheur est à la fois le même, mais aussi totalement différent. C’est d’une justesse et d’une émotion parfaite. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Arte Vidéo

 

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