C’est dans un contexte de course à l’audience effrénée que Koji Hijikata propose son projet de documentaire à la chaîne Tokai Television Broadcasting et décide de dresser un état des lieux des médias de masse japonais en filmant les employés de la chaîne dans leur quotidien et en plaçant sa caméra dans la salle de rédaction, les bureaux, derrière les plateaux, tout en exposant les moments forts, les doutes, les angoisses et les crises de cette équipe. Une plongée passionnante dans les coulisses électriques de la télévision japonaise.
Sayonara TV est le troisième long-métrage du documentariste Koji Hijikata. Il pose cette fois ses caméras sur son propre lieu de travail, la chaîne Tokai Television qu’il a rejoint en 1998. Durant cette période, il a respectivement occupé les postes d’assistant-réalisateur, directeur des programmes d'information et de divertissement au département de production puis a rejoint le département des informations en 2009. Fort de cette expérience dans divers pans constituant l’activité d’une chaîne télévisée, Sayonara TV va donc observer en coulisses son fonctionnement, ses enjeux et les personnalités qui y officient. Le fait que Hijikata filme son environnement de travail et ses collègues ne représente dans un premier temps pas un atout, bien au contraire. Le réalisateur a la franchise de montrer la réticence de la rédaction à être filmée et laisse voir la révision de son dispositif filmique initial (micro sous les bureaux pour épier les conversations notamment) pour désormais faire preuve de plus de discrétion.
Pour l’essentiel le film donne plus à réfléchir sur le fonctionnement d’entreprise à la japonaise que sur celui plus spécifique d’un grand média. Hijikata va ainsi progressivement mettre en avant trois « personnages » pour affirmer son propos, et chacun va représenter (en s’y confrontant ou en les signifiant) les maux qui causent le dysfonctionnement de la chaîne et des médias japonais au sens large – nous apprendrons que les audiences de Tokai son en chute libre depuis trois ans. La hantise du faux-pas et la culture de la contrition à la japonaise s’incarne à travers le présentateur de journal Fukushima, coquille vide dénuée de toute spontanéité à l’antenne depuis qu’une erreur de graphique l’a obligé à présenter des excuses à l’antenne. La lumière des spotlight attire le reporter stagiaire Watanabe en tant que spectateur (quelques séquences clichées le montrant fan de spectacle d’Idol) que lorsqu’il se met en scène dans ses reportages où il recherche la fantaisie et le sensationnel. Enfin l’abnégation et l’insoumission du journaliste destiné à dénoncer les abus du gouvernement existe grâce à l’indomptable Sawamura. Le réalisateur les accompagne dans leurs activités, intimité et les interroge individuellement. La proximité qu’il a avec eux l’autorise à être direct dans ses questions et d’en tirer une vérité sur chacun, qu’elle soit verbalisée ou non. Fukushima y admet sa terreur de se montrer naturel à l’antenne, Watanabe trahit sa volonté de notoriété par son manque de déontologie que ne pardonne pas ses airs niais, et enfin Sawamura dénote en vrai homme en colère prêt à risquer sa place pour révéler une injustice. C’est assez captivant même si progressivement Hijikata semble céder à un certain storytelling plus calculé en montrant chacun des protagonistes évoluer de façon un peu trop idéale et fictionnalisée. Fukushima surmonte ainsi ses inhibitions en perdant son poste et initie un reportage sur un sujet qui lui tient à cœur, ou encore Sawamura obtient gain de cause dans le scandale judiciaire qu’il souhaitait révéler. De plus tout cela est entrecoupé de saynètes discutables comme lorsque Watanabe ira emprunter de l’argent à un collègue.Cette direction manipulatrice est assez décevante jusqu’à une fin aussi surprenante que magistrale. Hijikata (qui se met en scène à l’écran tout au long du documentaire) demande à chacun de ses « héros » de dire un dernier mot en guise de conclusion. C’est là que le vindicatif Sawamura de manière calme et cinglante énumérer face à Hijikata tous les procédés évoqués plus haut et lui demander s’il considère cela comme du journalisme, si cela était l’objectif de son documentaire. Le film prend alors une dimension supplémentaire en s’affirmant à la fois comme immersion et mise en abyme de la manipulation et course à l’audience des médias. Le réel en devient une fiction où injecter le romanesque, le sensationnel factice. Le générique de fin passe en revue diverses séquences ambiguë ou leur préparation, donnant tout son sens au titre Sayonara TV. C’est bien au fantasme d’un média intègre qui informe, éduque et diverti qu’il faut dire adieu.Vu au Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo
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