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samedi 1 juin 2024

Les Amants de Brasmort - Marcel Pagliero (1951)


 Jean est marinier. Il vit sur son piètre bateau, près d’un cimetière de péniches sur un affluent de la Seine appelé « bras-mort ». Il est amoureux de la fille d’un richissime armateur. La jeune femme lui retourne son affection mais se heurte violemment aux préjugés de classe de sa famille. En effet, ses parents tentent tout leur possible pour séparer les deux amants…

Les Amants de Brasmort est le septième film de Marcel Pagliero, sans doute davantage identifié en France pour sa carrière d’acteur. Fils d’un italien et d’une française mais né en Angleterre, Marcel Pagliero (Marcello Pagliero de son véritable nom) naviguera souvent entre l’hexagone et la grande botte tout au long de sa carrière. Il a ainsi typiquement les débuts de plusieurs réalisateurs italiens d’après-guerre, puisqu’après une carrière de journaliste il se lance dans le monde du cinéma en tant que scénariste. Il aspire très tôt à la réalisation mais voit ses premiers long-métrages italiens rencontrent des problèmes logistiques (production interrompues, distribution tardive) qui ne le feront véritablement remarquer qu’à partir d’Un homme marche dans la ville (1949), produit en France. Ses premiers faits d’armes reposent donc avant tout sur son travail de scénariste, notamment grâce à la rencontre fondamentale qu’il fera avec Roberto Rossellini. Il est un des rôles principaux de Rome, ville ouverte (1945), tout en participant à l'écriture de Païsa (1946) aux côtés des plumes prestigieuses que sont Sergio Amidei, Federico Fellini et Vasco Pratolani.

On peut donc indéniablement le considérer comme une cheville fondatrice du courant néoréaliste. C’est un élément qui se ressent grandement dans Les Amants de Brasmort, évocation entre romanesque et veine documentaire du quotidien des mariniers arpentant la Seine. Le synopsis du film pourrait laisser croire que l’on va assister à une sorte de Roméo et Juliette sur Seine, mais finalement l’élément romantique sans forcément être mineur est néanmoins en retrait par rapport à la réalité que souhaite traduire Pagliero de ce milieu. Il y a tout d’abord le réel de de l’environnement avec un tournage s’effectuant à Conflans-Sainte-Honorine, zone d’affrètement des mariniers et lieu de passage, sur les bords de scènes dont le fameux « Brasmort », affluent servant de cimetière de péniches. C’est là qu’échoue toute une faune démunie lorsque leur péniche n’est plus aux normes requises et se réduit à un seul lieu d’habitation austère. Pagliero dresse un panorama saisissant de ces lieux, passant toujours d’un plan d’ensemble immersif à un cadre plus restreint où nous allons nous intéresser aux destins individuels.

La fiction ne s’éloigne cependant jamais très loin de la réalité économique. Nous observons les difficultés de Jean (Franck Villard), marinier forcé à l’inactivité par les manœuvres de son oncle (Robert Dalban), tenant la zone sous sa coupe. Forçant les récalcitrants à l’immobilité ou à la vente de leur péniche, il inclut également sa fille Monique (Nicole Courcel) à ses ambitions en la fiançant à l’héritier d’une famille d’armateur. Pagliero montre la dimension de vase-clos de ce milieu des mariniers, que l’on veuille s’en arracher où s’y maintenir. Jean s’y accroche avec force quand son aimée Monique est prête à un mariage sans amour pour le quitter. En parallèle nous avons le personnage de la mère de Jean (Margo Lion) qui même après avoir tout perdu ne se voit pas d’autre avenir, tandis que l’oncle par le prisme des affaires douteuses s’en imagine le futur roi. 

Le réalisateur parvient à traduire la nature harassante et les vicissitudes de cette vie, notamment par les figures féminines précocement fanées, ou cherchant une échappatoire charnelle (Jacky Flynt sorte de femme fatale fluviale). En définitive c’est pourtant le rapport chaleureux et solidaires des hommes qui prédomine, grâce à des moments léger rappelant les meilleurs moments de camaraderie du réalisme poétique. Le personnage de Nestor est incarné avec une belle truculence par Henri Génès et son accent chantant, les séquences de bistrots, lieu de passage essentiel, respirent l’authenticité et installent le climat bienveillant qui amènera l’issue de certaines péripéties. On pense au moment où les mariniers laisseront leur place à Jean dans la course contre la montre à laquelle il se livre avec Robert Dalban, ou au rebondissement final. 

L’immersion est si réussie que la romance entre Jean et Monique, trop linéaire, en pâtit un peu ne paraît pas assez fouillée au-delà du conflit opposant leur famille. Un public contemporain trouverait d’ailleurs à redire au choix final de Monique, se pliant à la volonté de son aimé alors qu’elle aspirait à autre chose. Il y a une sorte de déterminisme social que le conflit de classe, assez léger, ne résout pas complément dans le récit. Les Amants de Brasmort n’en reste pas moins un bien joli film, qui donne envie de voir d’autres réalisation de Marcel Pagliero mises en lumière.

Sorti en bluray français chez Coin de mire

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