Une nuit, Caleb, un
jeune fermier de l'Oklahoma, rencontre la belle Mae. Fasciné, il tente de la
séduire et obtient d'elle un baiser qui devient une morsure. Ce contact va
entraîner Caleb dans le monde des compagnons de Mae, des vampires. Il devra
apprendre à tuer pour s'abreuver du sang de ses victimes.
Near Dark
constitue un jalon du cinéma fantastique des années quatre-vingts et sera pour
Kathryn Bigelow l’œuvre de l’affirmation.
La formation initiale de Kathryn Bigelow est plutôt intellectuelle à
travers ses études de peinture, ses liens à la contreculture et son engagement
politique durant les années soixante-dix. Ce passif irrigue son approche du
cinéma, que ce soit son court-métrage étudiant The Set-up (1978) ou son premier long au traitement très arty, The Loveless (1982) (coréalisé avec Monty Montgomery). Un choc
esthétique va pourtant bouleverser sa vision du cinéma quand elle découvrira La Horde sauvage de Sam Peckinpah
(1969). Le spectacle viscéral et opératique de Peckinpah va désormais définir
la vision de Bigelow pour qui le cinéma doit être un vecteur d’adrénaline et de
sensations. Point Break (1991) sera
le film de la rupture tandis que Strange Days (1995) et plus tard Démineurs
(2009), Zero Dark Thirty (2012) ou Detroit (2017) chercheront à marier
cette manière « physique » avec les velléités politiques d’antan. Le
premier manifeste de ce changement sera donc Near Dark.
Le scénario cosigné par Kathryn Bigelow et Eric Reid exprime
clairement cette volonté de rupture dans ses choix. Le manque de moyens empêche
de faire un western traditionnel (le genre étant sauf exception assez moribond
de toute façon à cette période) mais le film en offre malgré tout un pendant
moderne dans son imagerie, ses situations et personnages. La dimension « outcast »
des protagonistes les rapprochant de La
Horde sauvage est introduit par le thème du vampirisme, débarrassé ici de
tous ses oripeaux gothiques (l’ail, les crucifix…) pour ne garder que la tare
la plus graphique, le supplice de la lumière du jour. Le film possède un sujet
similaire aux deux classiques de l’époque que sont Comme un chien enragé de James Foley (1986) et Blue Velvet de David Lynch (1986) soit la découverte du mal à
travers un envers nocturne et cauchemardesque du réel. On est d’ailleurs frappé
par le mimétisme entre les scènes d’ouvertures de Near Dark et le film de James Foley, dépeignant l’ennui ordinaire de
la jeunesse un soir dans un centre-ville provincial. C’est dans ce contexte que
Caleb (Adrian Pasdar) rencontre la mystérieuse Mae (Wright) qui au terme de
leur ballade romantique s’enfuit aux
premières lueurs du jour après lui avoir infligé une morsure.
Pour notre héros, la condition de vampire (le mot n’est
cependant jamais prononcé durant le film) passe avant tout par la souffrance
organique de la « soif » qu’il ne se résout pas à assouvir par le
meurtre. C’est fort différent pour le gang de vampire qui se
délecte de ces ténèbres qui les muent en prédateurs redoutables. Le montage
alterné où Mae tente d’initier sans succès Caleb tandis que les autres vampires
piègent leurs victimes dans des situations variées est des plus parlants mais
joue sur l’ellipse quant à la finalité sanglante de la chasse. Le point de
rupture intervient avec la longue et brutale séquence du bar, où l’aspect
purement alimentaire du vampirisme cède à un sadisme et un sentiment de
toute-puissance de la bande qui se délecte à tourmenter, terrifier les clients
avant de les décimer. Ces moments pourraient réduire les vampires à leur seul
aspect inquiétant et monstrueux mais Kathryn Bigelow se montre plus subtile que
cela.
Le titre original Near
Dark et celui français Aux frontières
de l’aube traduisent le sentiment de liberté de cette vie nocturne mais
également ses dangers. Le casting (Lance Henriksen, Jeannette Goldstein, Bill
Paxton) reprend une large part de celui du Aliens
de James Cameron qui a triomphé l’année précédente. Kathryn Bigelow s’appuie
sur ce vécu commun pour traduire la complicité et camaraderie des vampires. A l’image
des hors-la-loi de La Horde sauvage
auréolé d’un réel capital sympathie (même si Peckinpah se débarrasse du plus
déviant d’entre eux dès sa scène d’ouverture), la famille recomposée de Near Dark dégage une vraie chaleur
malgré ses exactions – un Rob Zombie saura d’ailleurs s’inspirer de ce
traitement avec la famille Firefly de La
Maison des 1000 morts (2003) et The
Devils Rejects (2005).
Après avoir sauvé la bande de la mort, Caleb est
presque accepté comme l’un des leur avec des signes de reconnaissances triviaux
et attachant. Par touches habiles Kathryn Bigelow développe ainsi un background
qui se devine dans la famille reconstituée des vampires. Lance Henriksen dégage
un sacré mystère en père/chef au passé de soldat sudiste, Bill Paxton (dans un
rôle voisin d’Aliens) est une sorte
de petit frère chien fou, Jeanne Goldstein voit ses instincts maternels s’incarner
en Homer (Joshua John Miller), adulte coincé dans le corps d’enfant qui l’a vu
devenir vampire – élément brillamment exploité dans le Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1993) avec le personnage
de Kirsten Dunst et également dans Byzantium (2013).
Cette approche intimiste se conjugue à celle plus abstraite
qui déploie une vraie fascination pour la nuit, le moment où les vampires se
sentent enfin exister. Les transitions de la lumière aux ténèbres passent par
les pulsations et les nappes synthétiques de la bande-son de Tangerine Dream,
tandis que l’imagerie confond territoire sauvage de l’Ouest et stylisation
gothique (le plan où les ombres de la horde surgissent d’une colline, l’arrivée
à cheval de Caleb lors du final) à travers la photo bleutée de Adam Greenberg -
autre réminiscence de Cameron puisqu’en charge de la photo de Terminator (1984). Ce cycle fait
pourtant de la nuit une prison qui fige la personnalité des vampires, l’immortalité
étant synonyme d’éternel recommencement alors que les limites d’une vie faites
d’un début, d’un milieu et d’une fin oblige à évoluer. Le personnage d’Homer
retrouve ainsi les attitudes de petit garçon (le vampirisme lui ayant
finalement volé son enfance) quand il recherche maladroitement l’amitié de la petite
sœur (Marcie Leeds) de Caleb. Le monde réel inaccessible est ainsi représenté
par cette lumière du jour qui les brûle et donne lieu à une des scènes cultes
du film, lorsque les trous provoqués par l’impact des balles laissent passer la
lumière et fait de leur cachette un piège mortel.
La chasse et la soif de sang symbolise ainsi la quête de
sensations de tous les personnages de Kathryn Bigelow, mais aussi leur inaptitude
à une existence normale (le Patrick Swayze de Point Break, Jeremy Renner dans Démineurs,
les adeptes d’expériences virtuelles de Strange
Days…). La réalisatrice leurs offre toujours des sorties pleine de panache
à l’image du baroud d’honneur (littéralement) flamboyant de Lance Henriksen et
Jeannette Goldstein. Tout juste trouvera- t-on un peu facile et discutable la
solution pour guérir du vampirisme, mais le film a suffisamment bouleversé les
règles pour faire passer la chose. Sorti en même temps que Générations Perdues
de Joel Schumacher (1987), film de vampires plus dans l’ère du temps, Near Dark malgré un excellent accueil
critique sera un échec commercial. Kathryn Bigelow avait néanmoins entamée sa
mue et avec cette brillante carte de visite signée une œuvre à l’influence
considérable.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez StudioCanal
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