Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 27 janvier 2011

L'Égyptien - The Egyptian, Michael Curtiz (1954)

Treize siècles avant notre ère, en Égypte. Sinouhé, enfant abandonné, est élevé par un médecin qui lui transmet sa vocation et sa science. Devenu adulte, il s'installe à Thèbes et met ses compétences médicales au service des plus pauvres. Un jour, dans le désert, Sinouhé et son ami, l'ambitieux Horemheb, sauvent des griffes d'un lion un inconnu en prière. Cet homme n'est autre que le pharaon Akhénaton. En signe de gratitude, il nomme Horemheb officier de la garde et Sinouhé médecin du Palais. Pour fêter cet heureux événement, les deux hommes se rendent dans une maison de plaisir tenue par la belle et mystérieuse Néfer. Sinouhé succombe au charme de la courtisane. Mais derrière la plastique parfaite de la jeune femme, se cache une âme cupide, dénuée de tout sentiment humain.

Peu reconnaissante pour tous les services rendus et les nombreux succès qu'il lui apporta, la Warner suite à plusieurs onéreux échecs commerciaux ne renouvela pas le contrat de son réalisateur emblématique Michael Curtiz en 1953. Celui ci passa donc une partie de la dernière partie de sa carrière a distiller son savoir-faire dans divers studios dont la Fox où il réalise cet impressionnant Égyptien en 1954. On peut s'étonner de voir le modeste Edmund Purdom (qui entre Le Fils Prodigue de Richard Thorpe l'année suivante et diverses productions italiennes peu glorieuses le succès envolé allait devenir un vrai spécialiste du péplum) dans le rôle titre alors que le casting prestigieux relègue Gene Tierney, Jean Simmons, Peter Ustinov ou encore Victore Mature a de seconds rôles.

Le rôle était à l'origine prévu pour Marlon Brando qui désapprouvant le scénario (adapté d'un roman de Mika Waltari) fit faux bond à la production à la dernière minute. Farley Granger fut contacté pour le remplacer mais déclina l'offre qui échoua donc au quasi inconnu Edmund Purdom. Loin d'avoir le charisme et la présence des autres interprètes envisagés, il en fait finalement une force en enlevant toute envergure à ce personnage faisant constamment tout les mauvais chois et se laissant manipuler.

L'histoire dépeint donc le parcours initiatique de Sinouhé (Edmund Bloom) que nous découvrons vieux et solitaire dans une demeure isolée au milieu de nulle part alors qu'il décide d'écrire ses mémoires. On découvre dans un premier temps la lente ascension de cet enfant adopté qui va parvenir à s'élever en compagnie de son ami Horemheb (Victore Mature) en tant que médecin du palais. Seulement là il tombe sous le charme de Nefer, courtisane babylonienne qui va le perdre en le poussant à s'abaisser à toutes les vilenies. Cette première partie est fort impressionnante dans la mesure où elle donne l'occasion à Curtiz de se frotter au cinémascope, le résultat étant souvent bluffant.

Les moyens sont monumentaux et le réalisateur s'y entend pour les mettre en valeur que ce soit les palais monumentaux, les extérieurs à l'ampleur titanesque où le luxe raffiné des intérieurs. La narration suit le point de vue d'un Sinouhé en pleine découverte de cet univers et la part belle est laissée à un certain pouvoir d'émerveillement devant toute ses splendeurs. Cette logique s'applique également au personnages rencontrés par le héros que ce soit le pharaon mystique Akhenaton lors d'une stupéfiante séquence dans la vallée des rois ou bien sur la vénéneuse Nefer incarné par Bella Darvi qui souffla le rôle à Marilyn Monroe grâce à la liaison qu'elle entretenait avec Darryl Zanuck. Malgré un jeu plutôt approximatif, Curtiz se montre particulièrement inspiré pour illustrer l'érotisme ravageur qu'elle dégage, une vraie femme fatale antique. On est pas près d'oublier ce plan de nudité fort osé vu à travers le reflet d'un bassin et on comprend aisément qu'elle puisse causer la perte du héros.

Edmund Bloom est fort convaincant en Sinouhé victime de ses pulsions et tombant dans tout les pièges, ne sachant reconnaître à temps le vraie amour de sa vie en la douce Merit (Jean Simmons un peu en retrait mais toujours aussi convaincante). Le véritable intérêt du film se trouve pourtant dans son surprenant scénario qui avance masqué pour se qui s'avéra être un récit biblique qui n'en est pas tout à fait un. Le pharaon Akhénaton est vu comme un illuminé d'une nouvelle religion monothéiste aux antipodes du culte égyptien connu, et qui le détache complètement des réalités y compris l'invasion imminente de son royaume.

On a ainsi un questionnement sous forme d'intrigue de palais où les ambitions de chacun se manifestent par la disparition de ce pharaon encombrant. Tout concourt a faire le lien avec la religion chrétienne, le monothéisme bien sûr mais aussi le symbole de ce culte qui une variante de la croix chrétienne et ce alors que les évènements se déroulent treize siècle avant la naissance du Christ. L'ambiguïté est de mise entre ce pharaon apathique et la nécessité de l'éliminer. Notre héros ayant réussi à s'élever à s"lever socialement va donc être à nouveau entraîné dans une suite de complots où il se trompera une fois encore.

La bonté du pharaon dans ses derniers instants, les élans céleste du score de Bernard Hermann et Alfred Newman, les séquences impressionnante de martyrs et la tirade finale de Sinouhé ne laisse guère de doute sur le côté vers lequel penche le film et le lien avec la chrétienté est ouvertement fait dans l'ultime séquence. C'est cependant subtilement amené puisque Sinouhé accède enfin à la sagesse lorsqu'il cède à ces préceptes lui qui a passé le film à s'interroger et se tromper.

Malgré les moyens déployés, le film adopte donc un ton essentiellement intimiste dans les réflexions qu'il soulève et son héros indécis mais Curtiz n'en fait pas moins preuve d'une grande inspiration.Les échanges fiévreux du début entre Sinouhé et Nefer, alternant l'érotisme contemplatif avec une brutalité inattendue sont saisissant notamment dans les variations de la photo somptueuse de Leon Shamroy.

Plus tard ce sera l'ultime entrevue entre Victore Mature, Sinouhé et Michael Wilding qui montrera par la science du cadrage le pouvoir d'évocation religieuse que dégage le pharaon et la hauteur qu'il a sur les évènements et les personnage qui l'entoure. Ce n'est pas sans défauts (un peu trop bavard, un vrai morceau de bravoure spectaculaire manque tout de même) mais c'est la preuve que Curtiz maîtrisait encore son sujet même en fin de carrière. Pour l'anecdote une bonne partie des décors seront racheté par la Paramount pour être réutilisés dans Les Dix commandements de Cecil B. Demille, le lien étant même poussé jusqu'à reprendre une partie du casting avec John Carradine, Michael Ansara et Mimi Gibson.


Film un peu dur à trouver en dvd car n'existant ni en zone 1 ni en zone 2 français. Il existe une très belle édition dvd espagnole (voyez les captures) malheureusement dépourvu de vf ou de sous titre français mais la VO anglaise y figure (avec des sous titres espagnol amovible).

Extrait

6 commentaires:

  1. Ca fait du bien de trouver un commentaire un tant soit peu en profondeur sur ce film, l'un dess quelques films qui m'échappent pour l'instant: habituellement, on l'assassine d'un expéditif 'c'est nul', et ses supporters se contentent d'un "mais non, ce n'est pas nul!". Ca donne en tout cas envie de le voir... Olé DVD!

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  2. On trouve souvent pas mal de mépris pour toutes ses grandes fresques antiques des 50's c'est dommage surtout là le film est vraiment atypique et passionnant. Je ne connaissais même pas son existence avant de lire le livre de Pierre Berthomieu "Hollywood, le temps des géants" c'est dire s'il est oublié belle découverte. Et encore bravo à toi sur tout tes retours sur Curtiz (et Wilder et plein d'autres) sur ton blog c'est passionnant je lis tout ça régulièrement aussi ;-)

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  3. Bonne nouvelle le film sort en dvd français le 4 septembre prochain chez Sidonis (avec le "Ambre de Preminger très attendu aussi) avis aux amateurs de Curtiz et de péplum !

    http://www.amazon.fr/Legyptien-Jean-Simmons/dp/B008BLSOLW/ref=sr_1_2?s=dvd&ie=UTF8&qid=1345761940&sr=1-2

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  4. Merci pour cette chronique. Je viens de découvrir ce film (que je ne connaissais pas du tout) après un voyage en Egypte et j'ai été très impressionné. Vous êtes le seul (parmi toutes les critiques que j'ai réussi à glaner sur la toile) à défendre le film et à poser d'excellents arguments que je partage complètement.

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    1. Merci à vous, et oui ce Curtiz tardif est assez injustement négligé, un peu noyé au milieu de tous les péplums monumentaux sortis à cette période !

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