Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 19 novembre 2018

L'Homme de Berlin - The Man between, Carol Reed (1953)



Venue rendre visite à son frère Martin à Berlin-Ouest, Susan Mallison rencontre Ivo Kern, un ami de Bettina, l'épouse de Martin. Elle découvre que l'homme est le mari de Bettina que celle-ci croyait mort. Ivo est en réalité un agent d'espionnage de l'Est qui force sa femme à travailler pour lui. Son chef, Halendar décide de kidnapper Bettina pour la forcer à livrer un de ses amis, Olaf Kastner, responsable d'un réseau d'évasion vers l'Ouest. Mais les agents se trompent et ils enlèvent Susan. Tombé amoureux de celle-ci, Ivo décide de la sauver.

L’Homme de Berlin est une œuvre restée dans l’ombre d’un des sommets de la filmographie de Carol Reed, Le Troisième homme (1949). Le postulat voisin avec cette intrigue d’espionnage situé dans une Europe vaincue et sinistrée d’après-guerre a forcément engendrée une comparaison défavorable à sa sortie. A postériori, la période où se situe l’intrigue a également une moindre portée dramatique que certains grands films d'espionnages produit après l’édification le Mur de Berlin (édifié en 1961) comme L’Espion qui venait du froid (1965). La plus grande différence avec Le Troisième homme sera cependant thématique et dramatique.

 Le Troisième homme avait été écrit par Graham Green, vrai espion durant la Deuxième Guerre Mondiale et qui y greffait là de vraies affaires s’étant déroulés durant le conflit. Le réalisme cru de ce Vienne d’après-guerre se mélangeait ainsi à une atmosphère expressionniste et hallucinée témoignant du mal poreux et corrupteur de cet environnement. C’est cette découverte qui accompagne le voyage de Joseph Cotten vers les ténèbres alors que L’Homme de Berlin évoque plutôt un retour à la lumière, une rédemption. C’est à travers le regard innocent de Susan (Claire Bloom) que l’on découvre le contexte de Berlin, nid d’espions où se disputent les hommes et leur secret entre l’Est et l’Ouest. Ces enjeux reposent sur le passé des personnages et Carol Reed les inscrits dans un extérieur paranoïaque avec des protagonistes troubles observant les pérégrinations de Susan, mais également dans l’intime à travers la présence angoissée de sa belle-sœur Bettina (Hildegard Knef). Les stigmates de la guerre s’incarnent dans les paysages en ruines et la pauvreté ambiante, et par la culpabilité des personnages. Ivo Kern (James Mason) est le visage de cette culpabilité pour Bettina et traîne lui-même un détachement affectif comme patriotique issu des horreurs passées.

Tout le trouble passe, contrairement au Troisième Homme, lors de scènes de jour où se disputent manipulation et rapprochement sincère entre Susan et Ivo. On a une héroïne « vierge » de ce passé (et probablement encore enfant lors des évènements) s’attachant à un être hésitant toujours entre intérêt personnel et amour naissant. James Mason est une nouvelle fois extraordinaire en incarnant une figure inquiétante par ce qu’elle représente (l’opportunisme et l’individualisme au-delà du choc des blocs) et au romantisme tragique dans l’humanité qu’elle dégage. Le dialogue où il explique comment la guerre l’a délesté de ses états d’âmes est à ce titre poignant, le chaos d’une ère ayant balayé les possibles âmes nobles en devenir – la formation d’avocat d’Ivo s’avérant inutile en ces heures troubles. Carol Reed atténue l’ambiguïté au fil de la révélation d’enjeux plus intimes qu’idéologiques. 

 Les dialogues initiaux jouent des différentes langues des protagonistes. Dans un premiers temps les échanges en allemands ne sont ni traduit, ni sous-titrés, pour égarer le personnage de Susan lorsqu’elle y assiste mais également pour semer cette suspicion chez le spectateur avec l’absence de sous-titres. Carol Reed cède pourtant progressivement à faire parler anglais à ses personnages allemands, non par convention mais pour clarifier le positionnement de chacun. Quand Le Troisième Homme nous plonge dans un univers trouble où le héros ne distinguait plus le bien du mal, les alliés des ennemis, L’Homme de Berlin fait de son héroïne « extérieure » un ange rédempteur qui va extraire Ivo de cette fange. Dès lors les dédales urbains nocturnes du Troisième Homme sont à l’inverse ceux qui lèvent l’ambiguïté dans la fuite de Susan et Ivo. 

Les contre-plongées déroutantes sont bien là, les éclairages expressionnistes oppressants aussi (superbe travail de Desmond Dickinson), mais l’angoisse de la menace latente s’estompe avec la confiance que peut enfin faire Susan à Ivo. La scène charnière de cette bascule sera lorsqu’Ivo devance Susan et disparait dans une ruelle en la laissant livrée à elle-même dans la nuit berlinoise. Carol Reed multiplie les effets soulignant la terreur de l’héroïne aussitôt importunée par un automobiliste, avant qu’Ivo ressurgisse pour la sortir de ce mauvais pas. Le personnage retrouve une aura noble dans le regard de Susan, elle-même passant de la jeune fille innocente à la femme dans un moment où le romantisme se dispute à une sensualité osée pour le prude cinéma anglais – avec Claire Bloom déguisée en « poule » berlinoise pour donner le change aux poursuivants. 

 Les odyssées nocturnes servant de révélateurs sont au cœur de l’œuvre de Carol Reed, que ce soit pour surmonter un deuil dans Bank Holiday (1938), tragique dans Huit heures de sursis (1947) et formatrice pour l’enfant de Première désillusion (1948). Le suspense certes bien présent importe cependant moins que l’accomplissement moral, ce qu’une magnifique et sacrificielle scène finale vient souligner. Une belle réussite qui mérite de sortir de l’ombre du Troisième Homme

Ressortie en salle le 21 novembre

Extrait de la scène d'ouverture 

5 commentaires:

  1. bonsoir et merci. J'aime beaucoup ce film. Carol Reed ne se résume pas au 3 ième homme..heureusement. J'ai vu récemment sous le regard des étoiles sur le cable d'aprés Cronin. J'aime beaucoup ce réalisateur.

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    1. Bien d'accord Carol Reed a une carrière bien plus riche que le seul Troisième homme, ça m'a d'ailleurs toujours agacé que ceux ne connaissant pas sa carrière sous-entendent qu'Orson Welles avait mis la main à la pâte sur ce dernier (alors que tous les motifs formels typiques de Reed s'y trouvent). D'ailleurs si vous en avez l'occasion le plus méconnu Première désillusion ressort parallèlement aussi ce mercredi. Pas vu "Sous le regard des étoiles" mais j'aime bien les quelques films qu'il a tourné avec Margaret Lockwood comme "Dernier train pour Munich" ou "Bank Holiday". J'en ai traité pas mal sur le blog vous pouvez avoir un aperçu là
      http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/search/label/Carol%20Reed

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    2. bonsoir et merci de votre longue réponse. Passionné par le cinéma anglais, et Carol Reed entres autres, j'ai acheté le coffret qui regroupe Week-end, l'héroique parade et la grande escalade. j'ai beaucoup aimé ces trois films. Je m'aperçois que j'ai vu treize films de ce réalisateur. Je connais Première désillusion avec Michèle Morgan. Ce n'est pas un de mes préférés. Il me reste à voir manque comme film important train de nuit pour Munich et La Clef... Merci pour vos chroniques que je lis trés régulièrement.

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  2. Apparemment, en lisant votre chronique, Train de nuit pour Munich serait un film mineur..donc j'attendrais qu'il passe un jour sur le cable. Et que vaut la Clef ?

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    1. Je suis assez mitigé sur Train de nuit pour Munich (surtout vu le comparatif obligatoire avec "Une femme disparait" d'Hitchcock) mais en général c'est un film apprécié dans sa filmographie donc faîtes vous votre idée peut-être qu'il vous plaira plus que moi ;-) Pas vu La Clef

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