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vendredi 21 juin 2024

Kawashima Yoshiko : The Last Princess of Manchuria - Chuen Do Fong Ji, Eddie Fong (1990)

Yoshiko Kawashima est l'une des filles du Prince Su, de la dynastie Qing. Afin de faire revivre la culture mandchoue, son père l'envoie au Japon pour y être formée comme espionne par Naniwa Kawashima. Yoshiko se rend ensuite à Shanghai où, grâce à sa beauté et son influence, elle se rapproche du général japonais Tanaka Takayoshi et aide Pu Yi à établir le Mandchoukouo.

Le film d'Eddie Fong est une évocation romancée d'une des figures les plus controversées de la Chine de la première moitié du 20e siècle, Yoshiko Kawashima. Née chinoise et fille d'un prince héritier de la dynastie Qing, elle fut envoyée au Japon à ses sept ans afin de servir les ambitions de rétablissement du régime impérial chinois à l'aide du pouvoir nippon. Elle deviendra une sorte de Mata Hari asiatique, espionne au service des Japonais contribuant à leur invasion de la Mandchourie, puis personnalité publique étendard de la propagande durant la Seconde Guerre Mondiale. Bien que très rigoureux et chronologique quant au contexte historique et aux éléments connus de la vie de Yoshiko Kawashima, le film est avant tout l'adaptation du roman La Dernière Princesse de Mandchourie écrit par Lilian Lee - et jadis édité en France aux éditions J'ai Lu. 

L'existence hors-normes de Kawashima, ses frasques et son allure androgyne largement immortalisés par la presse de l'époque, en ont fait une figure se prêtant particulièrement à la fiction. En Europe, le film Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci lui réserve une place importante tandis qu'en 2008 un autre roman lui est consacré avec The Private Papers of Eastern Jewel de Maureen Lindley. Hormis le film d'Eddie Fong, Kawashima est presque associé à une figure de la pop culture, apparaissant dans The Raid de Tsui Hark (1991) qui semble aussi avoir modelé la Brigitte Lin androgyne de Peking Opera Blues (1986) sur son modèle.Elle fait l'objet plusieurs drama japonais et apparaît même dans le jeu vidéo Shadow Hearts: Covenant édité sur Playstation en 2005. Ce pouvoir de fascination repose sur le mystère des motivations ayant conduit Yoshiko Kawashima à de tels agissements, à pareille trahison envers les siens.

Lilian Lee comme souvent dans l'adaptation de ses autres romans à succès, s'attèle ici elle-même au scénario. On retrouve dans sa vision de Yoshiko Kawashima un élément récurrent de ses écrits les plus fameux, le poids du déterminisme et de la destinée. Dans Rouge, The Reincarnation of Golden Lotus, Terracotta Warrior ou Green Snake (respectivement adaptés au cinéma par Stanley Kwan, Clara Law, Ching Siu-tung et Tsui Hark), un argument fantastique condamne les personnages, avant tout féminin, à un éternel recommencement (par le voyage dans le temps, la réincarnation) les maintenant par la force d'un conditionnement amoureux, patriarcal ou religieux dans une destinée tragique leur faisant reproduire les mêmes erreurs fatales. Kawashima Yoshiko se déleste de l'élément surnaturel pour embrasser la fresque historique et se rapprocher du roman et l'adaptation la plus célèbre de Lilian Lee, Adieu ma concubine. C'est donc le traumatisme et le marqueur d'un avenir, d'ambitions qui la dépassent qui lui sont imposées dès l'enfance qui vont déterminer la vie de Kawashima (Anita Mui). Eddie Fong le traduit de diverses manières dans la première partie dépeignant l'enfance et l'adolescence du personnage. 

Petite fille s'apprêtant à être exilée pour servir les projets de son père, elle apparaît minuscule et soumise face à lui tandis qu'il lui exprime ses ambitions ou plutôt exigences envers elle. Son père adoptif japonais, Naniwa Kawashima, son père adoptif japonais, lui donne le patronyme nippon qui la fera entrer dans l'Histoire, et la façonne corps (par un viol) et âme afin d'en faire le jouet de desseins géopolitiques. Devenue jeune femme Kawashima après ces différents abandons et trahisons subis, entre dans une démarche paradoxale entre soumission et émancipation. La soumission repose sur la poursuite des ambitions pour lesquelles elle a été élevé, le rétablissement des Qing, ce qui doit passer par un pacte du diable avec les Japonais dont elle va devenir le cheval de Troie pour faire tomber l'opposition chinoise. 

L'émancipation passera par les moyens employés pour parvenir à ses fins dans une suite de trahisons, meurtres et complots qui la rendront ivre de son pouvoir de façade. En effet, dans toutes ses actions répréhensibles Yoshiko accomplit les attentes de ses pères, et recherche finalement toujours l'autorité masculine et un mentor chez les hommes qui contribueront à son ascension puis à sa chute. Un des grands changements par rapport au livre est de rendre Yoshiko (hormis la bascule du viol) plus immédiatement pro-active dans ses méfaits. Dans le roman elle subit les assauts sexuels du général Tanaka (Patrick Tse) avant d'en faire un allié passé cette humiliation, alors qu'elle provoque cette situation dans le film. Yoshiko a certes été poussée dans cette voie très jeune, mais n'est plus une victime et s'y complaît semble nous dire Eddie Fong.

A ce regard sans complaisance sur l'héroïne s'ajoute aussi celui porté sur la Chine. Dans le roman les évènements historiques sont en arrière-plan mais l'on y comprend que le peuple chinois est avant tout la victime de l'envahisseur japonais. Un peu à la manière de ce que fera Chen Kaige sur Adieu ma concubine (où il avait approfondi et complexifié le contexte historique par rapport au roman de Lilian Lee), Eddie Fong se montre bien plus provocateur. Peut-être influencé par les évènements de Tian'anmen l'année précédente et lé défiance hongkongaise d'alors, le scénario du film fait porter une lourde responsabilité à la Chine dans sa déchéance. 

Plusieurs tirades de Yoshiko expriment un ressentiment envers la Chine certes guidé par son éducation, mais assénant plusieurs vérités cruelles comme le fait que c'est en partie la guerre civile entre les nationalistes du Kuomitang et les communistes qui rendit le pays exsangue et vulnérable aux intrigues puis à l'invasion japonaise. Dès lors bercé par ses illusions, Yoshiko croit guérir la Chine de ces maux en s'alliant aux Japonais qui l'aideront à rétablir un pouvoir impérial juste. Anita Mui excelle à traduire toutes ces ambiguïtés, opposant un visage fier et dédaigneux dans ses atours militaires ou d'espionne, à une féminité vulnérable en quête d'une présence masculine aimante et désintéressée. 

Elle va la trouver avec Fook (Andy Lau) artiste chinois attiré par Yoshiko mais qui la repousse à cause de ses accointances japonaise. Pour la première fois rejetée malgré son pouvoir, Yoshiko entre cruauté et compassion se trouve démunie face à Fook qui est symboliquement son opposé. Il y a une forme de déterminisme aussi dans son destin (le fait d'avoir eu un singe pour animal de compagnie enfant l'amenant à interpréter le Roi-Singe sur scène adulte) mais dont il est capable de s'affranchir, comme lors de la conclusion où il oublie son camp politique pour faire preuve de compassion envers Yoshiko tombée au plus bas. Andy Lau amène un charisme et un panache supérieur (notamment une mémorable première apparition) au personnage par rapport au livre, et contribue à amplifier la dimension romanesque du récit.

Eddie Fong navigue habilement entre la grandiloquence de la fresque et l'intimisme du destin individuel. C'est notamment vrai dans les réelles images d'archives de propagande entrecoupant le film, et dans lesquelles s'insèrent coupures de journaux et actualités mettant en valeur la personnalité médiatique de Yoshiko. Lorsque la fiction reprend ses droits, Yoshiko semble toujours en représentation, garçonne glaciale toisant les inférieurs dans son uniforme militaire, ou femme fatale irrésistible pour soustraire les informations aux malheureux (voire malheureuse avec la séduction saphique de l'impératrice) succombant à ses charmes - Eddie Fong ayant déjà prouvé sa capacité à instaurer un érotisme luxuriant avec son excellent An Amorous Woman of Tang Dynasty (1984). 

C'est clairement une de ses prestations les plus touchantes et iconiques d'Anita Mui, son expérience de la scène et des costumes aidant à imposer une aura menaçante ou langoureuse par sa seule posture. Détestable et pathétique, touchante et abjecte, perdue dans ses désirs, identités et nationalités,Yoshiko Kawashima reste une énigme jusqu'au bout dans ce film aussi éblouissant formellement que stimulant intellectuellement - même si l'on regrettera l'absence de l'ultime pirouette narrative du roman pourtant amorcée à la fin du film.

Sorti en bluray hongkongais avec sous-titres anglais 

Article anglais très complet sur Yoshiko Kawashima dans la fiction

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