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samedi 3 novembre 2018

Aux frontières de l’aube - Near Dark, Kathryn Bigelow (1987)


Une nuit, Caleb, un jeune fermier de l'Oklahoma, rencontre la belle Mae. Fasciné, il tente de la séduire et obtient d'elle un baiser qui devient une morsure. Ce contact va entraîner Caleb dans le monde des compagnons de Mae, des vampires. Il devra apprendre à tuer pour s'abreuver du sang de ses victimes.

Near Dark constitue un jalon du cinéma fantastique des années quatre-vingts et sera pour Kathryn Bigelow l’œuvre de l’affirmation.  La formation initiale de Kathryn Bigelow est plutôt intellectuelle à travers ses études de peinture, ses liens à la contreculture et son engagement politique durant les années soixante-dix. Ce passif irrigue son approche du cinéma, que ce soit son court-métrage étudiant The Set-up (1978) ou son premier long au traitement très arty, The Loveless (1982) (coréalisé avec Monty Montgomery). Un choc esthétique va pourtant bouleverser sa vision du cinéma quand elle découvrira La Horde sauvage de Sam Peckinpah (1969). Le spectacle viscéral et opératique de Peckinpah va désormais définir la vision de Bigelow pour qui le cinéma doit être un vecteur d’adrénaline et de sensations. Point Break (1991) sera le film de la rupture tandis que Strange Days (1995) et plus tard Démineurs (2009), Zero Dark Thirty (2012) ou Detroit (2017) chercheront à marier cette manière « physique » avec les velléités politiques d’antan. Le premier manifeste de ce changement sera donc Near Dark.

Le scénario cosigné par Kathryn Bigelow et Eric Reid exprime clairement cette volonté de rupture dans ses choix. Le manque de moyens empêche de faire un western traditionnel (le genre étant sauf exception assez moribond de toute façon à cette période) mais le film en offre malgré tout un pendant moderne dans son imagerie, ses situations et personnages. La dimension « outcast » des protagonistes les rapprochant de La Horde sauvage est introduit par le thème du vampirisme, débarrassé ici de tous ses oripeaux gothiques (l’ail, les crucifix…) pour ne garder que la tare la plus graphique, le supplice de la lumière du jour. Le film possède un sujet similaire aux deux classiques de l’époque que sont Comme un chien enragé de James Foley (1986) et Blue Velvet de David Lynch (1986) soit la découverte du mal à travers un envers nocturne et cauchemardesque du réel. On est d’ailleurs frappé par le mimétisme entre les scènes d’ouvertures de Near Dark et le film de James Foley, dépeignant l’ennui ordinaire de la jeunesse un soir dans un centre-ville provincial. C’est dans ce contexte que Caleb (Adrian Pasdar) rencontre la mystérieuse Mae (Wright) qui au terme de leur ballade romantique  s’enfuit aux premières lueurs du jour après lui avoir infligé une morsure. 

Pour notre héros, la condition de vampire (le mot n’est cependant jamais prononcé durant le film) passe avant tout par la souffrance organique de la « soif » qu’il ne se résout pas à assouvir par le meurtre. C’est fort différent pour le gang de vampire qui se délecte de ces ténèbres qui les muent en prédateurs redoutables. Le montage alterné où Mae tente d’initier sans succès Caleb tandis que les autres vampires piègent leurs victimes dans des situations variées est des plus parlants mais joue sur l’ellipse quant à la finalité sanglante de la chasse. Le point de rupture intervient avec la longue et brutale séquence du bar, où l’aspect purement alimentaire du vampirisme cède à un sadisme et un sentiment de toute-puissance de la bande qui se délecte à tourmenter, terrifier les clients avant de les décimer. Ces moments pourraient réduire les vampires à leur seul aspect inquiétant et monstrueux mais Kathryn Bigelow se montre plus subtile que cela.

Le titre original Near Dark et celui français Aux frontières de l’aube traduisent le sentiment de liberté de cette vie nocturne mais également ses dangers. Le casting (Lance Henriksen, Jeannette Goldstein, Bill Paxton) reprend une large part de celui du Aliens de James Cameron qui a triomphé l’année précédente. Kathryn Bigelow s’appuie sur ce vécu commun pour traduire la complicité et camaraderie des vampires. A l’image des hors-la-loi de La Horde sauvage auréolé d’un réel capital sympathie (même si Peckinpah se débarrasse du plus déviant d’entre eux dès sa scène d’ouverture), la famille recomposée de Near Dark dégage une vraie chaleur malgré ses exactions – un Rob Zombie saura d’ailleurs s’inspirer de ce traitement avec la famille Firefly de La Maison des 1000 morts (2003) et The Devils Rejects (2005). 

Après avoir sauvé la bande de la mort, Caleb est presque accepté comme l’un des leur avec des signes de reconnaissances triviaux et attachant. Par touches habiles Kathryn Bigelow développe ainsi un background qui se devine dans la famille reconstituée des vampires. Lance Henriksen dégage un sacré mystère en père/chef au passé de soldat sudiste, Bill Paxton (dans un rôle voisin d’Aliens) est une sorte de petit frère chien fou, Jeanne Goldstein voit ses instincts maternels s’incarner en Homer (Joshua John Miller), adulte coincé dans le corps d’enfant qui l’a vu devenir vampire – élément brillamment exploité dans le Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1993) avec le personnage de Kirsten Dunst et également dans Byzantium (2013).

Cette approche intimiste se conjugue à celle plus abstraite qui déploie une vraie fascination pour la nuit, le moment où les vampires se sentent enfin exister. Les transitions de la lumière aux ténèbres passent par les pulsations et les nappes synthétiques de la bande-son de Tangerine Dream, tandis que l’imagerie confond territoire sauvage de l’Ouest et stylisation gothique (le plan où les ombres de la horde surgissent d’une colline, l’arrivée à cheval de Caleb lors du final) à travers la photo bleutée de Adam Greenberg - autre réminiscence de Cameron puisqu’en charge de la photo de Terminator (1984). Ce cycle fait pourtant de la nuit une prison qui fige la personnalité des vampires, l’immortalité étant synonyme d’éternel recommencement alors que les limites d’une vie faites d’un début, d’un milieu et d’une fin oblige à évoluer. Le personnage d’Homer retrouve ainsi les attitudes de petit garçon (le vampirisme lui ayant finalement volé son enfance) quand il recherche maladroitement l’amitié de la petite sœur (Marcie Leeds) de Caleb. Le monde réel inaccessible est ainsi représenté par cette lumière du jour qui les brûle et donne lieu à une des scènes cultes du film, lorsque les trous provoqués par l’impact des balles laissent passer la lumière et fait de leur cachette un piège mortel.

La chasse et la soif de sang symbolise ainsi la quête de sensations de tous les personnages de Kathryn Bigelow, mais aussi leur inaptitude à une existence normale (le Patrick Swayze de Point Break, Jeremy Renner dans Démineurs, les adeptes d’expériences virtuelles de Strange Days…). La réalisatrice leurs offre toujours des sorties pleine de panache à l’image du baroud d’honneur (littéralement) flamboyant de Lance Henriksen et Jeannette Goldstein. Tout juste trouvera- t-on un peu facile et discutable la solution pour guérir du vampirisme, mais le film a suffisamment bouleversé les règles pour faire passer la chose. Sorti en même temps que Générations Perdues de Joel Schumacher (1987), film de vampires plus dans l’ère du temps, Near Dark malgré un excellent accueil critique sera un échec commercial. Kathryn Bigelow avait néanmoins entamée sa mue et avec cette brillante carte de visite signée une œuvre à l’influence considérable. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez StudioCanal 

 

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