Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 21 avril 2023

El sacerdote - Eloy de la Iglesia (1978)


 Le père Miguel, un prêtre de trente-six ans, séduisant et timide, traverse une crise de conscience. De plus, la présence constante dans son confessionnal d'Irène, une jeune et belle femme mariée, à la fois pieuse et passionnée, met à mal sa foi et ses convictions religieuses.

El Sacerdote vient grandement confirmer que Eloy de la Iglesia, après nombre d'œuvres provocatrices et sur la corde raide de la censure durant l'ère Franquiste, fut un des cinéastes qui endossa avec le plus de virulence la liberté retrouvée après la fin du régime. Le film s'insère entre les œuvres que le cinéaste consacre à la délinquance entre la fin des années 70 et le début des années 80 qui le verront être un des fers de lance du cinéma quinqui. Dans les films qui précèdent ce virage comme Cannibal Man (1972) et celle qui s'y fondent (Navajeros (1980), Colegas (1982) et El Pico 1 et 2 (1983, 1984), la question de la sexualité, du désir, et de l'oscillation entre transgression et refoulé était fondamentale, tournant plutôt autour de l'homosexualité. El Sacerdo creuse en partie le même sillon même s'il s'éloigne du monde des petites frappes espagnoles. Nous nous plongeons plutôt ici dans le quotidien d'un clergé au milieux des années 60 à l'ère franquiste. On va y suivre la crise de conscience du père Miguel (Simón Andreu), prêtre de 36 ans soudainement assailli par un désir sexuel incontrôlable.

Les confessions impudiques d'Irene (Esperanza Roy), une femme mariée et séduisante de sa congrégation, stimulent son imagination et l'empêche de mener ses obligations à bien. Entré au séminaire à l'âge de quatorze ans, Miguel n'a aucune expérience des femmes et du sexe et, après avoir refoulé toutes ces années les pensées "impures, il se trouve désormais constamment assailli par elles. Eloy de la Iglesia filme ces moments de plus en plus fréquents où Miguel perd pied dans un onirisme halluciné où le moindre élément, la phrase et situations relevant de la "chose" suscite chez Miguel des bouffées délirantes intense. Qu'il croise Irene et son époux et voilà qu'il revit les confidences de cette dernière sur leur vie sexuelle tumultueuse, qu'il unisse un couple de jeunes mariés dont la femme est déjà enceinte et voici que les images de la conception du bébé surgissent dans son esprit en pleine messe, le forçant à s'interrompre. De la Iglesia ose même faire le parallèle entre ce refoulé et la pédophilie lorsque la simple vue des jambes nues d'un garçon de huit ans provoque chez le prêtre une excitation coupable.

La violence des fantasmes de Miguel n'a d'égale que la profonde intransigeance de sa notion de foi religieuse. La première image du film est celle d'une affiche de campagne électorale pour Franco dans le cadre d'un futur référendum. Une affiche qui sera bientôt remplacée par celle d'une publicité pour une crème bronzante mettant en valeur une belle jeune femme sexy et dénudée. Ces deux images signifient la crise à laquelle est confrontée l'église à cette période et représenté par différents personnages. Le message religieux supposé bienveillant est un instrument de contrôle et de peur sur les masses, servant l'idéologie du régime avec un prêtre plaçant des allusions pro franquistes dans ses prêches, vantant une modernité presque blasphématoire avec le père Luis (Emilio Gutiérrez Caba) tandis que le père Alfonso (José Franco) chef de congrégation, affiche la bonhomie détachée du religieux "à l'ancienne" servile de l'institution. 

Toutes ces contradictions et courant correspondent aux années (de 1962 à 1965, année où se déroule le film) qui virent le second concile du Vatican où, vacillant et perdant de son pouvoir à cause des bouleversements socio-politiques à travers le monde, l'église catholique remis en question certains préceptes de l'enseignement religieux. Miguel symbolise en quelque sorte le déchirement de ces différentes tendances. Il avait étouffé son désir sexuel durant toutes ses années en se soumettant à une foi célébrant un Dieu exclusivement répressif, vous promettant les flammes de l'enfer à la moindre incartade.

Lorsqu'il voit le père Luis afficher des thèses provocatrices (les enfants sans père feraient les fidèles les plus pieux pour compenser les péchés de leur mère et trouver une figure de père spirituelle, y compris le Christ) ou donner un prêche libertaire à des enfants, les certitudes de Miguel son ébranlés. De la Iglesia nous montre un environnement de jeunes prêtres soucieux de leur apparence (une scène d'essayage de nouvelles soutanes), aux loisirs sortant de la sphère de l'église et pour certains entretenant des aventures avec des femmes. 

C'est un pas que Miguel malgré les tentations ne se résout pas à franchir, la frustration entretenant sa psychose, et lorsqu'il cèdera la culpabilité accentuera sa folie. Simón Andreu livre une prestation aussi intense que touchante dans cette déchéance mentale et physique. Eloy de la Iglesia multiplie les scènes chocs pour traduire viscéralement le dilemme du personnage mais sous les excès, c'est bien à cette figure fragile que l'on se raccroche de bout en bout, notamment dans la belle introspection qui le voit revisiter les lieux de son enfance pour comprendre l'origine de son mal - et témoignant des conséquences d'un environnement répressif sur la libido en formation des jeunes âmes. Une œuvre puissante dont le propos conserve encore toute sa force aujourd'hui. 

Sorti en bluray espagnol doté de sous-titres anglais et pour les parisiens le film sera visible dans le cadre d'une rétrospective consacrée à Eloy de la Iglesia à la Cinémathèque française cet été

1 commentaire:

  1. Cette rétrospective va être formidable : avec Almodóvar et Buñuel, Eloy de la Iglesia est l'un des cinéastes les plus transgressifs de l'histoire du cinéma espagnol.

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