Deux réalisateurs tentent de relever le défi de réaliser un film sur le héros national philippin José Rizal, exécuté par le gouvernement colonial espagnol pour crime de rébellion après le déclenchement de la révolution philippine en 1896. Les deux hommes échouent sur la question de savoir s’il a ou non renoncé à son opposition à l’Église catholique. Ils interrogent les personnes clés de la vie de Rizal, mais les réponses qu’ils obtiennent sont obscures…
Héros du tiers-monde marque le retour à la réalisation de Mike de Leon après un long hiatus, son précédent long-métrage pour la télévision datant de 1986. Au premier abord le réalisateur semble avoir changé de registre avec ce portrait de José Rizal, héros national philippin, loin des codes du cinéma de genre ou coloré sous lequel il glissait ses messages politiques. Néanmoins la forme ludique et inventive va vite nous rappeler au bon souvenir du Mike de Leon entre facétie et profondeur thématique des années 70/80. Ni biopic, ni documentaire, Héros du tiers-monde est en fait une mise en abyme fictionnalisée qui voit deux cinéastes réfléchir à un film sur José Rizal et de ce fait s’interroger sur l’orientation à prendre sur ce projet hypothétique.
Les questions que se posent les deux cinéastes sur la figure de José Rizal sondent le passé philippin à travers le grand homme, mais aussi son présent. Le dispositif très ludique consiste en des entretiens où les héros confrontent en chair et en os aux grands personnages historiques ayant côtoyé Rizal, après une introduction succincte et « wikipédiesque » ayant présenté le José Rizal idéalisé tel qu’il est désormais présenté aux yeux du grand public. Ce n’est pas toujours simple à suivre pour un spectateur non philippin et pas familier de l’histoire du pays, mais Mike de Leon parvient dans un chapitrage autour de grandes questions intimes ou plus officielles à tisser une vision contrastée et bien moins parfaite qu’attendue de José Rizal. Sa fin tragique par une exécution ordonnée par le colon espagnol en a fait un martyr vénéré, et c’est notamment sur ce statut de saint que portera une des controverses du film. Son éducation moderne (sa riche famille lui a permit d’effectuer des études universitaires en Europe, à Madrid, Paris et Berlin) l’amène à avoir une distance sur le pouvoir religieux aux Philippines qu’il critiquera à plusieurs occasions. Pourtant des documents à l’authenticité discutée témoignent d’une conversion tardive alors que sa fin était imminente, fait qui permettre la récupération de José Rizal par le pouvoir religieux et cette image de saint qui perdure aujourd’hui.Mike de Leon en évoquant cette ambiguïté fustige évidemment l’Etat contemporain pour lequel la religion demeure toujours un levier de manipulation des masses. Les deux cinéastes participent eux même à ce doute en interprétant chacun à leur manière les informations auxquelles ils sont confrontés et représentent ainsi la confusion qui peut exister chez les Philippins sur certains pans de la vie de José Rizal. C’est notamment vrai concernant son épouse irlandaise Joséphine Bracken, dont le rôle voire la réalité officielle du mariage semblent discutés. Mike de Leon retrouve l’inventivité qui lui est coutumière dans la mise en place de son dispositif, la reconstitution soignée se disputant à l’anachronisme et même la farce. La silhouette de Rizal comparée et substituée à celle de Charlie Chaplin durant son exécution, une fausse pub pour déodorant le mettant en scène avec pour slogan « cacher l’indigène qui est en vous », sous le côté potache tout fait sens et exprime une veine irrévérencieuse bienvenue, le tout filmé dans un beau noir et blanc par le directeur photo Ding Achacoso. Une œuvre où Mike de Leon reste fidèle à lui-même malgré le monument auquel il s’attaque, mais par forcément facile d’accès pour le spectateur peu au fait de l’histoire Philippine – un biopic plus classique nommé tout simplement José Rizal réalisé par Marilou Diaz-Abaya sortira d’ailleurs cette même année 1998 à l'occasion du centenaire de la révolte des Philippines.Sorti en bluray chez Carlotta Films
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