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vendredi 14 juillet 2023

Le Député - El diputado, Eloy de la Iglesia (1978)


 Roberto Orbea est député dans un parti de gauche. Homosexuel, il a épousé une camarade du parti, en espérant rester fidèle. Mais il est emprisonné pour ses activités politiques, et il devient l'amant de Nes, un prostitué. À sa sortie de prison, Orbea est élu député, et mène une politique contre le terrorisme. Un groupe de terroriste tardofranquiste paie Nes pour qu'il piège Orbea, afin de le faire tomber politiquement.

Le Député est une œuvre qui brasse tous les thèmes du cinéma de Eloy de la Iglesia mais est aussi sa plus explicitement politique. Avec la mort de Franco en 1975, l'étau de la censure se desserre et de la Iglesia peut se montrer plus frontal dans son propos, sans être obligé de passer par les effets du cinéma de genre. Le réalisateur souhaite désormais en prise directe avec la réalité sociale et politique du pays, ce sera le cas plus tard dans son cycle consacré au cinéma quinqui et dans Le Député il capture l'atmosphère de l'Espagne en pleine transition démocratique. Le générique de début avec ses archives d'actualités exprime cela avant de se rattacher au destin plus intime du héro Roberto Orbea (José Sacristán), député communiste. Le scénario fait une analogie entre son activisme qui lui valut la clandestinité et l'emprisonnement sous le régime franquiste, et son homosexualité qui durant cette transition démocratique le destine à cette même clandestinité alors que ce penchant pourrait être utilisé contre lui par ses adversaires politique. Marié avec Carmen (María Luisa San José), camarade militante à laquelle il a avoué sa bisexualité, Roberto a depuis étouffé cette part de lui avant qu'un séjour dans la promiscuité d'une prison ne le ravive.

Il va donc gouter en secret les joies de rencontres secrètes avec de jeunes amants et s'attacher plus particulièrement à Juanito (José Luis Alonso). Ce dernier est cependant l'agent d'un groupuscule de droite cherchant à faire tomber Roberto. Les situations, environnements et le discours du héros cherchent au départ à créer un vrai schisme entre ses deux "vies", mais c'est un personnage en perpétuel questionnement sur ce qu'il veut renvoyer. Cette séparation est impossible tant la dissimulation du politique et de l'intime se rejoignent constamment tout au long du récit, en menace comme en apaisement pour Roberto. 

L'appartement de ses rencontres secrètes avec Juanito est le même que celui des anciennes réunions politiques clandestines, et les affiches, tracts et même musiques (cette vieille cassette jouant l'Internationale) servent d'arrière-plan discret à leurs ébats pour nous le rappeler. Les dialogues entre Roberto et sa femme sont typiques du recul et de l'intellectualisation militante de leur situation, avant qu'ils acceptent l'impasse où ils se trouvent et se montrent sincères l'un envers l'autre. Ce côté démonstratif est contrebalancé par le personnage de Juanito, petite frappe représentant la jeunesse dépolitisée pour laquelle le travail d'explication n'a pas été fait dans cette transition démocratique. Il s'agit juste pour lui de survivre et l'argent de Roberto tout comme celui des terroristes est bon à prendre, dans une totale absence de conscience morale.

La sincérité de Roberto fend progressivement l'armure du jeune amant jusque-là distant et purement intéressé. Se dire qu'il fait cela pour l'argent, c'est une manière de nier aussi son vrai penchant homosexuel comme on le comprendra progressivement et la prestation fougueuse de José Luis Alonso est remarquable pour traduire cela. La romance fait ainsi fondre les barrières morales et intellectuelles de l'un, et celle plus sociale de l'autre pour aller jusqu'à bouleverser le modèle de couple traditionnel et baigné de catholicisme inhérent au régime franquiste. Juanito devient le centre d'un ménage à trois avec Carmen et Roberto dont l'apport est charnel, affectif et politique. Eloy de la Iglesia initie ainsi une scène de triolisme où les bourgeois de gauche se laissent tenter par un joint, tandis que Juanito commence à éveiller une conscience morale et politique grâce aux matériau culturels et les environnements auxquels Roberto et Carmen lui donnent accès. 

Le réalisateur recherche la forme la plus limpide pour exprimer cela, travaillant parfois une esthétique tape à l'œil de roman photo, et estompant le côté démonstratif de son propos par la volonté, presque le sacerdoce de sincérité (avec ses limites) des personnages. Eloy de la Iglesia tout en anticipant la liberté de la Movida fait montre d'une certaine touche biographique puisqu'il eut aussi à la fois à masquer son appartenance au Parti Communiste et son homosexualité. Il anticipe même ses futurs errements puisque lorsqu'il entamera son cycle de cinéma quinqui, lui l'homme mûr de gauche se laissera aussi griser en prenant pour amants les jeunes délinquants qu'il filme et les suivra dans leurs modes de vie destructeurs, notamment la drogue. C'est donc assez fascinant de voir le jour encore positif de cette promiscuité dans Le Député alors qu'un film comme El Pico (1983) explorera l'autre facette.

Malgré tout la conclusion offre un constat finalement désespéré puisque Roberto perd tout en accédant aux plus hautes sphères de son ambition, l'idéal intime et politique qu'il vise est une illusion malgré ses bonnes intentions et symbolise les obstacles de cette transition démocratique.

Vu dans le cadre de la rétrospective consacré à Eloy de la Iglesia à la Cinémathèque française, pas d'édition dvd pour le moment

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