Dans une petite ville côtière, deux
jeunes femmes aussi séduisantes que mystérieuses débarquent de nulle
part. Clara fait la connaissance de Noel, un solitaire, qui les
recueille dans sa pension de famille déserte, le Byzantium. Eleanor,
étudiante, rencontre Frank, en qui elle voit une âme sœur. Bientôt, elle
lui révèle leur sombre secret… Eleanor et Clara sont nées voilà plus de
deux siècles et survivent en se nourrissant de sang humain. Trop de
gens vont finir par l’apprendre pour que leur passage dans la ville
n’ait aucune conséquence sanglante…
18 ans après son classique Entretien avec un vampire (1994) Neil Jordan revisite le mythe vampirique avec ce Byzantium en offrant une fascinante refonte. Si c'est bien évidemment à sa fameuse adaptation d'Anne Rice que l'on se réfère par des liens évident (mythe du vampire, destinée courant à travers les siècles, opposition entre figure effacée et torturée avec une plus séduisante et charismatique avec Clara/Lestat face à Louis/Eleanor) Neil Jordan livre en fait une œuvre somme empruntant des éléments à toute sa filmographie. Récits enchevêtrés où le réel se dispute au conte (La Compagnie des Loups), narration en flashback où le point de vue du narrateur bascule et redéfinissant la perspective du récit par le spectateur (La Fin d'une Liaison (1999)) et cadre balnéaire où la féérie se dispute au réalisme dans un rythme flottant (le merveilleux Ondine (2009)).
On
suivra donc ici le destin du mystérieux duo que forme l'effacée et
rêveuse Eleanor (Saoirse Ronan) adolescente de seize ans accompagnée de
la pulpeuse et volcanique Clara (Gemma Aterton), plus âgée. Sous leurs
allures juvéniles, ces deux-là sont en fait des vampires à l'existence
déjà longue de plus de deux cent ans. Dans une narration complexe, Neil
Jordan laisse découvrir quel lien unit les deux héroïnes, ce qui les
différencie dans leur façon d'assouvir leur soif (Eleanor soulageant des
vieillards en fin de vie, Clara saignant
impitoyablement tous les tyrans masculins croisant sa route) et de
survivre au quotidien. Eleanor déambule en traînant sa
mélancolie tandis que Clara prend les choses en main pour deux en
n'hésitant pas à jouer de ses charmes et se prostituer pour gagner sa
vie.
La narration en flashback fera progressivement comprendre l'origine
du vampirisme de chacune, expliquant ainsi leur caractère mais aussi la
nature des mystérieux ennemis qui les traquent sans cesse. En revenant
sans sur les lieux où elles devinrent vampire des siècles plus tôt dans
une station balnéaire désolée, tous les drames et rancœurs contenues
vont s'exacerber pour faire basculer leur situation établie depuis si
longtemps. Eleanor en tombant amoureuse d'un jeune homme (Caleb Landry
Jones) aura des élans de confidence pour enfin révéler la triste
existence qu'elle mène depuis 200 ans. Des aveux qui ne seront pas sans
conséquences notamment par la relation qu'elle entretient avec Clara,
leur jeunesse commune nous guidant faussement vers une relation
fraternelle...
En adaptant la pièce de Moira Buffini, Neil Jordan
propose une véritable refonte de la figure du vampire. Prolongeant les
élans celtiques et païens de Ondine
(dans un fantastique plus ouvertement affirmé), le réalisateur fait du
vampirisme un don et une malédiction qui ne se transmet plus de façon
organique mais en convoquant des forces ancestrales et occultes ne
pouvant être appelées que dans un lieu secret et sauvage avec cette île
aux rocheuses battues par les vague dissimulant des cavernes
mystérieuses.
Tout le folklore associé au vampire est en grande partie
balayé avec des créatures évoluant au grand jour et dépourvu de canines
aiguisées (avec un extrait de film de la Hammer moquant justement ce
fatras de symboles), la dimension aristocratique demeurant cependant
puisque le statut est dédié à une élite masculine se transmettant le
"don". Nos héroïnes font donc ainsi acte de féminisme en endossant cette
nature, du moins Clara ayant volé le secret du vampirisme pour se
venger de la tyrannie des hommes tandis qu’Eleanor subit plutôt les
évènements avec ce dramatique flashback où elle est mordue.
Autre apport
majeur, le vampirisme fige non seulement le physique mais aussi le
caractère des suceurs de sang, s'éloignant par exemple du troublant
personnage de Kirsten Dunst dans Entretien avec un vampire
où dans un corps de fillette permanent elle était déchirées par des
pulsions de femme. Tout est un perpétuel recommencement ici pour Gemma
demeurant la fille perdue qu'elle fut dans sa vie humaine et pour qui se
prostituer est une manière normale de subsister. Eleanor conserve quant
à elle l'immaturité et la candeur de ses seize ans, l'honnêteté de son
éducation religieuse en orphelinat ne lui faisant garder aucun secret et
ne pas accepter le mensonge quel que soit les risques. Jordan amène
cela avec une telle finesse que le spectateur inattentif prendra
certaines réactions pour des facilités de scénario alors que tout cela
obéit à une parfaite logique.
Entre sobriété et lyrisme,
romantisme feutré et érotisme outré, Neil Jordan exprime parfaite la
dualité de ses héroïnes avec l'effacée et fragile Eleanor au physique
longiligne et adolescent alors qu'une volcanique Gemma Aterton aux
formes généreuses incarne un esprit imposant et protecteur,
symboliquement (si ce n'est plus) maternel. Le vampirisme est une prison
pour la plus frêle devenue ainsi malgré elle alors que c'est une
libération pour Clara qui y a vu une manière de s'émanciper. Les
flashbacks où elles découvrent leurs nature s'opposent ainsi par le
filmage de Jordan sur des séquences pourtant identiques, saccadées et
inquiétantes pour Eleanor alors que la fameuse falaise se révèle dans
toute son ampleur avec ses cascades de sang s'écoulant sur une Clara
radieuse.
Cet entre-deux donne une esthétique fascinante à ce Byzantium
assez terre à terre dans ses péripéties finalement mais dont le
caractère emporté des personnages donne un élan romanesque et dramatique
captivant. Le présent ordinaire contredit constamment les flashbacks
flamboyant, la romance sobre entre Eleanor et Frank bien éloignés des
débordements sanglants de Clara. Une dichotomie permanente qui se fait
concrète dans une magnifique conclusion qui fait du film une poignante
histoire d'émancipation qui aura couru sur plusieurs siècles au vu des
figures dépeintes. Gemma Aterton trouve peut-être là son meilleur rôle
et Saoirse Ronan confirme une fois de plus son aura évanescente.
Sorti en blu ray et dvd zone 2 français chez Metropolitan
Ce film m'intrigue : je vais tâcher de le visionner rapidement. Merci pour ce billet (et pour ce blog).
RépondreSupprimerMerci Laurent, j'espère qu'il vous plaira si vous êtes amateur de son traitement dans "Entretien avec un vampire" ça devrait bien accrocher.
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